Les messageries instantanées sont incontournables dans la sphère privée et de plus en plus utilisées dans le monde de l’entreprise – télétravail oblige. Mais peut-on faire confiance à ces messageries instantanées et à leurs promesses de confidentialité ?

Des sociétés françaises comme twinme jouent la carte de la sécurité, est-ce suffisant pour trouver sa place sur ce marché qui paraît saturé et faire basculer le plus grand nombre vers son application sécurisée qui protège la vie privée ? Michel Gien, son PDG, le pense, il nous présente twinme et ses différences avec les acteurs majeurs en place pour disrupter le marché.

Bonjour Michel, tout d’abord, pouvez-vous vous présenter ?

Après 15 années dans la recherche sur les réseaux (Cyclades) et les systèmes d’exploitation (Unix) à l’INRIA et France Telecom, j’ai participé à la création et au développement de plusieurs entreprises technologiques (Chorus Systems, vendu à Sun Microsystems, puis VirtualLogix, vendu à Red Bend Software). La dernière en date, Twinlife, fondée avec Christian Jacquemot, CTO, avec qui je travaille depuis plus de 25 ans, a pour objectif de reprendre le contrôle de sa vie digitale, laissée aux mains des GAFAM.

Quelle est la proposition de valeur de twinme ?

twinme est un service sécurisé de messagerie instantanée et appels voix/vidéo de nouvelle génération, conçue pour protéger la vie privée. Contrairement aux autres services de communication, y compris ceux dits « sécurisés », avec twinme il n’y a pas d’inscription, pas de numéro de téléphone, pas d’e-mail, pas d’identification utilisateur, aucune information personnelle n’est requise donc pas de traçage, pas de harcèlement, pas de publicité ou appels non sollicités, pas de spam. Les échanges, chiffrés de bout-en-bout, s’effectuent en peer-to-peer, directement de terminal à terminal en temps réel, sans serveur de distribution intermédiaire donc plus sécurité, pas de traces dans le cloud, pas d’infrastructure de stockage, meilleure efficacité énergétique.

twinme est exploité sous licence par le groupe Skyrock sous le nom de Skred. twinme et Skred représentent près de 14 millions d’activations dans le monde et 800 000 utilisateurs actifs mensuels.

twinme est disponible gratuitement sur mobile (Android et iOS) et le sera prochainement sur PC (Windows, macOS, Linux). Une version « Premium » sera proposée prochainement pour un prix de l’ordre de 5 €.

De nouveaux services par abonnement facilitant les interactions au sein d’une communauté (chatrooms, channels, stories, forums, audio/visioconférences), sans échanges d’informations personnelles, seront proposés par la suite…

Exemple de discussion dans l'application twinme

Exemple de discussion dans l’application twinme.

On dit souvent que l’idée d’une startup survient lorsque l’un des fondateurs se retrouve confronté à une problématique douloureuse pour lui. Est-ce que cela a été le cas pour twinme ? Comment l’idée est-elle venue ?

Christian Jacquemot et moi-même souhaitions permettre à nos parents âgés d’interagir en vidéo avec leurs enfants et petits-enfants en toute intimité, sans risquer d’être surveillés, tracés, puis importunés, voire harcelés par des tiers indélicats. Cela impliquait un service de communication qui ne reposerait pas sur l’identification des personnes au moyen d’un numéro de téléphone (les petits enfants n’en disposent pas d’ailleurs), et qui possède une qualité « haute définition » pour l’image et le son. Nous avons donc repris la technologie WebRTC disponible en open source et l’avons complétée avec un dispositif de signalisation original (que nous avons breveté) permettant de mettre en relation des terminaux (mobiles, TV, objets connectés, etc.) afin d’échanger des contenus et d’effectuer des appels.

Il y a un marché avec de gros acteurs en place, pourquoi avoir choisi de démarrer sur ce domaine ?

Parce que les acteurs de ce marché collectent les données personnelles de leurs utilisateurs pour les vendre à leurs clients. La prise de conscience générale de ces procédés insidieux par les utilisateurs, les privant de leur intimité et à terme de leur libre choix par la publicité ciblée qu’ils subissent, nous amène à penser que les temps sont mûrs pour remplacer ces acteurs dominants, comme ils ont eux-mêmes remplacé leurs prédécesseurs il y a quelques années.

Comment une startup comme twinme fait-elle pour continuer à innover et ainsi conserver son avantage compétitif face à la concurrence ?

L’innovation proposée par twinme est extrêmement disruptive et remet en question les habitudes de communication de millions de personnes. L’enjeu est de trouver les cibles et les usages permettant un développement viral, comme cela a été le cas pour les acteurs que nous cherchons à remplacer, lorsqu’ils se sont lancés.

Quelle est la vision de twinme à moyen terme et son ambition ?

Créer une synergie entre un usage personnel et familial permettant d’apprécier la qualité et l’intimité du service et un usage professionnel permettant aux organisations d’interagir avec une communauté dont ils souhaitent protéger les informations personnelles. Par exemple, les communautés territoriales pour s’adresser aux citoyens et leur permettre d’interagir entre eux, sans pour autant devoir échanger d’informations personnelles, comme c’est le cas dans un débat public.

Dans le monde physique les intervenants, fournisseurs, clients, intermédiaires, partenaires, etc. s’adressent la parole, interagissent, effectuent des transactions, sans s’échanger d’informations personnelles privées. Il n’y a aucune raison pour que les interactions digitales ne puissent pas s’exercer dans des conditions similaires.
Notre ambition est ainsi de proposer ce service de mise en relation digitale permettant aux intervenants d’interagir comme ils le font dans un magasin, un cabinet, un lieu public, un stade, une exposition, au marché, etc., c’est-à-dire de façon anonyme, où la fonction importe plus que la personne elle-même.

Les domaines concernés sont extrêmement nombreux. Nous essayons d’adresser en priorité ceux pour lesquels le besoin est le plus évident, avec une approche de type B2B2C, c’est-à-dire en adressant les business qui souhaitent interagir avec leurs clients ou collaborateurs de façon moins intrusive et plus éthique qu’avec les services de communication actuels.

Le marché grand public actuel repose sur un modèle gratuit pour les utilisateurs, est-ce viable pour un nouvel acteur qui se lance sur un marché qui paraît saturé ? Pouvez-vous nous éclairer sur l’envers du décor ?

Le service des WhatsApp, Messenger, etc. est gratuit pour leurs utilisateurs, parce que ceux-ci constituent le « produit » qu’ils vendent à leurs clients, prêts à tout pour améliorer le ciblage de leurs messages marketing. Comme il serait inacceptable de mettre les utilisateurs « sur écoute », les conversations sont désormais chiffrées, développant ainsi un sentiment de sécurité auprès des utilisateurs. Par contre, ceux-ci ne se rendent pas compte que, sous prétexte de faciliter la connectivité entre utilisateurs, les numéros de téléphone, les carnets d’adresses, ceux des contacts et des contacts de contacts, etc. leur permettent de visualiser un gigantesque graphe de relations, sur lequel ils peuvent suivre les interactions temporelles (échanges de messages et appels), leur succession, leur fréquence, etc. et ainsi « voir » tout ce que « font » leurs utilisateurs, ce qui leur permet de les connaître intimement et cibler ainsi les messages de leurs clients annonceurs.

Pour ce qui concerne twinme, le service est gratuit pour les fonctionnalités essentielles, fournies gratuitement également par les autres services similaires, bien que les utilisateurs payent sans s’en rendre compte avec leurs données sans s’en rendre compte (comme indiqué précédemment).

Une offre payante de services twinme « Premium » est en cours de lancement. L’objectif est de demander aux utilisateurs de contribuer financièrement à la protection de leurs données personnelles.

Dans les comparatifs sur ce marché, le volet Open source est souvent cité comme référence, qu’en pensez-vous ?

L’open source est très souvent associé à des postures de type « principe » de la part de certaines catégories d’utilisateurs qui prétendent que « si ce n’est pas open source, c’est qu’il y a des choses à cacher ».

En fait, l’open source est essentiellement promu par les sociétés qui vendent autre chose que du logiciel : du matériel, des services cloud, de l’intégration, de la publicité ciblée, dont le logiciel renforce la valeur. Google, par exemple, met en open source tout ce qui lui permet d’améliorer le ciblage de la publicité qu’il vend à ses clients, à partir des données récoltées chez ses utilisateurs.

Ceci dit, le fait de ne pas être open source, n’a pas empêché WhatsApp, Messenger, WeChat, Skype, etc. de conquérir ce marché et d’en rester les leaders.

Pour ce qui nous concerne, bien que nous utilisions largement des logiciels open source, ce modèle est incompatible avec la commercialisation de licences qui est notre modèle économique actuellement. Notre approche est pragmatique et factuelle. Quels sont les avantages / inconvénients. Nous n’avons pas d’a priori sur ce sujet. D’autres modèles économiques pourraient nous permettre d’ouvrir notre code source à l’avenir si cela peut aider à sa diffusion.

Je crois que vous avez une actualité toute fraîche à partager ?

Comme nous l’avons abordé, nous sommes en cours de déploiement de twinme+, version payante de l’application (sur mobile et PC) fournissant des services additionnels tels que la gestion des groupes sociaux avec profils et notifications dédiés, protection de l’application, messages éphémères, interdiction des captures d’écrans, conférences audio/vidéo à plusieurs, etc.

Par ailleurs, nos futurs services B2B2C sont en cours d’expérimentation auprès de nos soutiens institutionnels comme l’école CentraleSupelec, dont l’incubateur nous accueille depuis la création de la société, et la French Tech Paris-Saclay qui anime l’écosystème des startups du plateau.