Lundi 5 avril, le régulateur des communications de l’État russe, le Roskomnadzor, a annulé sa menace antérieure de bloquer entièrement Twitter. Il procédera différemment, et prévoit de prolonger sa décision de ralentir Twitter jusqu’au 15 mai. Cette décision avait été prise le 10 mars, en représailles à ce qui était décrit comme un échec à supprimer du contenu préjudiciable, notamment pour les enfants. En effet, la législation russe d’internet est extrêmement sévère, et aime que les plateformes et divers sites se conforment aux exigences et volontés des organes de surveillance d’État. Selon la loi, par exemple, les réseaux sociaux disposent de 24 heures pour supprimer un contenu interdit. Or, le temps moyen de suppression de Twitter est d’environ 81 heures.
Cette clémence de la part du Roskomnadzor envers Twitter a une raison : le réseau social a fait des efforts. L’agence a en effet déclaré que l’entreprise américaine avait bien supprimé “environ 1 900 des 3 100 messages” demandés, d’où le geste russe. Dans son communiqué, on peut lire : “Étant donné les premières mesures prises par Twitter pour modifier la vitesse et les principes de sa modération en Russie, et la suppression d’une partie significative des messages interdits, Roskomnadzor a pris la décision de ne pas bloquer ce réseau social dans le pays”.
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La nouvelle intervient après l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi russe obligeant tous les smartphones à se voir préinstaller des logiciels russes, tels que ceux produits par le géant local Yandex. Elle prend également racine dans le contexte tendu entre les réseaux sociaux occidentaux et la Russie qui, depuis la montée de l’opposition et les manifestations récentes, cherchent à étouffer les critiques là où elles éclosent le plus facilement : en ligne.
Et l’effort est loin d’être nouveau : le gendarme des communications avait infligé une amende à sept sociétés de médias sociaux étrangers, dont Instagram, Twitter, Facebook, et YouTube pour ne pas avoir retiré les vidéos promouvant les manifestations massives contre l’arrestation d’Alexei Navalny qui ont eu lieu dans plus de 100 villes russes fin 2019. Par ailleurs, la Russie a aussi bloqué LinkedIn pour ne pas avoir stocké les données des utilisateurs sur des serveurs russes, et récemment, annulé la décision d’interdire l’application de messagerie Telegram, après deux ans de tentatives pour la bloquer, comme le rapportait le Moscow Times en mars.
Poutine a accusé en janvier les géants des médias sociaux de “contrôler la société” et de “restreindre le droit d’exprimer librement ses points de vue”. Le soir du réveillon du Nouvel An, il a ainsi accordé à Roskomnadzor le pouvoir de bloquer les plateformes si jugées “discriminatoires” à l’égard des médias russes. Puis, en février, le président a augmenté les amendes pour les géants des médias sociaux accusés de “discrimination” à l’égard des médias russes. L’acharnement russe contre Twitter, que seulement 3% des russes utilisent d’après des sondages publics, est donc loin d’être unique, comme il est loin d’être anodin.
En mars, cette année, les autorités ont ainsi déclaré que la Russie bloquerait Twitter d’ici un mois si elle ne supprimait pas le contenu interdit. Par contenu interdit, la Russie signifiait officiellement les publications à caractère sexuel, pédopornographiques, faisant référence aux drogues ou encore au suicide. Mais la ligne fine se situe en ce que Twitter, d’après la Russie, exhorterait illégalement les enfants à participer aux manifestations anti-Kremlin, ne les protégeant pas des influences politiques fusant sur les réseaux.
C’est Vadim Subbotin, le chef adjoint de l’organe de surveillance des communications en Russie, le Roskomnadzor, qui avait émis l’avertissement mi-mars, une semaine après que le pays ait commencé à ralentir la vitesse du réseau social. “Si Twitter ne respecte pas les exigences de Roskomnadzor et de la législation russe, nous examinerons la question du blocage complet du service en Russie”, avait relayé l’agence de presse publique TASS, citant Subbotin. Le message était clair : que Twitter améliore sa modération, ou il sera bientôt bloqué.
Twitter, en réaction aux menaces russes, avait fait remarquer une tentative “d’étrangler la conversation publique en ligne”, rappelant sa “politique de tolérance zéro en matière d’exploitation sexuelle des enfants”. Pourtant, le réseau, tout comme Facebook ou Google, se voit régulièrement censuré par la Russie, qui lui impose des milliers d’euros d’amende pour des défauts de modération. Comme le rapportent Le Monde et l’AFP, début avril, la justice russe a condamné Twitter à environ 100 000 euros d’amende pour n’avoir pas su supprimer à temps des appels à des manifestations non autorisées, provenant de l’opposition.
Cette censure concerne donc en réalité de près l’opposition et la dissidence qui s’organise en ligne, dans le cadre du soutien à Alexeï Navalny, emprisonné dès son retour en Russie après un séjour en Allemagne, où il était soigné pour empoisonnement. Les manifestations de soutien à Alexeï Navalny, notamment à cause de la pandémie, ont en effet été organisées via des plateformes en ligne. Lui-même, dont la lutte contre l’oligarchie russe, la corruption et la politique de Poutine s’organise sur YouTube ou encore Instagram, n’a pas abandonné son activisme en ligne, même de sa prison. Il y a fort à parier que les motivations russes incluent la volonté de museler ce militantisme et ces contestations du pouvoir qui s’organisent sur les réseaux.
Sarkis Darbinyan, un avocat du groupe russe de défense des droits Internet Roskomsvoboda, a déclaré que l’organe de surveillance des communications avait été “sérieusement ennuyé” par Twitter à la suite des manifestations anti-Kremlin de cette année, a rapporté The Guardian. “Après les manifestations, il est devenu clair que Twitter ne prévoyait pas de supprimer les messages relatifs à des actions civiques pacifiques et continuerait de signaler la propagande de l’État, afin que les utilisateurs puissent reconnaitre de fausses informations”, a-t-il déclaré en mars.
La ligne de répression en ligne de la Russie se durcit donc contre les réseaux, face à l’opposition montante. Satisfait de la soumission de Twitter pour cette fois, il est très peu probable que le Roskomnadzor abandonne ensuite la surveillance du réseau, qui pour sûr sera ralenti jusqu’en mai. Les tensions montant entre la Russie et les États-Unis et Twitter étant un pur produit du modèle américain, on peut s’attendre à des mouvements de défense et d’attaque de la part des deux puissances, par médias interposés, ou contre les médias eux-mêmes.