Dans le cadre du départ de Sébastien Soriano de la présidence de l’Arcep le 4 janvier 2021, les interrogations ont vite fusé sur le prochain nom qui pourrait y être propulsé. Des interrogations qu‘Emmanuel Macron a vite éclairci, confirmant les rumeurs qui couraient en proposant la nomination de Laure de la Raudière. Dans un communiqué délivré mardi 5 janvier 2021, le Président de la République l’a rendue officielle : sous les conseils du premier ministre Jean Castex, il choisit cette experte du numérique, ancienne Normalienne et diplômée des Télécoms.
L’ex patron, lui, a été nommé à la tête de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Laure de La Raudière pourrait bien devenir la première femme à diriger l’autorité de la régulation des communications électroniques, des postes, et de la distribution de la presse : il ne lui reste qu’à rassembler l’approbation du Sénat et de l’Assemblée pour valider sa nomination.
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Une experte du secteur avant tout
Qui est donc cette députée d’Eure-et-Loire et experte des télécoms ? Âgée de 55 ans, sa carrière est bien remplie. Issue d’une famille de la bourgeoisie subsistante de l’Ancien Régime, elle a intégré L’Ecole Normale Supérieure en spécialisation Sciences. Après avoir obtenu son diplôme d‘ingénieur des télécoms à Télécom Paris, elle travaillera pendant près de dix ans pour France Télécom. Au sein de l’actuel Orange, elle enchaînera les postes à responsabilité et fera ses gammes, affûtant sa connaissance du secteur. Proche de Bruno Le Maire et de la droite, elle ne tardera pas à s’engager en politique.
Élue depuis juin 2007 pour siéger à l’Assemblée Nationale, elle est membre de la commission des Affaires économiques. Très vite, elle déplore un manque de connaissance flagrant sur le numérique et ses nombreux enjeux de la part des élus qui siègent à ses côtés. Elle en fera ainsi son cheval de bataille : informer sur l’importance de la data, de l’intelligence artificielle, des objets connectés.
Parfois, on l’entendra également sur des sujets ayant à voir davantage avec la femme et ses croyances qu’avec l’experte en nouvelles technologies. Elle s’exprimera ainsi en 2012 sur le projet de loi légalisant le mariage homosexuel en France, s’y opposant fermement. Elle soutient également la revitalisation des zones rurales en France, un thème indirectement lié au numérique, concerné de par la fracture numérique qui y est présente. Elle avait d’ailleurs invectivé le gouvernement Cazeneuve à ce propos en 2017, l’accusant de “laisser crever nos territoires ruraux”.
Femme de convictions, elle a progressivement pris ses marques dans le paysage politique, d’abord sous la bannière de l’UMP (devenue Les Républicains par la suite), notamment par sa participation active à la campagne de Bruno Le Maire pour la présidentielle 2017. Puis, en prenant part à la création du parti de centre-droite “Agir”, issu de la scission avec les Républicains. Elle en est d’ailleurs aujourd’hui la vice-présidente.
Une femme politique donc, qui n’en a pas moins mis de côtés son expertise technique dans les débuts. Associée dans Pertinence, une startup de développement de logiciel de datamining jusqu’en 2002, Laure de La Raudière a aussi été impliquée dans des sociétés de conseil en réseau, infrastructures et télécoms auprès de grandes entreprises, dont une qu’elle a fondé : Madisy Conseil. On peut également citer Navigacom, un cabinet de consultants dans le domaine des nouvelles technologies dont elle a été la directrice générale pendant 4 ans, et dont Médiapart indique qu’il aurait travaillé avec “70% du CAC 40”.
De tout cela, on peut retenir que ses racines sont dans le secteur privé, et non purement dans la politique. En effet, chose rare pour un nominé à la tête de l’Arcep, Laure de la Raudière n’est pas issue du Conseil d’État. Comme le rappelle Le Figaro, la tradition veut que la présidence de l’Arcep revienne à un conseiller d’État, membre du juge administratif le plus haut. Ce dernier est un conseiller chargé de donner son avis sur la légalité et les opportunités des projets de loi, issu de l’administration ou du secteur privé, et dont l’expertise et l’impartialité prévalent en théorie.
De tout cela, on peut retenir que ses racines sont dans le secteur privé, et non purement dans la politique. En effet, chose rare pour un nominé à la tête de l’Arcep, Laure de la Raudière n’est pas issue du Conseil d’État. Comme le rappelle Le Figaro, la tradition veut que la présidence de l’Arcep revienne à un conseiller d’État, membre du juge administratif le plus haut. Ce dernier est un conseiller chargé de donner son avis sur la légalité et les opportunités des projets de loi, issu de l’administration ou du secteur privé, et dont l’expertise et l’impartialité prévalent en théorie.
Si elle n’en fait pas partie, elle ne reste pas moins un choix qui s’explique facilement. Une carrière bien remplie, du secteur privé à la politique, un pied dans l’entrepreunariat et le consulting et un suivi attentif de l’actualité du numérique en font une femme préparée. Récemment, elle avait co-rapporté une mission d’information parlementaire sur la Blockchain, alors que les usages de cette technologie ne font que grandir au vu des efforts de nombreux États du monde dans le développement de leur monnaie numérique de Banque Centrale.
Un rapport qui s’ajoute à de nombreux autres, qui prouvent bien son aisance sur le vaste terrain du numérique. En janvier 2020, elle avait aussi rédigé le rapport d’information sur la couverture mobile et numérique du territoire, qui rejoint ses convictions sur la revitalisation des territoires ruraux lorsqu’elle y insiste pour voir s’opérer une accélération des “déploiements et de conserver l’ambition d’un égal accès à un très haut débit de qualité et du raccordement à la fibre pour tous d’ici à 2025 pour l’ensemble des territoires”. Ses contributions politiques, sous la forme d’amendements défendus, de commissions, d’interventions ou de rapports, peuvent être consultés sur le site de l’Assemblée Nationale.
La nomination d’une femme, qui par ses expériences et son CV fait montre d’une claire expertise pour le poste auquel on la hisse, est rafraichissant. Elle ne sera pas la seule femme à la tête d’une agence étatique indépendante : l’Autorité de la concurrence et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sont aussi présidées par des femmes. Seul bémol paradoxal la concernant, son expertise est justement pointée du doigt négativement. Pour cause, elle l’a acquis principalement dans le secteur privé, ce qui pose question lorsque l’on se retrouve nommée au sein d’une entité régulatrice qui se veut indépendante. L’indépendance, c’est ce qu’on reproche à Laure de la Raudière qui, loin d’être sans bagages, est même unanimement applaudie pour ses compétences objectives et la pertinence de les voir se mettre en application à la tête de l’Arcep.
Une carrière un peu trop privée, et un réseau macronique qui dérangent
La carrière bien remplie de Laure de la Raudière n’a pas tardé à faire polémique. Le 4 janvier déjà, avant l’annonce officielle de sa nomination, on avait pu entendre Xavier Niel exprimer son aberration, tonitruant sur le plateau de BFM Business. Alors que Les Echos titrait le 3 janvier “La députée Laure de La Raudière, favorite pour la présidence de l’Arcep”, évoquant ses informations qui tendraient à la tenir pour favorite, le fondateur d’Iliad n’y croit pas. “Nommer à la tête d’une autorité indépendante quelqu’un qui a bossé quinze ans chez Orange, cela me paraît assez surprenant, je pense que Les Échos ont commis une erreur, c’est une coquille” déclarait-il sur le plateau de Tech&Co.
Son réseau est également pointé pour n’être qu’un nouveau symptôme d’un gouvernement malade, qui se renferme sur lui-même. Laure de la Raudière est une proche de la première heure de Bruno Le Maire, dont elle a le soutien. Lui-même ministre de l’Economie au sein du gouvernement Castex, ce réseautage abîme quelque peu l’image d’indépendance et d’impartialité qu’on voudrait voir coller à une future présidente de l’Arcep. Pour rappel, ce dernier est une autorité administrative indépendante (AAI) qui est chargée d’assurer la régulation du secteur des télécoms et des postes, mais “en toute indépendance par rapport au pouvoir politique et aux acteurs économiques” comme on peut lire sur leur site.
« On a une autorité indépendante en France qui depuis 20 ans a fait le boulot pour permettre à la concurrence d’exister. Et ça me paraîtrait incohérent d’avoir un gouvernement ou un président ou un premier ministre qui prenne une décision qui soit celle-ci », poursuivait le patron de Free. Il faut dire que plusieurs événements poussent à douter de l’impartialité dont pourrait faire preuve la future dirigeante, pas seulement liés à sa carrière au sein du secteur privé. En 2011, alors que Laure de La Raudière siégeait à l’Assemblée, le gouvernement avait fait voter un amendement qui remettait en cause le caractère indépendant de l’Arcep, lui apposant un commissaire du gouvernement.
Une bride étatique contraire aux principes de l’entité régulatrice qui avait suscité une vive polémique. “Ainsi, Laure de La Raudière estime parfaitement normal que le gouvernement puisse faire entendre sa voix auprès du régulateur, mais aimerait que “le champ d’action de son représentant soit précisé. Il faut définir par la loi les débats dans lesquels le commissaire pourra intervenir et éviter qu’il prenne position lors des questions de régulation asymétrique, qui concernent France Télécom”, dont l’État reste actionnaire à 26,9%, avance la députée UMP de l’Eure-et-Loir” écrit alors Les Echos.
On peut donc reprocher à la future potentielle présidente de l’Arcep ses galons, acquis majoritairement dans le privé, et ses contacts et choix politiques, fruits d’une carrière au service de la digitalisation et de ses enjeux. Est-ce que cela influera sur ses compétences et son habilité à remplir ses fonctions ? Rien n’est moins sûr, tant ces reproches ne sont finalement que des écarts en puissance, le péché du conflit d‘intérêt n’ayant pas encore été consommé. Nous aurons tout le loisir de vite nous apercevoir de la probité et de la droiture de Laure de La Raudière, tant l’agenda dont elle s’apprête à hériter lui réserve quelque peu de travail à l’Arcep.
Un agenda déjà chargé à l’Arcep
Le sujet principal sur lequel on attend l’Arcep dans les mois qui suivent est évidemment la 5G, dont le Président Emmanuel Macron a annoncé dès septembre prendre le tournant. Les principaux opérateurs tels qu’Orange, SFR, ou Bouygues Télécom commencent dès lors la commercialisation de la 5G en France, dont on estime que la construction du réseau prendra dix ans. Bouygues Télécom, en particulier, avait annoncé le lancement de sa couverture 5G dès le 1er décembre 2020, qui fonctionnera cependant sur un cœur de réseau 4G jusqu’en 2023.
L’Arcep, comme elle l’écrit elle-même sur son site internet, a un rôle clé pour préparer le déploiement de cette nouvelle génération de communication et ce nouveau réseau plus puissant. Ce dernier pourrait révolutionner nos communications, apportant de nouvelles potentialités aux voitures autonomes, ou à la chirurgie robotique. Elle avait ouvert en 2018 un guichet “pilotes 5G”, afin de tester les potentiels déploiements pratiques de pilotes 5G (au sein des ports, hôpitaux, routes connectées…).
En général, le gendarme des télécoms se positionne en veilleur des modèles économiques et des enjeux clés de demain. Une mission que devrait reprendre sans difficulté la future dirigeante. Il s’agira notamment de lutter contre les zones blanches, ces espaces français, souvent ruraux, mal couverts par les réseaux téléphoniques. Laure de La Raudière elle-même s’est fait grandement entendre sur le sujet de la couverture numérique et des télécoms. Avec les polémiques liées au déploiement de la 5G, accompagnées de ses enjeux économiques, sociaux et stratégiques, l’Arcep ne devrait pas s’ennuyer.
Au beau milieu de la crise sanitaire, tous les secteurs se doivent de faire preuve de résilience, le numérique en premier. On attend aussi l’Arcep sur l’arrêt du réseau cuivre, qui débutera dès 2023, et dont il faut préparer les conséquences. Les Numériques pointent aussi la reprise des mesures initiées par l’ex-président Sébastien Soriano, concernant l’impact environnemental des réseaux.
Le 4 janvier, l’Arcep rappelait à l’ordre SFR pour la deuxième fois en trois mois. Le gendarme des télécoms a ainsi donné raison à Free, et condamné les prix de gros en hausse que SFR FTTH facturait aux autres opérateurs qui utilisaient son propre réseau de fibre optique. Les plaintes et les contestations entre opérateurs sont monnaies courantes pour l’Arcep, chargé d’arbitrer. C’est une des tâches dont Laure de La Raudière héritera.
En résumé, un nom qui fait polémique, une expertise qui ne fait aucun doute, et un agenda déjà chargé pour Laure de La Raudière. Avant de s’y atteler, elle devra cependant s’assurer l’aval de l’Assemblée Nationale et du Sénat. En pratique, elle devrait se voir auditionnée par la Commission des Affaires économiques, de l’environnement et du territoire au sein de l’Assemblée nationale. Cela ne devrait pas lui être trop dépaysant, puisque la député de l’Eure et Loire y siège usuellement. Deuxième étape : Laure de La Raudière se dirigera ensuite vers la Commission des Affaires économiques au sein du Sénat, afin qu’ils s’assurent de son habilité pour la présidence de l’Arcep.