Alors qu’un déconfinement progressif se met en place en France et que les restrictions de déplacement s’assouplissent, l’impatience monte… Mais ce retour à la « vie normale » ne sera probablement pas un retour à la vie d’avant : comment allons-nous voyager à l’ère post-covid ? Réponse avec Olivier Pelat, promoteur immobilier, investisseur et président du groupe Européquipements, et Euryale Châtelard, présidente de la French Tech à Moscou, fondatrice de Trianon Startups et directeur général d’Ecritel Russie.

Siècle digital : la crise sanitaire a fortement ébranlé les mobilités. Comment avez-vous été impacté(e) dans votre domaine d’activité ?

Olivier Pelat : Nous, hôteliers, souffrons de cette catastrophe. Mais chez Européquipements, notre gestion de père de famille nous a permis d’affronter cette crise avec sérénité et résilience. Notre politique a toujours été de rembourser nos crédits avant toute distribution de dividendes. Nos fonds propres nous permettent de faire face mais aussi de continuer notre développement de promoteur immobilier et d’hôtelier, avec en cours plus de 700 chambres réparties sur 3 catégories, 2, 3 et 4*.

Euryale Châtelard : Dans l’e-commerce, nous n’avons pas gagné de nouveaux clients, mais nous avons renforcé nos contrats existants. Les restrictions sanitaires nous ont obligés à passer en télétravail, mais nous en avons vu aussi les limites. La rencontre à travers l’écran est plus difficile lorsqu’on veut appréhender et comprendre un nouveau marché.

Euryale Chatelard

Euryale Châtelard, présidente de la French Tech à Moscou, fondatrice de Trianon Startups et directeur général d’Ecritel Russie

Siècle digital : que pensez-vous de l’idée d’un certificat vert numérique ou « passeport sanitaire »?

O.P. : J’y suis favorable. Cela existe déjà d’ailleurs pour d’autres pathologies. Cela ne me choque pas, au contraire, à partir du moment où le vaccin est l’une des solutions pour sortir de cette pandémie épouvantable et des conséquences qui en découlent.

E.C. : Ce passeport vert doit permettre la relance de certaines activités de manière temporaire et réguler prioritairement les déplacements internationaux ou les congrès. En revanche, il y a une confusion à propos de son utilisation, qui ne doit pas se faire pour aller au restaurant ou au cinéma.

Siècle digital : que pensez-vous des applications comme Airbnb ou Booking ?

O.P. : C’est un phénomène inéluctable et c’est à nous, hôteliers, de mettre en place des coopérations intelligentes avec ces intermédiaires. Cependant, n’oublions pas que la matière première de l’hôtellerie, ce sont les hôtels. Dans ce partenariat, tout le monde doit être gagnant, nos clients, nos hôtels et les plates-formes.

Olivier Pelat

Olivier Pelat, promoteur immobilier, investisseur et président du groupe Européquipements

E.C. : Certaines familles aiment les clubs all inclusive, type Club Med, car ces derniers proposent des offres intégrées qui ne nécessitent aucune organisation au préalable. En revanche, des sites comme Airbnb ou Booking permettent aux vacanciers d’organiser leurs vacances, tout en restant libres. Ce sont deux manières différentes de voyager.

Siècle digital : comment les excès du tourisme de masse peuvent-ils être jugulés ?

O.P. : Le tourisme de masse correspond essentiellement aux périodes de vacances scolaires. Pourquoi ne pas les organiser différemment, comme cela se fait déjà pour certaines périodes, par zone ? A l’échelle internationale, cela pourrait être une idée à creuser.

E.C. : Le tourisme de masse va être maîtrisé car la Chine vient de fermer ses frontières (rires). Plus sérieusement, on observe que le tarif des vols aériens a augmenté car ils sont plus rares. A l’avenir, au lieu d’organiser quatre vacances dans l’année, on ne fera peut-être plus qu’un seul voyage, mais plus qualitatif. Avec la crise, les gens ont redécouvert leur pays, les régions, le tourisme local.

Siècle digital : peut-on réguler les déplacements professionnels sans entraver la liberté individuelle et les voyages d’affaires ?

O.P. : Entre les pouvoirs publics et les hôteliers, il doit y avoir une coopération étroite pour organiser des déplacements plus respectueux. Nous avons pris goût aux vidéoconférences. Il y aura probablement moins de voyages d’affaires et un tourisme de loisirs, plus exigeant et qualitatif. Les voyages restent les premières requêtes sur les moteurs de recherche, avec les loisirs. Les déplacements en avion ne doivent pas être diabolisés, au contraire. On fait du transport aérien un bouc émissaire alors qu’il pollue de moins en moins.

E.C. : Les barrières aux déplacements professionnels hors Union européenne existent déjà, ça s’appelle le visa, et c’est assez pénible. Bien sûr qu’il faut tout faire pour sauver des vies, mais nous ne pouvons pas vivre en autarcie indéfiniment. Et il faudra bien sûr trouver des moyens alternatifs de se déplacer. On en a le potentiel technologique. Dès qu’un trajet alternatif en train est possible, il faut le privilégier.

Siècle digital : comment imaginez-vous l’hôtellerie et le tourisme de demain ?

O.P. : Au-delà d’une simple crise, le Covid est une catastrophe, dans le sens où il va modifier en profondeur nos comportements et notre vision du monde. Tous nos nouveaux projets aujourd’hui sont adaptés à de potentielles crises. Dans le logement, les occupants veulent des espaces plus grands, plus ouverts sur l’extérieur, avec terrasses et balcons, et sont attirés aujourd’hui par les villes de taille moyenne. L’aménagement de bureau, avec l’open-space ou le flex office, évolue également dans ce sens. Dans l’hôtellerie, nos clients voudront des produits plus innovants, plus uniques, moins normés, y compris dans l’hôtellerie économique. Ils souhaitent de plus en plus vivre des expériences inoubliables.

E.C. : J’imagine un tourisme de qualité, plus exigeant. Ces dernières années, les gens avaient de moins en moins envie d’une maison de campagne, et louaient l’été. Avec la crise, on est revenus à ce goût pour la maison, voire la maison secondaire. On ira davantage se ressourcer dans un lieu « à nous ». Les gens ont redécouvert le bonheur d’être chez soi.

Siècle digital : que vous inspire le tourisme spatial proposé par des sociétés comme SpaceX ?

E.C. : La crise a été très anxiogène. Il faut faire rêver les gens et réactiver ce rêve que nos parents ont connu. La conquête spatiale, ou plutôt la « découverte » spatiale, est un rêve commun, qui relie les gens. Ici en Russie où je vis, les enfants célèbrent le jour des cosmonautes le 12 avril. En revanche, ce sont les Etats, ensemble, qui devraient prendre en charge ce rêve. Et pas les compagnies privées.

O.P. : Le rêve ! Quelque chose d’extraordinaire. Depuis que l’Homme est Homme, il veut voler, toujours plus haut. Les gens rêvent de prendre de la hauteur, d’atteindre des choses ou des espaces qu’ils pensaient inaccessibles. Il faut toujours rêver pour avancer. Le jour où l’on ne rêve plus, on meurt.