La journée du 6 janvier 2021 restera à jamais gravée dans l’histoire des États-Unis. Alors que le Congrès se réunissait pour confirmer la victoire de Joe Biden aux élections présidentielles, des centaines de manifestants se sont introduits de force dans le Capitole, emblème sacré de la démocratie américaine. Une première en 227 ans d’existence, née sous l’impulsion de Donald Trump.

Durant des mois, l’actuel président des États-Unis a utilisé les réseaux sociaux pour attiser la colère de ses partisans. Clamant inlassablement et sans aucune preuve que les élections avaient été truquées et que la démocratie leur avait été volée, Donald Trump préparait déjà, consciemment ou non, un terrain propice à la violence et aux débordements. La question est donc légitime : quel rôle ont joué les plateformes sociales dans la prise du Capitole, et comment ont-elles géré cette crise sans précédent ?

Pros-Trump : une escalade de la colère à laquelle il fallait s’attendre ?

Au mois de novembre dernier, les Américains ont élu Joe Biden comme futur président des États-Unis. Une issue qui n’a pas été du goût de Donald Trump. Avant même la fin du décompte des bulletins de vote, l’actuel résident de la Maison Blanche s’est emparé de son compte Twitter pour contester les résultats, affirmant sans aucune preuve à l’appui, que les votes avaient été truqués. Dans le même temps, il demandait à ce que le dépouillement soit arrêté : “ARRÊTEZ LE COMPTAGE !”, écrivait-il sur Twitter le 5 novembre 2020.

Reprenant le tweet de leur président comme slogan, des centaines de partisans pros-Trump se sont alors dirigés vers les lieux de dépouillement pour exiger leur arrêt, laissant ainsi place à des scènes surréalistes. En parallèle, les premiers groupes Facebook demandant “l’arrêt du vol des élections” se formaient. Le plus populaire d’entre eux, au plus fort de son ascension, accueillait 100 nouveaux membres toutes les 10 secondes. Avant d’être clôturé par le réseau social de Mark Zuckerberg, il comptabilisait 320 000 adeptes, rapporte le New-York Times.

Malgré l’échec de ces actions, la campagne de Trump ne s’est pas arrêtée pour autant. Sur les réseaux sociaux, l’homme a continué de clamer des semaines durant que les élections leur avaient été volées et qu’il avait bel et bien gagné, quoi qu’en disent les chiffres. Une situation à laquelle Twitter et Facebook, notamment, s’étaient préparés.

À chaque publication de Donald Trump évoquant une éventuelle fraude, les deux plateformes sociales apposaient inlassablement une étiquette stipulant que les allégations mentionnées étaient “contestées” ou “incorrectes”, renvoyant dans le même temps vers des pages contenant des informations vérifiées. Une coutume depuis mars 2020, lorsque Twitter a apposé pour la première fois le tag “média manipulé” à une vidéo partagée par le 45e président américain.

Des mesures d’une dimension sans précédent, mais qui, de toute évidence, n’ont pas été suffisantes pour calmer la colère des partisans de Donald Trump. Bien au contraire. Comme leur président, ces derniers sont extrêmement actifs sur les réseaux sociaux, et en particulier sur Twitter et Facebook. Convaincus qu’une fraude a bel et bien eu lieu, leur colère n’a fait que grandir à mesure des déclarations de leur président, jusqu’à arriver au point de rupture, ce 6 janvier 2021.

6 janvier 2021 : une date marquée dans l’histoire des États-Unis

Ce jour-là, Donald Trump a organisé un rassemblement à Washington pour “exiger la transparence et protéger l’intégrité des élections”. Un événement auquel des dizaines de milliers de manifestants venus des quatre coins du pays se sont rendus, et pour cause…

Durant des semaines, le président a mis en place une large campagne de communication sur les réseaux sociaux pour appeler ses partisans à se rassembler. Entre vidéos promotionnelles et déclarations tonitruantes placées sous le hashtag #MarchForTrump, la promesse était lancée : le 6 janvier 2021, les pros-Trump “sauveraient les États-Unis” en “mettant fin au vol” de l’élection.

La veille, la tension était déjà palpable. Au sein du groupe Facebook Red-State Secession, un utilisateur écrivait : « Si vous n’êtes pas prêt à utiliser la force pour défendre la civilisation, alors soyez prêt à accepter la barbarie« . En réponse à cette publication, des dizaines de personnes ont posté des commentaires avec des photos d’armes – y compris des fusils d’assaut – qu’elles disaient avoir l’intention d’apporter au rassemblement.

Le grand jour est finalement arrivé, et c’est aux alentours de midi que le 45e président des États-Unis est monté sur scène pour s’adresser à la foule. Promettant qu’il n’abandonnerait jamais la bataille, il a demandé à ses partisans de rester forts pour “reprendre leur pays”. Il finira par affirmer : “Je sais que tout le monde ici marchera bientôt vers le Capitole, pour pacifiquement, patriotiquement, faire entre sa voix ».

Un appel entendu par ses adeptes. Des milliers d’entre eux ont marché vers le Capitole, au moment même où les élus se rassemblaient pour confirmer l’élection de Joe Biden. Rapidement, la situation a dégénéré. Plusieurs groupes de manifestants ont réussi à pénétrer dans l’enceinte de l’établissement, obligeant les parlementaires à cesser leur procédure.

Dépassée par les événements, la police n’a pas pu contenir la déferlante. Entre les gaz lacrymogènes et les cris, l’emblème américain de la démocratie s’est vu plonger dans le chaos. Certains manifestants ont volé des biens matériels, quand d’autres les détruisaient. D’autres encore, ont préféré immortaliser l’instant dans des photos surréalistes.

Le tout a été filmé en live, par les manifestants eux-mêmes. Sur YouTube, Twitch et Facebook notamment, les vidéos en direct de la prise du Capitole ont fleuri de toutes parts, cumulant jusqu’à 20 000 spectateurs pour les plus populaires. Un défi de taille pour les plateformes sociales qui ont dû gérer en temps réel la modération de ces contenus souvent violents et trop facilement trouvables avec les mots-clés « Stop the Steal » ou « Patriot Capitol ».

Sur le fait, un porte-parole de YouTube déclarait que les équipes de la plateforme s’efforçaient de “retirer rapidement les flux en direct et tout autre contenu qui enfreint nos politiques, y compris celles contre l’incitation à la violence ou concernant les images de violence graphique”

Dans le même temps, un hashtag que l’on pourrait traduire en français par “Attaquez le Capitole”, naissait sur l’ensemble des réseaux sociaux : #StormTheCapitol. De par sa nature appelant à la violence, celui-ci a rapidement été bloqué sur Facebook et Instagram.

Pendant ce temps, Donald Trump demeurait silencieux. Des heures durant, le locataire de la Maison Blanche a laissé les événements se passer, sans appeler au calme. Il aura finalement fallu attendre 17h pour qu’il publie une vidéo appelant ses partisans à se retirer :“Vous devez rentrer chez vous. Rentrez chez vous, on vous aime. Vous êtes très importants”.

Ne faisant plus confiance aux médias traditionnels, il choisira Twitter et Facebook comme plateformes de diffusion. Seulement voilà… Dans sa vidéo, Donald Trump réaffirme une nouvelle fois, et toujours sans la moindre preuve, que les élections ont bel et bien été truquées. L’oiseau bleu choisit alors de bloquer les partages. Le réseau social de Mark Zuckerberg, lui, a directement et instantanément bloqué sa diffusion.

Tout de même visionnée des millions de fois en quelques dizaines de minutes à peine, cette vidéo appelant au calme est arrivée trop tard. Au total, la prise du Capitole a entraîné l’arrestation d’une cinquantaine de manifestants et causé cinq morts, dont celle de Brian D. Sicknick, un officier de police.

Facebook, Instagram, Twitter et Snapchat bloquent les comptes de Donald Trump

Au lendemain de la prise du Capitole, les réseaux sociaux sont toujours en alerte, et à plusieurs niveaux. D’abord, ils doivent s’assurer de bloquer et de supprimer l’ensemble des contenus violents ou incitant à la haine qui ont été publiés sur leurs plateformes. Ensuite, ils doivent veiller à mettre de nouvelles mesures en place.

Facebook, par exemple, considère désormais que les personnes ayant participé à la prise du Capitole entrent dans la catégorie des “personnes et organisations dangereuses ». Une désignation utilisée par le réseau social pour les terroristes, les tueurs en série, ou encore les groupes haineux et violents. Guy Rosen, vice-président de l’intégrité sur Facebook, et Monika Bickert, vice-présidente de la gestion des politiques internationales, ont expliqué dans un article de blog qu’à “ce stade, ils [les manifestants du Capitole, NDLR] représentent la promotion d’une activité criminelle qui viole nos politiques ».

Plus important encore, la plupart des réseaux sociaux ont décidé de bloquer les comptes de Donald Trump, Twitter en tête. Une première pour un profil comptabilisant plus de 88 millions d’abonnés. Pour expliquer cette décision, l’oiseau bleu a déclaré : « Le compte de @realDonaldTrump sera bloqué pendant douze heures après le retrait de ces tweets. Si ces tweets ne sont pas supprimés [par leur auteur], le compte restera bloqué ».

À l’heure où nous écrivons ces lignes, le délai accordé par Twitter est dépassé et le président américain a pu récupérer son compte. En revanche, il n’est pas tiré d’affaire pour autant : d’autres manquements au règlement de Twitter l’exposeraient à un bannissement définitif.

Du côté de Facebook et Instagram, la punition est légèrement plus sévère puisque les comptes de Donald Trump ont été bloqués pendant 24 heures. Snapchat est allé encore plus loin, en annonçant une mesure de restriction permanente au compte du président américain, a confirmé Rachel Racusin, une porte-parole du réseau social.

Enfin, le département d’État américain a ordonné à ses diplomates de cesser de publier sur leurs réseaux sociaux jusqu’à nouvel ordre. Il leur a également été demandé de supprimer les contenus planifiés sur Facebook, Twitter et Hootsuite.

Les réseaux sociaux ont-ils une part de responsabilité dans la prise du Capitole ?

Pour Renée DiResta, chercheuse à l’Observatoire de Stanford, cela ne fait aucun doute : “la prise du Capitole est le résultat de mouvements nés sur les réseaux sociaux (…) qui ont puisé leur oxygène dans les discours de fraude électorale”.

Pour autant, les plateformes sociales ont-elles réellement une part de responsabilité dans cette crise sans précédent ? Légalement, la réponse est non. En vertu de la section 230 du « Communications Decency Act » (que Donald Trump souhaitait d’ailleurs révoquer), les réseaux sociaux ne peuvent pas être tenus responsables des contenus publiés sur leur plateforme.

Moralement, en revanche, la question se pose. D’abord, parce que c’est à travers ces plateformes que les fausses informations se propagent le plus rapidement, théories du complot en tête. Ensuite, parce qu’elles permettent à des individus aux discours haineux de se rassembler, laissant ainsi l’occasion à des mouvements violents de naître.

Bien qu’elles clament vouloir rapprocher les gens selon leurs centres d’intérêts, les plateformes sociales ont bien trop souvent l’effet inverse. En poussant toujours plus leurs utilisateurs à l’engagement, elles laissent fréquemment place à des polémiques dans lesquelles deux camps s’affrontent avec ferveur autour d’un même sujet. La politique est d’ailleurs l’une des thématiques les plus brûlantes, et tout particulièrement aux États-Unis où la culture des « Républicains contre les Démocrates » (et inversement) est extrêmement présente. La tension monte en ligne, pour finalement se concrétiser dans la vie réelle.

Il faut admettre que des efforts sont menés chaque jour pour combattre ces phénomènes, mais ils ne sont que trop récents, et manifestement insuffisants. La prise du Capitole en est une preuve amère. Une fois cette crise essuyée, il est urgent que les grandes plateformes mettent en place de nouvelles mesures encore plus fortes pour combattre la désinformation, mais aussi pour éradiquer les mouvements de haine et de violence. Un chemin qui sera très certainement long et fastidieux.