Le 28 juillet 2020, Kodak faisait les gros titres en annonçant son lancement dans la fabrication de produits pharmaceutiques, un virage à 360 degrés pour l’ex géant historique de la photographie. La nouvelle avait d’autant plus marqué qu’elle était soutenu par un prêt du gouvernement américain à hauteur de 785 millions de dollars.

Une annonce loin d’être passée inaperçue, et qui est désormais sous le coup d’une enquête. En cause, l’action de Kodak qui aurait bondi de 2.62 dollars la veille de l’officialisation, à 7.94 dollars le jour même, et jusqu’à 33.20 le lendemain. Le gendarme des marchés financiers, la SEC, a en donc décidé de lancer une investigation sur la façon dont Kodak a communiqué le prêt le 28 juillet.

Kodak se lance dans la fabrication de produits pharmaceutiques

Ce jour là, la firme s’engageait alors à produire des composants essentiels pour le secteur pharmaceutique, qui fait face depuis plusieurs mois à des pénuries chroniques dans l’accès aux médicaments prescrits pour combattre la Covid-19. L’enjeu se situe aussi dans la réduction de la dépendance des laboratoires américains envers des fournisseurs étrangers. L’objectif est de « produire jusqu’à 25 % des principes actifs nécessaires à la préparation des médicaments génériques produits aux États-Unis », comme le soulignent nos confrères canadiens de La Presse.

C’est l’agence DFC (U.S. International Development Finance Corporation) qui finance le projet, en partenariat avec le ministère de la Défense. Le projet s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la pandémie au titre du « Defense Production Act ».

Le président du conseil d’administration de Kodak, Jim Continenza déclare : « En tirant parti de notre vaste infrastructure, de notre expertise approfondie dans la fabrication de produits chimiques et de notre héritage d’innovation et de qualité, Kodak jouera un rôle essentiel dans le retour d’une chaîne fiable d’approvisionnement pharmaceutique aux États-Unis ».

Cela n’a pas manqué de faire réagir le président Donald Trump. Dans un article publié par la Maison Blanche, faisant suite à une conférence de presse, il s’exclame : « Le coronavirus montre l’importance de ramener la fabrication en Amérique afin que nous puissions produire, chez nous, les médicaments, les équipements et tout ce dont nous avons besoin pour protéger la santé publique ».

La SEC et les démocrates lancent deux enquêtes sur la communication autour du prêt

Comme toute annonce en grande pompe du président, celle-ci a suscité la suspicion de beaucoup. « Ce prêt semble être une utilisation très discutable de l’argent public et soulève des questions sur les questions d’opérations et de délits d’initiés », a déclaré Bharat Ramamurti, membre de la commission de surveillance du Congrès COVID-19, à NBC News.

La sénatrice Elizabeth Warren montait d’ailleurs au créneau mardi 4 août pour demander au SEC d’enquêter sur les contours de ce prêt et de sa communication. Le Wall Street Journal confirmait ensuite rapidement que l’institution régulatrice était déjà sur le coup. Mercredi 5 août, un communiqué de la chambre des Représentants démocrates déclarait qu’une enquête indépendante était ouverte par plusieurs de ses représentants.

Sous le coup des projecteurs, Kodak aurait partagé des informations confidentielles au sujet de ce prêt à des journalistes locaux la veille de l’officialisation du prêt. Une fuite volontaire qui expliquerait l’envolée du titre de Kodak dans les heures qui suivent l’annonce (une flambée jusqu’à plus de 530%)

Kodak lançait sa nouvelle gamme Smile en 2017

Image : Kodak

Une diversification inattendue qui pose question

Créé en 1888, la firme d’origine anglaise avait disparu des radars depuis une banqueroute fracassante en 2012. Pionnier de la photographie pendant des générations, Kodak est devenu un cas d’espèce bien connu de toutes les écoles de marketing après avoir raté le virage du numérique au début du siècle. Un dépôt de bilan plus tard, l’entreprise recentrait ses activités sur les services d’impression et d’emballage.

Quelques années de remise en route plus tard, Kodak revenait sur son terrain de jeu favori. En Janvier 2016, la firme relance l’emblématique Super 8, et participera au CES de 2017 pour une présentation au grand public. En 2019, Kodak sortait une nouvelle gamme d’appareils photo, Smile, présentée au CES de la même année.

De la photographie numérique aux médicaments pharmaceutiques, un grand saut qui a de quoi surprendre. Kodak s’était certes récemment diversifié en investissant dans la R&D de produits chimiques, mais ceux-ci avaient avant tout une application dans l’industrie du film.

Toujours est-il que l’enquête, non-officialisée, du SEC a conduit Donald Trump à faire machine arrière et prendre quelques précautions sur la suite des évènements : « Le concept de l’accord est bon… Nous allons faire une petite étude là-dessus. Nous allons le découvrir. S’il y a un problème, nous vous le ferons savoir très rapidement », a-t-il dit. « Je n’ai pas participé à l’opération. C’est une grosse affaire, c’est une façon de ramener un grand secteur, en plus des produits pharmaceutiques ».