Pendant la campagne présidentielle, Amazon a financé le parti démocrate. Jay Carney, le porte-parole de l’entreprise, entretient des liens de longue date avec Joe Biden. De fait, l’élection du 46ème président américain pourrait être de bon augure pour le géant du commerce en ligne. Mais vu le contexte actuel, rien ne semble gagné, au contraire. Amazon fait face à des procès antitrust en Europe et aux États-Unis. Le dernier en date se concentrant sur les e-books. Au-delà de l’étude de la position anticoncurrentielle d’Amazon, le renforcement des normes en matière de protection de la vie privée, et de nouvelles impulsions en faveur des travailleurs et des syndicalistes pourraient venir perturber l’empire de Jeff Bezos.

Mis à part une préoccupation quant à leur pouvoir dominant, Joe Biden a donné peu d’indications sur la manière dont il aborderait la question antitrust. D’après CNBC, certains signes annonceraient une politique plus rigide vis-à-vis des géants de la tech. Et ce, en opposition avec la dernière administration démocrate. En effet, celle de Barack Obama a été critiquée pour entretenir des liens étroits avec les géants du numérique.

Sous l’administration Trump, les syndicats ont été mis à rude épreuve. Prenant le contre-pied, Joe Biden a clamé pendant sa campagne être « le président le plus pro-syndical ». Le nouveau président américain a également exprimé son soutien à la loi sur la protection du droit syndical, qui a été adoptée à la Chambre des représentants. Celle-ci prévoit des amendes aux entreprises qui entravent la liberté syndicale de leurs employés. Pour le moment, le temps est à l’incertitude. Cette loi sur la protection du droit syndical doit encore être adoptée par le Sénat. Un professeur d’études sur le travail à l’Université de l’Oregon, qui est aussi chercheur à l’Institut de politique économique, Gordon Lafer, reste sceptique : « Je dirais que cette loi a très peu de chances d’être adoptée ». Néanmoins, si cette loi passe, les pratiques d’Amazon, qui est connu pour surveiller l’activité syndicale de ses employés, devront être modifiées.

Vers un renforcement de la sécurité des salariés

Sur le salaire minimum Amazon et Joe Biden se retrouvent. L’entreprise de Jeff Bezos a fixé pour ses employés américains une rémunération minimum à 15 dollars de l’heure, contre 7,25$ dans une grande partie d’États. Dans un tweet en réponse à Joe Biden, l’entreprise a fait savoir qu’elle aimerait en faire une norme nationale. Une démarche positive, mais noircie par les questions de sécurité sur les lieux de travail. En effet, la sécurité des salariés n’est pas le point fort d’Amazon. En Californie, le géant du commerce en ligne fait actuellement l’objet d’une enquête sur ses conditions de travail au sein de ses entrepôts.

La présidence d’Obama a augmenté la protection sur les lieux de travail, tout en développant les notions de sécurité et de santé au travail. Ces réformes ont été annulées sous l’administration Trump, et elles pourraient à nouveau être à l’ordre du jour sous Joe Biden. Le nouveau président américain prévoit de renforcer ce cadre législatif, notamment en augmentant le nombre d’enquêteurs de l’agence pour la sécurité et la santé au travail (OSHA). Avec plus de personnel, l’agence sera plus apte à prendre en charge des plaintes déposées par des employés, à inspecter des installations, ou encore à infliger des amendes, affirme une ancienne responsable de l’OSHA, Debbie Berkowitz. Un des objectifs serait d’obliger les entreprises à signaler informatiquement leurs accidents du travail. « Le fonctionnement de l’OSHA a été arrêté, mais il va reprendre […] L’OSHA répondra à nouveau aux plaintes par des inspections et il y aura une volonté de faire appliquer la loi pour protéger les travailleurs », soutient Debbie Berkowitz.

En janvier 2021, Amazon a renforcé son équipe chargée de la sécurité des travailleurs, notamment en embauchant une ancienne avocate de l’OSHA en tant que responsable de la gouvernance et de la conformité. « Ils sont en train de se battre contre les inspections de l’OSHA », alerte Debbie Berkowitz. Rachael Lighty, une porte-parole d’Amazon soutient que l’entreprise fait preuve de bonnes intentions : « Aujourd’hui, notre équipe internationale chargée de la santé et de la sécurité sur les lieux de travail est composée de plus de 5 000 employés qui utilisent l’innovation, la technologie et les données d’Amazon, combinées à une expérience et un leadership exceptionnels dans le secteur de la sécurité, pour garantir les normes les plus élevées afin d’assurer la sécurité de nos employés ».

Joe Biden n’est pas partisan de la section 230

Autre point qui suscite des inquiétudes du côté d’Amazon, mais aussi de manière plus générale chez les GAFA, la section 230. Cet article stipule qu’un « service informatique interactif » ne peut pas être considéré comme l’éditeur d’un contenu tiers. En d’autres termes, cela signifie que les sites internet ne sont pas tenus responsables des contenus publiés par leurs utilisateurs, même s’ils sont illégaux. Pour Joe Biden, la responsabilité des plateformes sur les contenus qu’elles hébergent doit être renforcée. La prise du Capitole ne peut qu’appuyer cette position.

Si la situation d’Amazon est légèrement différente de celle des réseaux sociaux, l’essence reste la même. Le leader de la vente en ligne n’est pas tenu responsable des articles vendus sur son site, leurs descriptions, ou encore leurs commentaires. Pour l’entreprise de Jeff Bezos, la section 230 est évoqué comme un de ses moyens de défense, par exemple si un utilisateur de la plateforme met en ligne un article défectueux. Amazon a également utilisé cet article pour justifier la suppression du réseau social Parler, un canal très populaire chez les pro-Trump, auparavant hébergé sur AWS. Suite à cette exclusion, Parler a attaqué Amazon en justice.

De futures lois plus contraignantes sur la reconnaissance faciale

Dernier point, mais pas des moindres, la reconnaissance faciale. Amazon la développe depuis plusieurs années et elle fait l’objet de critiques. Ce qui a amené, en juin dernier, l’entreprise de Jeff Bezos à ne plus fournir à la police des États-Unis des logiciels de reconnaissance faciale. Toutefois, l’entreprise est restée flou sur l’application de cette mesure aux agences fédérales. Une précision qui a son importance.

En 2019, Amazon a annoncé que son service juridique travaillait à l’élaboration de textes de lois pour encadrer le développement de la reconnaissance faciale. Avec les démocrates au pouvoir, de nouveaux projets de loi sur les technologies de reconnaissance faciale, mais aussi plus généralement sur la vie privée, pourraient être remis sur la table. Joe Biden et la vice-présidente Kamala Harris reconnaissent la nécessité de modifier les lois à ces sujets. En 2018, Kamala Harris a averti des agences fédérales sur la création et le renforcement de préjugés raciaux et sexistes induits par la reconnaissance faciale. Un projet de loi sur la reconnaissance faciale et les données biométriques pourrait limiter leur utilisation pour les agences fédérales. Le nouveau président a pris pour exemple les normes européennes, en affirmant que les États-Unis « devraient établir des normes semblables à celles que les Européens appliquent en matière de vie privée ».