Depuis leur apparition il y a plus de 25 ans, les navigateurs web ont accumulé une puissance de frappe considérable. Ils sont à la fois source d’offre et de demande, tout en détenant la clé des données de l’utilisateur. Ce pouvoir donne aux navigateurs une influence gigantesque sur l’accès Internet des utilisateurs. Alors que le secteur discute et débat sur l’évolution de la publicité au-delà des cookies tiers, de manière centrée sur l’utilisateur, une autre question se pose : est-ce un match équitable quand une équipe peut jouer en attaque, en défense et en être également l’arbitre ?

La neutralité mène à la transparence

Métaphore sportive mise à part, le recours à un tiers indépendant pour contrôler le processus de publicité n’est pas une idée radicale. Avoir une autorité indépendante (ou « gatekeeper ») permet de redonner aux utilisateurs la transparence et le contrôle nécessaire. Cette entité soutiendrait l’échange de valeurs entre l’annonceur et l’éditeur, permettant à l’écosystème de rester neutre en termes de collecte de données liées à la publicité.

Aujourd’hui, les navigateurs proposent une vision unilatérale de la vie privée basée sur leur vision du monde, plutôt qu’une approche intersectorielle. Nombre de ces entreprises ont de solides intérêts commerciaux, soit directement par la publicité, soit par les revenus des abonnements aux app stores, de sorte qu’elles sont loin d’être indépendantes quant à ce qu’elles considèrent comme étant une pratique acceptable de la publicité ou pas.

Les propositions des navigateurs discutées au sein du W3C mettent également en péril les échanges de valeurs qui font fonctionner l’internet. Les navigateurs devront limiter le nombre d’annonceurs pouvant participer à une enchère, ce qui réduira les revenus des éditeurs. De plus, parce que les navigateurs ne permettent pas aux annonceurs de déployer des modèles d’enchères avancés, les éditeurs pourront moins facilement financer la mise à disposition de contenu gratuit pour les utilisateurs. Et les annonceurs auront plus de difficultés à se prémunir de fraudes et à savoir où leurs publicités sont diffusées.

La vie privée et l’expérience ne s’excluent pas mutuellement

Certes, les utilisateurs souhaitent avoir une visibilité sur les données stockées et un plus grand contrôle sur la manière dont leurs informations sont utilisées, mais cela ne signifie pas qu’ils acceptent de compromettre leur accès à des contenus gratuits. Après tout, c’est bien sur ce principe qu’internet a été fondé. Avec l’introduction d’un nouveau tiers de confiance « gatekeeper », cette dichotomie ne doit pas nécessairement être mutuellement exclusive. En retirant le navigateur de la prise de décision en matière de publicité, le secteur peut protéger la vie privée des utilisateurs. Le tiers de confiance serait chargé de protéger et d’anonymiser les données des utilisateurs au niveau de la campagne, en s’assurant que l’écosystème publicitaire n’accède jamais aux informations personnelles des utilisateurs.

Mais si les navigateurs commencent à traiter les bid requests, ils devront télécharger tous les actifs numériques nécessaires à d’éventuelles publicités et traiter beaucoup plus de données, ce qui ralentira le temps de chargement des pages et épuisera toutes les batteries des appareils des utilisateurs. Un tiers pourrait assumer le rôle de stockerles ressources nécessaires à l’affichage des publicités, ce qui soulagerait les terminaux des utilisateurs.

Un tiers indépendant pourrait également permettre aux utilisateurs d’exercer davantage de contrôles à long terme, qu’il s’agisse de la manière dont leurs données sont partagées ou de la manière dont ils choisissent d’accepter ou de refuser la publicité pour personnaliser leur expérience.

Les gardiens potentiels

Toute entité indépendante qui exécute des bid requests en temps réel et garde le contrôle sur les données associées doit être neutre et ne doit pas entrer en collusion avec d’autres dans l’écosystème. Un tel tiers de confiance pourrait être un acteur tel qu’un fournisseur de services dans le Cloud ou un SSP, compte tenu de leurs infrastructures technologiques existantes et des intégrations préexistantes avec les éditeurs, agissant en tant qu’intermédiaire avec l’annonceur. Et nous pouvons envisager l’existence de plusieurs gardiens.

En fin de compte, les participants du secteur devraient pouvoir choisir qui sera leur(s) gatekeeper(s), la transparence et le respect des principes de fonctionnement étant essentiels. Chaque  » gardien  » devrait être audité régulièrement par des organismes intersectoriels tels que l’IAB ou le MRC.
Contrairement aux navigateurs, le tiers de confiance devra s’assurer qu’il ne réutilise aucune donnée de l’utilisateur, ce qui pourrait être sauvegardé grâce à une gouvernance dédiée. Cette nouvelle entité percevrait probablement une certaine rémunération en tant que fournisseur de services et n’aurait aucun intérêt à jouer ou à contourner les règles, car l’ensemble de son activité dépend de sa fiabilité.

L’industrie de la publicité est à la croisée des chemins. Cela fait près de 25 ans que les navigateurs sont aux commandes, il est temps pour cet écosystème de collaborer à un Internet plus respectueux de la vie privée. L’industrie peut soit prendre la voie de la simplicité – en s’appuyant sur les concepts et infrastructures existants construits dans les années 1990 – soit prendre la voie plus novatrice, en réimaginant un internet qui place l’intérêt de l’utilisateur avant tout.

Certains pourraient croire que les navigateurs ne renonceront tout simplement pas à leur contrôle, mais nous devons nous battre pour que cela devienne réalité.

L’avenir de la publicité numérique est devant nous, mais il nécessitera une collaboration à l’échelle du secteur. Il est temps de faire face à cette situation en se regroupant et en cherchant comment rendre possible la mise en place de contrôleurs tier et indépendants.