Le 29 juillet, l’audience tant attendue des dirigeants de Google, Apple, Facebook et Amazon était tenue par le Congrès américain. Moment historique présentant les quatre puissants de la tech, pour ne pas dire du monde… forcés de répondre aux interrogations des députés américains, eux-mêmes bien décidés à marquer le coup. À la tête du Comité, c’est David Cicilline, député démocrate du Rhode Island qui ouvre la séance et donne le ton.

L’objectif de cette audience sera de déterminer jusqu’à quel point les GAFA empêchent leurs rivaux de se développer, créant ainsi un marché anti-concurrentiel. Les géants de la tech ne cessent de prospérer et d’étendre leurs activités au détriment de nombreuses sociétés vouées à disparaître ou être rachetées, rappelle le Comité. Plus grave encore, des firmes comme Google ou Facebook peuvent mettre en péril la démocratie d’après eux. Du côté des Démocrates comme des Républicains, toute société en mesure de relayer des informations ou des discours capables d’influencer le peuple américain présente un réel danger, qui plus est à quelques mois des élections présidentielles de 2020. Une suite d’éléments qui, d’après David Cicilline, démontre que les État-Unis sont entrés dans une ère très préoccupante où « choisir n’est désormais plus possible ». Mais alors que retenir de ces 5h30 d’audience où chacun aura tenté d’extirper des réponses aux fameux dirigeants, devenus de simples témoins sous serment.

Photo David Cicilline président du Comité

David Cicilline président du Comité. Capture d’écran : Siècle Digital / YouTube

Soyons honnêtes, les réponses évasives de Sundar Pinchai n’étonneront personne, pas plus que celles de Jeff Bezos admettant simplement qu’il aura parfois la mémoire qui flanche… Mark Zuckerberg plus habitué à débattre devant le Congrès peine toutefois à convaincre, principalement au sujet de l’acquisition d’Instagram. Reste Tim Cook, somme toute assez ferme quand il déclare qu’aucun développeur n’est favorisé au sein d’App Store, soumis à des règles strictes et équitables selon lui.

Google dans la ligne de mire du Congrès américain

C’est sans surprise que le Congrès interroge la firme de Mountain View sur les pratiques dont on l’accuse. Le système sur lequel repose Google, à savoir le search, la position zéro et le maintien des utilisateurs grâce à la publicité force les entreprises à dépendre totalement de la firme, expose David Cicilline. Principe cependant qui a permis le développement de nombreuses entreprises rétorque Sundar Pinchai.

S’en suit le rappel des soupçons portés sur le vol de données chez Yelp – les avis des internautes auraient été récupérés par Google – ou bien encore la récupération de contenu, comme ce fut le cas avec Genius qui réclamait fin 2019 un dédommagement de 50 millions de dollars à Google. Démonstration qui permet au président d’interroger Google sur ses pratiques de surveillance. Là encore, Sundar Pinchai généralise expliquant que l’entreprise se contente d’étudier les points sur lesquels la firme peut progresser en améliorant ses services auprès des consommateurs. Le jeu consiste en effet à rappeler que Google n’a qu’une préoccupation : celle de satisfaire l’utilisateur. Et pour cause, la loi antitrust consiste à déterminer si les agissements des sociétés font du tort au consommateur.

Image des dirigeants des GAFA prêtant serment

Image historique des dirigeants des GAFA prêtant serment. Capture d’écran : Siècle Digital / YouTube

Les députés auront également tenté d’en savoir davantage sur les actions de Google avec le Pentagone, sans succès : grâce à un système d’intelligence artificielle permettant l’analyse d’images vidéo, l’armée américaine était censée pouvoir pratiquer la surveillance d’individus et planifier des interventions par drones. Une pétition interne avait fini par interrompre cette collaboration en 2018, connue sous le projet Maven. Face aux accusations portant sur l’utilisation de la technologie Google par la Chine, Sundar Pinchai se contentera de répondre que la firme ne travaille pas avec l’armée chinoise. Plusieurs questions portant également sur le rachat de Doubleclick, l’accès aux données, ou bien encore les e-mails de campagne finissant automatiquement dans les spams n’auront pas trouvé de réponses claires, si ce n’est que les algorithmes établis par Google ne sont aucunement liés avec une quelconque idéologie politique, d’après le dirigeant de la firme.

Pour finir le commentaire du député républicain Jim Sensenbrenner rappelle que ce n’est pas tant sa grandeur qui est reprochée à Google, mais les répercussions que celle-ci peut avoir sur les utilisateurs et sur la transformation du marché. Le même constat avait déjà eu lieu 25 ans plus tôt avec la compagnie AT&T, alors forcée de se disloquer. Il faudra bien sûr plusieurs mois pour savoir si la firme de Mountain View pourrait subir une décision semblable dans le futur.

Amazon principalement attendu sur la récupération de données et la dominance du marché

Comme convenu, Jeff Bezos aura profité des cinq minutes qui lui étaient accordées pour exposer son histoire américaine. Et comme convenu… cela n’a pas empêché le Congrès d’interroger le CEO sur les accusations portées envers son entreprise. Soupçonnée d’avoir récupéré et utilisé les données des vendeurs tiers pour concevoir et vendre leurs propres produits à des prix défiant toute concurrence, la firme a été tenue de répondre à ces accusations. Toutefois les intervenants font chou blanc. Si Jeff Bezos admet qu’il ne peut répondre par oui ou par non, il déclare cependant que ces soupçons vont à l’encontre de la politique interne de l’entreprise. Il se peut que notre éthique ait été « bafouée », ajoutant que ses équipes continuent d’effectuer des recherches sur ces accusations.

À la question : « Ne pensez-vous pas qu’il soit injuste pour les vendeurs d’être contraints de passer par votre plateforme », l’homme le plus riche du monde déclare avec la plus grande tranquillité qu’il existe beaucoup d’autres options pour les vendeurs en dehors de la plateforme Amazon.

Enfin suite aux déclarations rapportées par le président du Comité concernant un vendeur tiers comparant Amazon à un dealer de drogue, Jeff Bezos s’oppose fermement à cette comparaison. David Cicilline aura beau insister, précisant que c’est Amazon qui compose les règles du jeu, son dirigeant se contentera de répondre qu’au bout du compte c’est le client qui décide. Qu’importent les prix appliqués par le service Prime défiant toute compétitivité, ou les produits Amazon régulièrement promus par Alexa : « Cela ne m’étonnerait pas qu’Alexa puisse quelquefois promouvoir nos propres produits », concède Jeff Bezos.

Facebook continue de payer l’affaire Cambridge Analytica

Les questions ont certes porté sur l’acquisition des concurrents, principalement WhatsApp et Instagram. C’est sur ce dernier rachat que Mark Zuckerberg peine à convaincre l’auditoire, expliquant que l’application était effectivement considérée comme compétitive sur le partage des photos. Présentant diverses preuves, principalement des échanges d’emails, on constate que le rachat d’Instagram l’a été spécifiquement parce qu’il était perçu comme une menace. À cela, Jerry Nadler, député démocrate répond que « (…) plutôt que de lui faire concurrence, Facebook l’a acheté. C’est exactement pour empêcher ce type d’acquisition anticoncurrentielle que les lois antitrust ont été conçues. » De quoi donner quelques sueurs froides à Mark Zuckerberg pour les mois à venir.

Toutefois, les députés semblent largement plus préoccupés par le contenu relayé sur la plateforme. Inutile de rappeler les précédentes élections jugées manipulées par de fausses informations relayées par Facebook. Exemple marquant repris par le président du Comité : une vidéo ayant circulé il y a quelques jours sur Facebook, expliquant que le port du masque était inutile lors de la pandémie de la Covid-19. Mardi 28 juillet, Facebook était encore en train d’interrompre la diffusion de cette vidéo mensongère rapporte le Washington Post. Au total 14 millions de personnes auraient eu le temps de visualiser la vidéo en question, également relayée sur d’autres réseaux sociaux. Ce récent événement permet à David Cicilline d’ajouter : « Votre plateforme est si importante que dans un cas aussi grave que celui-ci [pandémie Covid-19], vous n’êtes pas en mesure d’intervenir assez rapidement pour supprimer une déclaration meurtrière ». Ce genre de déclaration suffirait-elle à inquiéter la plateforme ? L’avenir nous le dira sans doute.

Apple reste sur ses positions

Pour finir, c’est la firme de Cupertino qui s’en sort peut-être le mieux. Refusant catégoriquement d’admettre qu’Apple Store favorise certains développeurs par rapport à d’autres, Tim Cook n’aura de cesse d’insister sur le nombre exorbitant d’applications selon lui, soit. En outre la compétition est rude selon lui, et rappelle qu’Apple ne détient aucune position dominante sur le marché de ses activités. Également interrogé sur certaines pratiques réduisant à néant le principe de concurrence, Tim Cook a été amené à s’expliquer au sujet d’une application de contrôle parental évincée d’App Store. Le dirigeant d’Apple se contente cependant d’insister sur le nombre d’applications similaires, une trentaine, ajoutant qu’il s’agissait là d’un problème de confidentialité. Rien à voir avec le lancement d’une nouvelle fonctionnalité sur ce plan selon lui.

Rappelons que l’enquête menée par les autorités américaines a pour objectif de déterminer si oui ou non des abus ont été commis pour atteindre une position dominante sur le marché. L’important, au-delà de tout exercice politique lié aux futures présidentielles américaines, sera de statuer sur la nécessité ou non de durcir la loi antitrust. En outre si aucune plainte formelle n’a été déposée jusqu’ici, le département de la justice compte toutefois attaquer Google pour avoir abusé de sa position dans la publicité et favorisé ses services sur son moteur de recherche, l’amenant ainsi à occuper une place dominante sur le marché économique. Si Amazon et Apple risquent de payer une simple amende, la célèbre firme de Mountain View ainsi que Facebook risquent peut-être de voir ses futures heures s’assombrir. C’est du moins ce que peuvent laisser présager les dernières paroles du président du Comité : « Nos fondateurs ont refusé de se prosterner devant un roi. Aussi nous n’avons pas à nous agenouiller devant les empereurs de l’économie numérique. ».

Il reste maintenant à déterminer si de futures audiences seront à officialiser, mais c’est fort probable au regard de l’ampleur de la tâche. Il faudra néanmoins que les députés envisagent d’entrer dans le vif du sujet des pratiques anticoncurrentielles, ce qui n’a pas toujours été le cas. Enfin, les mesures radicales qui pourraient être prises auraient un effet irrémédiable sur le pouvoir que peuvent exercer les États-Unis sur le reste du monde, notamment face à la Chine. Seront-ils vraiment prêts à avancer dans ce sens ?