Aux États-Unis, la section 230 votée en 1996 est plus que jamais mise à mal suite à de virulentes attaques du président américain à l’encontre des géants du web il y a quelques mois. Ce dernier n’avait guère apprécié d’être pointé du doigt pour avoir propagé de fausses informations. Les réseaux sociaux, autrefois protégés par la section 230, se heurtent à de nouvelles restrictions visant à leur conférer davantage de responsabilités face aux contenus publiés par ses utilisateurs. Selon une majorité d’Américains, la liberté d’expression est malmenée.

La section 230 dans un des textes de loi les plus importants de l’histoire

Jadis, cette loi historique était appelée « les vingt-six mots qui ont créé Internet » ou encore « la loi la plus importante pour protéger la liberté d’expression sur internet ». La section 230 de la loi a été voté en 1996 par le Congrès américain dans le cadre du “Communications Decency Act” (CDA), qui vise à réglementer les contenus pornographiques sur Internet afin de protéger les mineurs. Le gouvernement américain a tenté d’apporter une solution au problème que pose l’extrême facilité d’accès aux contenus pornographiques sur Internet en votant la Communication Decency Act (47 U.S.C. 201 et sec). Toutefois, un an après, la Cour Suprême des États-Unis a déclaré le CDA comme étant partiellement inconstitutionnelle car elle portait atteinte à la liberté d’expression.

La section 230 du CDA stipule que les utilisateurs de « services informatiques interactifs », incluant les géants du web tels que Twitter, Facebook ou Craigslist, ne peuvent être traités comme des éditeurs de contenu écrit par d’autres utilisateurs. Cette loi a pour but de conférer une protection accrue aux réseaux sociaux face aux contenus publiés par ses utilisateurs. Il y a toutefois évidemment une exception à la règle : les publications innapropriés, les contenus piratés ou encore des publications en rapport avec la prostitution, doivent impérativement être supprimés du net. Il en va de la responsabilité de l’entreprise en question d’éliminer ou de modifier tout propos qu’elle considère comme étant raciste ou contraignant sur leur réseau social.

La section 230 est sans doute l’un des textes de loi les plus importants en matière de liberté d’expression sur Internet. Elle a été élaborée principalement en réponse à deux affaires judiciaires dans les années 1990 aux États-Unis. Les affaires en question reposent sur la responsabilité des entreprises diffusant de l’information à avoir omis d’effacer des messages diffamatoires sur leur site web. Dans la première affaire, le tribunal fédéral de New-York a estimé que la société CompuServe n’était toutefois pas tenue responsable de ce qu’elle laissait publier car elle n’était qu’un simple relayeur d’information. Dans la seconde affaire, la société Prodigy Business, quant à elle, a été tenue responsable d’avoir délibérément espionné certaines publications publiées par les internautes sur leur site web.

Cette fameuse loi qui fait polémique aux États-Unis a été adoptée à une époque où Internet commençait à peine son ascension. 30 ans plus tard, en 2020, la moitié de la population mondiale est présente sur les réseaux sociaux, soit 3,8 milliards de personnes, selon le Digital Report de “We Are Social”. Le poids des réseaux sociaux est aujourd’hui sans précédent avec un nombre considérable de faux contenus relayés ainsi que des “deep fakes”, ce qui effarouche les géants du web. Ainsi, la section 230 est considérée par ces derniers comme étant une loi qui a permis à Internet de prendre ses ailes et de prospérer. Toutefois, du revers de la médaille, cette loi est confrontée à de virulentes critiques de la part de ses détracteurs, qui estiment que les entreprises n’en font pas assez pour lutter contre des contenus préjudiciables qui continuent jour après jour de polluer l’univers du web.

Les technologies, une menace pour la liberté d’expression ?

Les tribunaux ont présagé cette loi de manière à offrir aux grandes sociétés du web une plus ample protection contre toutes poursuites judiciaires. La section 230 est aujourd’hui bien loin de faire consensus aux États-Unis. En effet, selon le sénateur Bernie Sanders, les géants de la technologies et des plateformes « ne devraient pas être exonérés de leur responsabilités lorsqu’ils accréditent sur leurs plateformes des contenus qui encouragent et facilitent la violence ». Selon ce dernier, les plateformes numériques se reposent sur leur laurier grâce à cette loi et n’en font pas suffisamment sur la question des contenus malveillants qui empestent le net.

La responsable de la politique mondiale de propriété intellectuelle de Google, Katherine Oyama, a déclaré au Congrès américain que les entreprises pouvaient faire l’objet d’une panoplie de poursuites, et qu’ils ne sont pas si bien protégés que cela. À titre d’exemple, elle cite les sites d’évaluation tels que TripAdvisor ou Yelp, qui pourraient être attaqués pour diffamation si ceux-ci note injustement un restaurant. “Je pense que de nos jours, les technologies de pointe constituent la plus grande menace pour la liberté d’expression et pour la démocratie”, souligne le sénateur américain Ted Cruz.

Depuis le mercredi 23 septembre 2020, les réseaux sociaux sont dans la ligne de mire du ministère de la Justice américain. Un projet de loi pouvant réduire la protection des réseaux sociaux a été proposé. L’objectif de ce projet de loi évoqué par le Congrès américain vise à remettre de l’ordre dans le bouclier des responsabilités juridiques dont profitent à l’heure actuelle les réseaux sociaux. Ce projet de loi se concentre sur deux domaines. En premier lieu, il a l’ambition de diminuer le nombre de critères que les plateformes en ligne doivent respecter pour être protégées en vertu de la section 230. Deuxièmement, l’objectif est de réduire au maximum l’immunité prévue dans la loi en ce qui concerne des cas particuliers, notamment sur la question d’abus sexuels sur les enfants. Bien que ni Facebook, ni Google et ni Twitter n’aient voulu commenter ce nouveau projet de loi, ces entreprises pourraient être confrontées à de nouvelles restrictions.

L’ère Trump et la désinformation ambiante

Le 28 mai dernier, Donald Trump affirmait : « nous sommes ici aujourd’hui pour défendre la liberté d’expression contre l’un des plus grands dangers », en signant le décret visant à limiter la protection juridique offerte par la section 230. Cette décision a été prise après que Twitter ait alerté les internautes suite à la publication d’une fausse information diffusée par le président américain. Il n’a évidemment guère apprécié ce geste et a décidé de mener un combat acharné contre les réseaux sociaux. Twitter, qui est très plébiscité par le président qui en fait son propre média, n’a toutefois pas retiré les commentaires publiés par président. Cependant, elle a tâché de bien laisser une mention “fake news” sur sa fausse déclaration dénonçant le vote par correspondance en Californie. Donald Trump n’a pas hésité de calomnier Twitter « d’interférer » dans la course à la présidentielle américaine qui se tient le mois prochain. Trump convoite l’idée alourdir la tâche aux médias en leur faisant porter plus de responsabilités, et cela, en réduisant leur protection historique, nonobstant l’idée d’écorcher la fameuse section 230.

Les deux géants Facebook et Twitter ont de fait vivement critiqué la réaction du président américain. Ils estiment qu’il s’agit d’une « approche réactionnaire et politisée à propos d’une loi historique ». En effet, jeudi 1er octobre 2020, les PDG de Twitter, Facebook et Google ont été conviés à témoigner devant le Congrès américain, qui persiste à mettre la pression sur les géants des réseaux sociaux. Ils seront contraints de se prêter au jeu et répondre à des questions sur la section 230 ainsi que sur la protection de la vie privée, la désinformation, la fraude en ligne, les contenus haineux qui bousillent l’univers du net.

Pour la porte-parole de la Maison Blanche, “la censure en ligne va bien au-delà de la question de la liberté d’expression, c’est aussi une question de protection des consommateurs et de s’assurer qu’ils soient informés de leurs droits et ressources pour se battre en vertu de la loi. Les procureurs généraux d’États sont en premières lignes de cette question et le Président souhaite prendre en considération leurs points de vue”.

Ainsi, aux États-Unis, pas moins de 16% de la population pense que la Terre n’est pas ronde et veulent le prouver. Selon ces “platistes”, l’humanité baigne dans un complot à grande échelle. Ces théories du complot se développent surtout sur internet. Par exemple, selon eux, les astronautes seraient en réalité filmé en studio et que l’agence spatiale américaine ne serait qu’un organe de propagande. Grâce aux réseaux sociaux, ils arrivent à relayer leur information à un grand nombre de personnes. En effet, tout cela ne facilite guère l’immense tâche des réseaux sociaux qui doivent en théorie trier le vrai du faux.

Les géants de la technologies pointés du doigt

En effet, le département de la Justice américaine veut limiter la protection juridique des géants du net, suite au décret de Donald Trump qui désire réduire l’immunité dont ils bénéficient actuellement. Joe Biden, le rival de Trump à la présidentielle, veut aussi se débarrasser de la loi qui protège les entreprises numériques de toute responsabilité pour ce que leurs utilisateurs publient, indique CNBC. Bien que l’ONGI de protection de libertés sur Internet, Electronic Frontier Foundation, n’approuve pas le décret du président. Elle estime toutefois que la section 230 devrait être revue de fond en comble : “Il existe des préoccupations légitimes concernant l’état actuel de l’expression en ligne, ce qui inclut la manière dont une poignée de puissantes plateformes ont centralisé la parole des utilisateurs”. William P. Barr, un homme politique et membre du Parti républicain, se questionne aussi sur la pertinence de ce passage de loi à l’heure des méga-plateformes du net.

Les géants de la technologies sont d’ores-et-déjà pointés du doigt pour leur manque d’investissement sur ces ces enjeux plus que cruciaux. Cependant, Facebook affirme refuser à devenir l’arbitre de la vérité. Aujourd’hui, le réseau social peut s’acquitter d’amendes pouvant atteindre les 500 000 euros si une publication mensongère circule sur son fil d’actualité. En dépit de cela, tout laisse penser que les géants du web vont pâtir d’une pression croissante, notamment à l’aube d’une élection présidentielle d’une haute importance, gangrénée par une pandémie qui anime les esprits fielleux. Cette loi historique 230, véritable pilier de la liberté d’expression, est plus que jamais sous le qui-vive, à l’ère du numérique.