Les votes pour la formation d’un syndicat au sein de l’entrepôt américain d’Amazon de Bessemer sont actuellement étudiés. Si le vote est en faveur du syndicat, cela incarnerait une première pour l’entreprise connue pour être anti-syndicaliste. Depuis le 20 octobre 2020, les salariés de l’entrepôt d’Amazon de Bessemer dans l’Alabama se mobilisent pour récupérer la signature d’au moins 30 % des salariés, un seuil obligatoire pour organiser un référendum afin de créer un syndicat. Depuis le 29 mars 2021, après que certains employés aient passé des jours et des nuits devant l’entrée de l’entrepôt de Bessemer, la consultation pour la création d’un syndicat est terminée. Le National Labor Relations Board (NLRB) – une agence indépendante du gouvernement fédéral américain notamment chargée de conduire les élections syndicales – dépouille actuellement les bulletins de votes envoyés à 5 800 salariés. D’après les informations de Reuters le résultat sortira d’ici une semaine après qu’Amazon et le syndicat aient vérifié l’éligibilité des bulletins de vote.

Si le vote est en faveur du oui, les salariés de l’entrepôt de Bessemer, basé à proximité de la ville de Brimingham au sud-est des États-Unis, seront représentés par le syndicat de distribution Retail, Wholesale and Department Store Union (RWDSU). L’avancée pourrait être historique avec des répercussions sur l’ensemble des États-Unis : « Si le syndicat parvient à faire cela, c’est vraiment révolutionnaire », soutient l’ancienne présidente de la NLRB Wilma Liebman à Reuters.

À l’origine de la revendication syndicale, se trouve Darryl Richardson qui a rencontré à la fin de l’été 2020 des dirigeants du RWDSU. L’homme n’avait alors aucune idée de l’ampleur des répercussions de son action : « Je suis encore surpris », avoue-t-il au Monde. Son objectif : créer un syndicat au sein de l’entreprise réputée pour ne pas les tolérer.

Pour le président du NLRB, Stuart Appelbaum, la campagne a déjà porté ses fruits : « Cette campagne a déjà été une victoire à bien des égards. Même si nous ne savons pas comment le vote va se dérouler, nous pensons que nous avons ouvert la porte à davantage d’organisation à travers le pays ». Depuis le début des mobilisations dans l’Alabama, le RWDSU a reçu plus de 1 000 requêtes venues d’une cinquantaine d’entrepôts.

Amazon paie ses employés 15 dollars de l’heure, mais à ce prix-là, pas de pause toilettes

L’entrepôt de Bessemer a été ouvert au début de la pandémie. À ce moment-là, le maire de la ville a salué « l’investissement le plus conséquent de l’histoire de la ville ». Il va sans dire qu’aujourd’hui le tableau s’est noirci. « Les employés sont licenciés sans raison. Il y a beaucoup de choses qui doivent changer, être améliorées. On veut du respect, on veut de la dignité et on se bat pour l’obtenir », expose à RFI Darryl Richardson.

Les revendications des salariés se concentrent en partie sur les temps de pauses et les salaires. Amazon paie ses salariés deux fois le salaire minimum américain, soit 15 dollars de l’heure. À noter que l’entreprise de Jeff Bezos n’est pas la seule à mieux payer ses salariés. Par le passé Darryl Richardson a travaillé dans l’industrie automobile, où grâce à des actions syndicales, les salaires sont passés de 12,50 dollars à 23,50 dollars. Des efforts peuvent donc encore être faits par Amazon. Au début de la pandémie, une prime de 2 dollars a été mise en place… puis supprimée deux mois plus tard alors qu’Amazon a connu une année record. Amazon attribue également une couverture sociale à ses employés.

Ces avantages se paient avec des journées de 10 heures comprenant 2 pauses de 30 minutes, mais aussi au prix de la santé des employés : extrême fatigue, crampes, articulations douloureuses, etc. Par ailleurs, faute de temps, les employés se retrouvent à uriner dans des bouteilles et à déféquer dans des sacs en plastique. Des faits niés par l’entreprise lui valant un bad buzz. D’autant plus que The Intercept a recuilli un e-mail datant de mai 2020 à destination des responsables d’Amazon les informant que « les chauffeurs ne peuvent pas, NE DOIVENT PAS, rapporter à la station des sacs avec du caca dedans ». Un article de MotherBoard recense plusieurs photos de bouteille remplie d’urine par des salariés d’Amazon.

Des situations qui ont vite fait déchanter certains nouveaux venus dans l’entreprise. C’est le cas de Lafonda Townsend qui s’est d’abord réjouie de ses avantages, « mais c’était avant que je voie à quel point c’est dur. La salle de pause est très loin, et il faut manger comme un prisonnier, hyper vite, pour être revenu à temps, parce que si vous avez une minute en retard, on vous compte une heure non payée », explique-t-elle à l’AFP pour BFM TV.

Néanmoins, tous les employés ne soutiennent pas la création du syndicat et les différentes déclarations sur les conditions de travail. « Si toute cette négativité et ces histoires horribles étaient vraies, cela voudrait dire qu’il y a 5 800 idiots qui travaillent dans le bâtiment. Or je ne travaille avec aucun idiot, et je ne suis pas une idiote », témoigne à l’AFP Dawn Hoag, responsable qualité de l’entrepôt. Dans le même temps, Dawn Hoag se félicite d’avoir perdu quelque 50 kilos, en partie grâce aux kilomètres parcourus dans les entrepôts. Pour elle, les employés d’Amazon n’ont pas besoin de représentants.

Au-delà des conditions de travail, l’optimisation fiscale d’Amazon pointée du doigt

« Comme la plupart des employeurs américains, Amazon veut maintenir son pouvoir sur tout, et s’assurer que les travailleurs ne peuvent rien négocier », estime Rebecca Givan, professeure en relations sociales à la Rutgers University. Amazon est le deuxième plus grand employeur du pays et n’a jamais masqué son hostilité envers les syndicats. Dans le cas de l’entrepôt de Bessemer, Amazon a mené une campagne SMS incitant les salariés à ne pas voter pour la formation du syndicat au risque de voir certains de leurs avantages actuels sacrifiés. Pour le RWDSU, le syndicat ne peut pas diminuer les acquis sociaux.

En 2020, l’entreprise qui emploie plus d’un million de travailleurs a presque doublé son bénéfice net pour atteindre 21 milliards de dollars. Malgré ce résultat, il parait difficile pour Amazon de payer des impôts. Dans une vidéo publiée sur Twitter, la sénatrice Elizabeth Warren dénonce qu’alors que l’impôt sur les sociétés aux États-Unis s’élève à 21%, et qu’Amazon a gagné plus de 40 milliards de dollars sur les années 2018 à 2020, Amazon n’a payé que 4,5% d’impôts en moyenne.

La sénatrice plaide pour un impôt davantage corrélé avec les bénéfices d’Amazon. Ce à quoi l’entreprise a répondu : « Vous faites les lois fiscales @SenWarren; nous les suivons tout simplement. Si vous n’aimez pas les lois que vous avez créées, changez-les par tous les moyens ». Des propos nuancés par Elizabeth Warren : « Je n’ai pas créé les failles que vous exploitez… vos armées d’avocats et de lobbyistes l’ont fait ». Aux États-Unis, au niveau fédéral, Amazon est le deuxième plus grand lobby après Facebook.

Les démocrates travaillent actuellement sur un nouvel impôt sur la fortune. Si cela aboutit, Jeff Bezos devrait payer 5,4 milliards de dollars d’impôts supplémentaires selon des données de Bloomberg. Ces 5,4 milliards de dollars équivalent à 2,83 % de sa fortune personnelle, estimée à 191 milliards de dollars par Les Echos.

Ailleurs dans le monde, la situation est également tendue pour Amazon. Depuis le lundi 29 mars 2021, et pour 4 jours, les employés allemands d’Amazon sont en grève pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail durant la crise sanitaire, ainsi que le refus d’Amazon d’adhérer à des conventions collectives plus favorables aux employés. 6 sites d’Amazon sont concernés et 2 000 employés étaient en grève lundi. En Inde, les livreurs Amazon se préparent également à une grève nationale qui pourrait rassembler jusqu’à 15 000 employés.