Chaque crise a son lot de gagnants. On parle beaucoup des plateformes de travail à distance et la myriade d’outils liés à ce besoin, mais on oublie les acteurs de la surveillance qui ont vu dans la nécessité de contrôle de l’épidémie une opportunité unique pour proposer leurs services. Olivier Tesquet, journaliste à Télérama et spécialisé dans le secteur de la surveillance, nous éclaire sur cette économie.

Des acteurs controversés qui refont leur virginité

Bien avant que l’épidémie n’apparaisse, il existait déjà des acteurs puissants de la surveillance. On peut citer Palantir aux États-Unis ou encore NSO en Israël. Leur pedigree est intimement lié à la sécurité.

Palantir a vu le jour grâce à des fonds de la CIA en 2003 et leur premier fait d’armes a été de reconstituer le cheminement qui avait conduit à l’assassinat du journaliste américain Daniel Pearl en Afghanistan. Une cartographie des suspects potentiels a convaincu les autorités américaines de l’efficacité de cette société à la résolution d’enquête criminelle et la lutte antiterroriste. Une technologie qui est aujourd’hui accessible dans le monde entier dont en France avec la DGSI et Airbus qui sont des clients de Palantir.

De son côté, NSO profite d’une grande notoriété liée à son logiciel espion Pegasus vendu à des pays comme l’Arabie saoudite pour surveiller des journalistes ou des militants des droits humains.

Un historique peu rassurant qui pourrait être un poids dans le développement de ces acteurs. La crise sanitaire leur offre une opportunité d’effacer l’ardoise en se concentrant sur l’optimisation de la gestion de l’épidémie. Palantir en a profité pour signer un contrat avec le Royaume-Uni afin de traiter les données hospitalières en leur promettant une meilleure efficacité.

NSO tente de redorer son blason en se vendant comme un acteur de la crise sanitaire. Ils ont notamment mis au point une sorte de tableau de bord où les citoyens sont affectés d’une note. En fonction de leur mode de vie, des endroits où ils se sont rendus, on les affecte d’un indice de contagiosité qui va conditionner leur circulation dans l’espace public.

Des gouvernements très perméables aux industries de la surveillance

Les démocraties libérales sont particulièrement perméables ! Et pour cause : les attaques terroristes ont accéléré le culte de la sécurité depuis les attentats de 2001 à New York. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’importance donnée à la sécurité dans nos sociétés nourrit un sentiment d’insécurité permanent. Une forme de cercle vicieux se construit ainsi : la sécurité appelle la sécurité.

« Ce sentiment de sécurité est bien souvent prodigué par des technologies, qu’elles soient d’ailleurs efficaces ou pas, dangereuses ou pas. Ces technologies constituent une réponse à cette demande jamais rassasiée de sécurité » précise Olivier Tesquet.

Le risque de s’habituer aux techniques de surveillance.

La crise sanitaire a eu pour effet de révéler un grand nombre d’acteurs de la surveillance comme les opérateurs télécoms qui ont mesuré les évolutions des trajets domicile – travail. « C’est le bon moment de cartographier tous ces acteurs et d’expliquer toutes les dynamiques qui sont à l’œuvre » confirme Olivier Tesquet.

Nous sommes loin d’une imposition totalitaire de la technologie, la plupart des dispositifs de surveillance sont consentis. Chaque déverrouillage avec son empreinte digitale ou son visage et une accoutumance à cette surveillance généralisée. Le système se met en place à bas bruit, lentement et de manière constante. Une période de crise est synonyme de nouvelles normes et l’on peut se questionner sur l’avenir de la vie privée ou encore du secret médical.