Paris, mai 2020. Au siège de Noveal (filiale de L’Oréal), l’approche du déconfinement amène son lot d’inquiétudes. À l’ordre du jour, il y a bien évidemment les préoccupations sanitaires. Ce qui tracasse la direction cependant, c’est une tout autre question : comment nourrir les salariés de retour au bureau alors que la cantine d’entreprise doit garder portes closes ? Pour répondre dans l’urgence, c’est la FoodTech Popchef qui s’invite à table. En 48h, la start-up installe chez Noveal une de ses cantines digitales de… 2m carrés. Dont un frigo connecté, rempli de délicieux plats du jour. La transition vers un restaurant d’entreprise digital est un franc succès. À tel point que deux mois plus tard, et 70% de salariés Noveal convertis, c’est un second frigo connecté Popchef qui fait son apparition sur le lieu de la pause déjeuner.

Les cantines d’entreprises, un marché bouleversé par la crise sanitaire

Pénétrer le marché de la pause déjeuner en cantine d’entreprise, c’est en soi un sacré challenge quand on regarde le profil des acteurs assis au comptoir. Sodexo, Elior et Compass sont les trois ténors qui se partagent l’addition de la restauration collective. Comment alors une start-up FoodTech arrive t-elle à se faire une place ? François de Fitte, cofondateur de Popchef en 2015 aux côtés de Briac Lescure, nous parle de besoins du marché qui ont radicalement changés depuis que la crise sanitaire a frappé : « Nous avons énormément de sites équipés de cantines des leaders du marché, mais qui se rendent compte que les coûts fixes qu’elles ont aujourd’hui ne fonctionnent plus du tout avec la flexibilité et la modularité de l’espace de travail. D’une part avec le développement du télétravail, et aussi parce que sur le long terme, la notion du bureau est en train de changer ».

Livrer des cantines connectées clé en main, c’est l’une des deux activités de Popchef. Elle est venue se greffer à l’activité historique de livraison de repas en entreprises. Deux tendances aux trajectoires diamétralement opposées depuis l’annonce du confinement mi-mars. « La partie livraison a forcément été très négativement impactée, nous tournons à 30% de chiffre d’affaires là-dessus. En revanche, pour la partie frigo connecté, nous sommes sur une rampe de lancement complètement délirante ». À noter toutefois que côté livraison de repas, une collaboration avec la Maison Lenôtre vient d’être signée il y a un mois

Alors que la start-up s’apprête à rentrer dans un nouveau cycle de vie avec cette activité de frigo connecté, elle n’en est pas à son coup d’essai lorsqu’il s’agit de se réinventer.

Popchef signe un partenariat avec Maison Lenöte

Image : Maison Lenôtre

Popchef, une percée puis un pivot

Retour en arrière. En 2015, le marché de la livraison de repas est à peine en train d’éclore. Deliveroo n’a pas encore mis les pieds en France. Uber Eats et Frichti n’ont pas encore vu le jour. Allô Resto (depuis devenu Just Eat) est à l’époque le seul acteur à se faire entendre, et alimente sa marketplace avec autant de références que possible. « Nous avons été les premiers à prendre le contre-pied d’Allô Resto et de livrer un choix limité à 3 plats par jour, décidés par le chef en fonction des produits de saison ». présente François de Fitte. Les deux premières années de Popchef sont marquées par une croissance soutenue. En Octobre 2016, c’est une seconde levée de fonds à 2 millions d’euros. En Mars 2017, Popchef grossit les rangs avec le rachat de Happy Miam et ses 2 000 clients.

La start-up n’est cependant plus la seule à opérer sur le marché de la livraison de repas. Et la concurrence a faim. « Nous nous sommes pris une énorme baffe. Les concurrents sont arrivés avec des gros moyens financiers et marketing. C’était la course à la surenchère de levée de fonds », résume le CEO de Popchef. Les américains d’Uber Eats et les anglais de Deliveroo écrasent la compétition en rognant sur des marges déjà peu élevées.

En bout de course sur le marché du BtoC, Popchef est dos au mur. Deux options se présentent : « Soit on arrête tout, tout de suite, on va boire une bière et on se dit qu’on a essayé. Tant pis. Soit, on pivote complètement, on arrête de livrer les particuliers. On se met à livrer les entreprises en vendant 30% à 40% plus cher, en relevant notre exigence sur la qualité des produits ». À un moment crucial de son existence, Popchef choisit de pivoter. Une survie qui ne se fait pas sans dommage collatéral : « en deux semaines, nous avons dû passer de 40 à 8 salariés ». Une décision difficile, mais encouragée par la majorité des effectifs. « C’était un moment assez dingue. Nous avions une équipe très soudée. Du coup, même ceux qui allaient perdre leur job sont restés bénévolement pour accompagner la transition. »

Pour ceux qui restent, plus le choix. L’équipe Popchef 2.0 se met aux fourneaux et entreprend d’appeler chacun de ses 50 000 clients. Une base suffisamment importante pour opérer une nouvelle phase de croissance dans un marché BtoC beaucoup plus porteur. Deux ans et demi plus tard, la start-up est déjà deux fois plus grosse qu’à son pic lorsqu’elle livrait les particuliers.

Des frigos connectés installés clé en main

Une mue qui prospère, avec l’introduction plus récente de ces cantines digitales. François de Fitte les présente comme « une inspiration de ce que fait Amazon Go. On veut s’appuyer sur le digital pour créer une expérience en point de vente. Et que celle-ci mette en avant des produits frais et responsables ».

Le principe de fonctionnement est simple « Chaque frigo connecté peut nourrir jusqu’à 50 personnes. Tous les matins nous les remplissons avec les plats du jour de nos artisans traiteurs partenaires. Le salarié arrive son badge Popchef, se sert dans le frigo ; et à la fermeture, un système de détection intelligent arrive à savoir ce qu’il a choisi grâce à une puce RFID. » Un système de recharge de badge salarié subventionné par l’employeur, une prise Ethernet et une prise électrique. C’est la courte liste des pré-requis pour se voir installer ce nouveau format de cantine digitale en 48h seulement.

Un déploiement souple qui séduit un marché dont une partie des contrats avec les cantines traditionnelles arrivent à expiration dans les prochains mois. Ce qui a d’ailleurs conduit Popchef à prendre un pari risqué, alors que ses ventes de repas était à l’arrêt complet en période de confinement. « Nous avons fait l’inverse de tout le monde : nous avons beaucoup recruté parce que nous avions anticipé cette vague de nouveaux clients potentiels ».

Un message fort envoyé par la start-up, qui montre une fois de plus sa résilience et sa capacité à anticiper les mouvances de son marché.

Les deux cofondateurs de Popchef

Image : Popchef

Popchef, porte-étendard d’une RSE

Une identité digitale, mais aussi très éco-responsable qui lui a permis de se retrouver invitée à la table du Ministère de la Transition Écologique pour discuter de l’objectif zéro déchet. Sur ce sujet RSE, Popchef veut s’affirmer comme le porte-étendard d’une FoodTech parfois responsable de problèmes sociétaux : « La FoodTech concentre à la fois les problèmes de gâchis alimentaire, des emballages plastique et enfin celui des statuts des livreurs autoentrepreneurs. Il faut reconnaître qu’on a une responsabilité, nous avons créé des usages qui n’existaient pas avant. Nous devons tous porter la responsabilité de nos actions. »

Dès sa création en 2015, Popchef a construit son positionnement autour d’une charte RSE qu’elle a su alimenter. Ses plats sont désormais livrés dans « des packaging en pulpe de canne ou en amidon de maïs et dans une box en carton labellisé FSC – issu de forêts gérées durablement » comme l’indique la charte Popchef.

L’optimisation du gaspillage alimentaire fait l’objet d’une attention particulière. « Nous livrons plus d’une centaine de repas aux Restos du cœur chaque jour » précise François de Fitte.

Quant au sujet épineux du statut des livreurs, Popchef prend là aussi les devants, ses livreurs autoentrepreneurs étant petit à petit tous basculés en CDI.

Conscient des enjeux, Popchef, c’est aujourd’hui un acteur fort d’une FoodTech qui se doit d’être plus responsable sur ces sujets sociétaux et environnementaux : « Nous n’avons pas peur de prendre position. L’objectif n’est pas de faire de la tech pour faire de la tech. Nous voulons être cohérent avec nos valeurs et continuerons à insuffler une dynamique RSE dans notre secteur ».