Lorsque l’on évoque le monde du numérique, on pense tout de suite à la Silicon Valley. Il existe d’autres puissances numériques telles que l’Inde ou encore la Chine… mais il y a un continent dont on entend quasiment pas parler : l’Afrique. Avec Samir Abdelkrim, chroniqueur chez Le Point, entrepreneur et auteur, nous allons analyser le potentiel du continent africain et de son innovation.

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Les startups africaines fournissent des services publics

Samir Abdelkrim a parcouru 30 pays africains pendant quatre ans afin d’y étudier l’innovation et les startups. Il est arrivé sur le continent en 2014, alors que l’on ne parlait pas du tout de la tech africaine et qu’elle était au commencement de son émergence. Après son épopée, il a écrit un livre baptisé Startup Lions dans lequel il analyse en profondeur l’innovation africaine.

Selon lui, nous sommes trop habitués à une couverture pessimiste de l’Afrique, ce qui s’est vu pendant la crise de Covid-19. Les entrepreneurs africains proposent pourtant un réel modèle d’innovation alternatif : un digital beaucoup plus inclusif et tourné vers les besoins fondamentaux de la population, c’est-à-dire l’éducation, la santé, l’agriculture ou encore l’accès à une énergie propre.

Contrairement à l’Europe par exemple, les startups africaines ne profitent pas d’infrastructures fournies par l’État. Lorsque l’on s’éloigne des grands centres urbains, on se retrouve dans des zones non couvertes par un réseau Internet. Au contraire, ce sont ces mêmes startups qui, parties de rien, fournissent des services essentiels au peuple. C’est notamment le cas de M-Kopa, parmi d’autres, qui permet aux populations des bidonvilles de Nairobi d’être raccordées, et engendre ainsi de nombreux bienfaits. Les enfants peuvent faire leur devoir grâce à la lumière et améliorent donc leurs résultats à l’école, et cela contribue également à évacuer les ampoules à pétroles des habitations, elles sont en effet la cause de dizaines de milliers de décès par intoxication chaque année. Il s’agit là de la spécificité de l’innovation africaine, il y a urgence à innover et les contraintes sont sources d’innovation. Samir Abdelkrim explique :

« Lorsqu’on est dans des pays fragiles où il y a la corruption endémique, où les services publics ne fonctionnent pas bien, où l’État et le régalien répondent souvent aux abonnés absents, les entrepreneurs et les startupers africains utilisent la tech pour apporter de nouveaux services digitaux inclusifs qui apportent des services aux populations ».

Le domaine de la santé est un exemple parfait de cette tendance. À Bamenda au Cameroun, des startups développent des microscopes digitaux grâce à l’impression 3D pour réaliser des biopsies et détecter le cancer du sein. Envoyées sur le cloud, les images sont par la suite analysées par les plus grands cancérologues du continent.

Une innovation « organique » qui attire de plus en plus d’investisseurs

Samir Abdelkrim définit l’innovation africaine comme organique. Les entrepreneurs cherchent des solutions qui correspondent aux besoins des populations. L’innovation jaillit du peuple et a vocation à répondre le plus rapidement et efficacement possible aux problèmes auxquels il doit faire face. L’auteur prend l’exemple de M-Pesa, une application de paiement mobile utilisée par des millions d’Africains qui était au départ destinée à réaliser des micro-crédits aux PME : « Les populations se sont emparées de ce produit et l’ont adapté à leurs problèmes de manière organique ».

Bien qu’à contre-courant de la tech dans les pays occidentaux, l’african tech est en plein boom, et cela se confirme lorsque l’on voit les chiffres relatifs aux investissements et aux levées de fonds. Selon le rapport de Partech Africa, il y a une multiplication exponentielle du niveau des levées de fonds sur le continent : il est passé de 200 millions il y a cinq ans à 2 milliards en 2019. L’argent est bien sûr le nerf de la guerre, et le modèle africain plaît de plus en plus. L’innovation du continent peut en effet répondre à des besoins dans d’autres pays émergents et se globaliser, comme le souligne Samir Abdelkrim :

« C’est le pari que font aujourd’hui davantage d’investisseurs qui mettent de plus en plus volontiers des tickets dans les startups africaines parce qu’ils se disent que c’est là l’avenir de l’innovation. C’est véritablement là que l’Afrique se dessine une nouvelle manière d’aborder les problèmes par le digital avec un potentiel de passage à l’échelle globale très important ».

Un véritable modèle de résilience

Que pouvons-nous tirer comme leçon de l’innovation africaine ? Pour répondre à cette question, l’auteur décide de la contextualiser dans la situation actuelle avec la pandémie de Covid-19. Elle affecte de manière négative la majorité des startups et des entrepreneurs, que ce soit en Afrique ou en France. Selon Samir Abdelkrim toutefois, les startups africaines sont mieux armées pour faire face à cette crise car elles sont très résilientes. Elles se sont développées sans fonds et savent survivre et grandir dans des contextes difficiles et sont donc plus programmées pour affronter les contraintes de l’adversité. La crise va certainement en faire disparaître certaines, mais les autres vont en sortir très renforcées. Par ailleurs, l’innovation africaine a déjà trouvé des moyens très efficaces pour lutter contre le virus. Au Kenya, le paiement sans contact a été généralisé et a été érigé en geste barrière.

Enfin, Samir Abdelkrim estime que le coronavirus va permettre de positionner le continent africain comme un leader dans le domaine de la télémédecine et de la santé. Il y a peu, la startup mPharma a ainsi levé plusieurs millions : une confirmation qu’il s’agit du grand secteur de demain en Afrique.