« Il y a une application pour ça ». Vous l’avez déjà oublié mais c’était le slogan d’Apple pour son iPhone 3G, il y a 13 ans. Ça semble faire une éternité. Et pourtant, je vous parle d’une époque pas si lointaine où l’on découvrait avec frénésie ce nouveau monde où tout devient possible, grâce à ce petit objet sorti de la poche. Depuis, c’est vrai qu’on fait à peu près tout avec. D’ailleurs, c’est même le réveil de bon nombre d’entre nous et c’est la dernière chose que l’on regarde avant de s’endormir, ce petit écran rétro éclairé. Le problème, c’est qu’entre le réveil et le coucher, on y passe un nombre d’heures inquiétant.

Depuis le confinement, un Français sur deux passe plus de 3h par jour sur son smartphone selon une étude Ifop. Et plus de 40% des étudiants présenteraient des symptômes d’addiction à leur smartphone d’après une étude menée auprès de ses étudiants âgés entre 18 et 30 ans, par le prestigieux King’s College.

Steve t’as inventé un truc génial mais il y a quelque chose qui ne tourne pas rond

On le réalise encore plus en ce moment d’isolation où il suffit de se tourner vers ces petites boîtes à plaisirs faciles, de divertissements rapides, pour penser à autre chose.
Le but ce n’est pas de vous dire : le smartphone c’est mal, lisez des livres, c’était mieux avant… En fait, c’est plus compliqué que ça. Mais une chose devrait tous nous alerter : l’influence des algorithmes, leur incroyable capacité à forger nos opinions et à absorber notre temps.

Parce que chacune des apps que vous utilisez a été pensé depuis le début pour devenir les plus addictives possibles. Ce n’est plus un secret et les concepteurs même de ces applications le confessent. Pour chaque action sur une app, notre cerveau reçoit un « shoot » de plaisir, la dopamine. Ce qui est intéressant à observer selon les scientifiques qui étudient le phénomène, c’est que ce n’est pas la récompense en tant que telle qui crée une addiction mais la perspective de recevoir cette récompense satisfaisante. C’est pour ça qu’on se retrouve à consulter frénétiquement son smartphone même s’il n’y a aucune raison de le faire.

Si vous ne l’avez pas encore vu, regardez « Derrière nos écrans de fumée » sur Netflix qui explique tout ça très bien. Pour les grandes entreprises de la tech, la véritable matière première, en gros ce qu’elles vendent, c’est notre attention. Et leurs clients, les vrais clients de ce business de l’attention, c’est les annonceurs qui achètent du « temps de cerveau disponible » pour diffuser leur message publicitaire quand vous êtes là.

Leur intérêt à tous, il est très simple, ce n’est pas un secret : il faut que l’utilisateur reste le plus longtemps possible sur l’application pour vendre le plus de temps d’attention.

Les algorithmes volent votre temps

C’est pour ça qu’ils ont crée des algorithmes qui rendent accrocs. C’est le jeu, mais est-ce qu’on ne nous aurait pas trompés sur les règles quand on a commencé la partie ?
On ne le réalise pas vraiment mais il n’y a jamais eu dans l’histoire un outil aussi puissant, en mesure de prévoir tout ce qu’un individu va désirer avant même que ça ne lui vienne à l’esprit, et finalement, capable de forger la pensée d’un autre. Ces outils sont devenus tellement fort pour présenter le contenu qui va forcément plaire à l’utilisateur, le retenir devant son écran et lui faire perdre beaucoup, beaucoup de temps…

On critique ce système, mais on continue à l’alimenter, peut-être que cet article est apparu sous vos yeux parce que vous étiez en train de lire un article sur le même sujet ou parce qu’il a été partagé sur un réseau social. On est tous coincé dans cette boîte, critiquer un système c’est continuer de l’alimenter. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut rien faire ou qu’on doit les détester et se mettre à tout rejeter en bloc. Non, par contre on peut s’offrir quelques minutes de réflexion pour prendre de la distance et apprendre à les utiliser consciemment.

Si je regarde des vidéos débiles pendant une heure, mais si j’en suis conscient et si je le fais parce que je me fais du bien en y mettant des limites, c’est cool. On se fait plaisir en mangeant un bon McDo de temps en temps, mais on sait que ce n’est pas parce que ça nous procure du plaisir qu’il faut le faire tous les jours. Nous en sommes là avec nos smartphones.

En ce moment où nous n’avons plus notre vie sociale pour rester connectés avec le monde extérieur, il est devenu vraiment important de prendre conscience de la véritable valeur de notre attention face à des outils qui font leur argent en travaillant sur notre inconscient.

Alors c’est quoi la solution ?

C’est probablement pas une solution de tout arrêter, de ne plus avoir aucune interaction sociale en ligne et attendre encore de longs mois en espérant pouvoir à nouveau voir ses amis comme on veut. Internet c’est génial pour tellement de raisons qu’on ne pourrait pas les énumérer ici mais ce postulat ne devrait pas nous empêcher de questionner la direction prise par le progrès.

C’est les anciens designers des apps qui nous ont rendu accroc qui le concèdent eux-mêmes. Tristan Harris, ex-employé de Google est un peu devenu le porte-parole de cette idée. Il multiplie les conférences sur la valeur de l’attention et du temps que l’on cède à nos smartphones : « c’est des millions d’heures qui sont volées à la vie des gens ».

Ils sont nombreux à le rejoindre et ce qui est remarquable, c’est que c’est au coeur même de la Silicon Valley là même où toutes ces technologies sont nées, qu’est en train d’émerger cette nouvelle vision « techno critique ». Ils ne sont pas anti tech ou anti quoi que ce soit d’ailleurs, ils veulent juste dire « hey il y a une autre voie possible au progrès sinon notre utilisation d’Internet va vraiment devenir hors de contrôle et va occuper 99% du temps de notre journée ».

Le jour où on sortira de cette vie par procuration à travers les écrans, confiné chez nous, on gardera ces mauvaises habitudes si l’on n’y réfléchit pas dès maintenant.

La quête de la technologie apaisée

Au détour de mes balades en ligne, je suis tombé sur le billet de blog de Sylvain qui présentait une idée tout à fait nouvelle pour moi. C’est le « smartphone apaisé », une idée qui est celle du designer Morgan Seguy et qui remonte déjà à 2012 où il expliquait dans un Tedx Panthéon Sorbonne, à quoi ressemblerait ce fameux objet.

Sylvain explique que l’idée semée par Morgan Seguy a ouvert la voie à plein de petites initiatives aussi créatives et enthousiasmantes les unes que les autres, mais il en a retenu une : le Light Phone. Je l’ai interviewé pour qu’il en parle dans notre vidéo : « Si ton téléphone a moins de fonctionnalités, tu n’es pas soumis aux boucles d’addiction des plateformes, tu l’utilises donc moins ». En soi, c’est vrai que ce smartphone revient un petit peu à revenir en arrière, qu’il suffirait certainement de remettre sa carte SIM dans un vieux téléphone qui se limite à l’essentiel sauf que ça n’a rien à voir, en tout cas pour moi. On est une génération qui a subi le marketing à grands coups de marteau sur nos esprits et chaque objet que l’on consomme nous renvoie à un sentiment d’appartenance. C’est très intelligent d’avoir créé un objet nouveau, beau et aussi intelligent alors qu’ils proposent grosso modo les mêmes fonctionnalités qu’un 3310. Je vous invite à regarder notre vidéo si vous souhaitez en savoir plus sur l’expérience de Sylvain avec le Light Phone. Si on utilise le Light Phone, ou toute autre initiative d’un smartphone apaisé, on participe d’une certaine manière au développement d’une autre vision de la tech. C’est autrement plus enthousiasmant que de revenir en arrière avec un vieux téléphone.

Sylvain m’a raconté que même s’il a trouvé l’idée géniale, la transition vers le smartphone apaisée n’a pas marché. Il a progressivement repris ses mauvaises habitudes sur son smartphone habituel. Mais il a depuis trouvé une solution alternative qui est beaucoup moins exigeante. Il a installé le launcher Android « declutter » qui s’inspire du design minimaliste du Light Phone. On y retrouve un menu très sobre et la possibilité de retrouver les apps qui manquent pour l’instant au Light Phone.

Ce qui change c’est qu’on est plus jamais seul avec le smartphone

Pourtant la solitude n’est pas forcément négative, si elle n’est pas subie. Bien au contraire, elle est nécessaire au travail introspectif que l’on a tous besoin de faire. Cyrus North en parlait très bien dans sa vidéo sur le pouvoir de solitude. « En anglais, ils ont solitude et loneliness. Le premier est teinté de tristesse et le deuxième nous manque dans la langue française, c’est deux états complètement différents. Or la solitude on en a besoin, elle est nécessaire pour contempler nos actions et développer notre conscience ». Prendre de la distance avec notre smartphone revient à accepter la solitude et tout ce qu’elle implique.

On ne peut pas contrôler l’épidémie ni l’économie, toutes ces choses nous échappent et sont d’ailleurs hors de contrôle pour tout le monde. Mais on peut reprendre le contrôle sur notre utilisation des technologies et sur notre temps, nos actions et notre comportement.

Et c’est juste une bonne chose de se poser un petit peu, faire le point avec soi-même : quel genre de vie je veux vraiment mener ? Quelles sont mes priorités ? Ça peut sembler trivial, mais sauriez-vous me dire la dernière fois où vous vous êtes posé l’une de ces questions ?

L’organisation de notre temps est en notre pouvoir, il n’y aura rien de plus efficace que de traiter ce problème avec un stylo et une feuille de papier en réfléchissant comment on veut utiliser son temps pendant la journée. Peut-être justement qu’une part de ce temps sera consacrée à passer du temps sur Internet, si c’est un choix conscient c’est cool. C’est tout à fait différent que de subir cette forme de « servitude volontaire » qui aurait fait rougir de colère La Boétie s’il avait pu voir.

Concrètement une des choses qu’on peut faire, c’est de commencer par utiliser les outils de limitation d’écrans disponibles sur Android et iPhone. Personnellement, j’ai essayé et ça m’aide à réaliser que j’ai tendance à prendre mon téléphone pour me vider la tête, j’ai développé le réflexe de le prendre sans réel objectif pour faire défiler ma timeline en attendant de tomber sur un truc qui m’arracherait un rictus. Mais avec temps d’écran, ça m’oblige à me demander à chaque fois : « je voulais faire quoi là en fait ? », si je n’ai pas d’objectif précis, c’est que je peux m’en passer.

Il faut essayer de passer une journée sans smartphone

On est tous nombreux à ne plus passer une seule journée sans smartphone depuis de nombreuses années. Mais quand on y pense, c’est tellement étrange.

J’ai envie de retrouver cette sensation qu’on a perdu ou qu’on cherche à fuir : l’ennui. On a besoin de ces moments avec moins d’éléments stimulants et surtout, il faut arrêter de tout faire pour les éviter. Ce sera l’occasion de prendre du temps pour soi. C’est dans ces moments d’introspection qu’on se développe, ou en faisant une balade, on peut prendre l’air sans se mettre en danger, ni mettre les autres en danger malgré la pandémie. C’est des petits trucs qui nous feront du bien à tous en cette période difficile.

Tout ce qui peut nous détacher un peu des écrans sera bénéfique, c’est ce qui va nettoyer l’esprit. Même si l’on habite en ville, il y a forcément de chouettes balades à faire qui permettront de décrocher un peu. Personnellement, je dois beaucoup à Chillowé et à ses excellentes recommandations de balades autour de Paris.

On espère vous avoir aidé à comprendre un peu mieux ce qui est en jeu en ce moment avec ce billet et cette vidéo. Les réseaux sociaux sont de grosses agences de pub, désignés pour être orientés uniquement vers le profit. C’est le business mais ça se fait au prix de la santé mentale de millions de personnes et en particulier des plus jeunes. Il est temps d’en prendre conscience parce qu’ils diront que finalement, c’est de votre faute si vous n’avez pas su dire stop.