Daniel Tanuro est l’auteur d’un ouvrage qui porte sur l’effondrement et l’éco-socialisme baptisé « Trop tard pour être pessimistes« , aux Éditions Textuel. Nous avons pris une vingtaine de minutes dans le cadre de notre podcast Culture Numérique, pour échanger avec ce fervent défenseur d’un modèle anti-capitaliste.


Pour s’abonner à Culture Numérique : Spotify – Apple Podcasts – Deezer – Google Podcasts

Qu’est-ce que l’éco-socialisme au juste ?

L’éco-socialisme est un projet politique et social civilisationnel qui se réclame de la tradition du socialisme, plutôt avec des idées de gauche donc. Ce courant politique vise à la destruction du système capitaliste basé sur la course au profit. L’éco-socialisme permet plutôt de répondre à la satisfaction des besoins déterminés par les citoyens eux-mêmes. La notion d’écologie est également présente dans ce concept. Notre planète nous impose ce que Daniel Tanuro appelle des contraintes terrestres, et ces contraintes doivent absolument être intégrées dans le projet de façon déterminée. Un combat qui vise à mettre fin aux pratiques qui consistent à produire et à consommer toujours plus.

L’environnementaliste français est convaincu que les GAFA sont des géants du web qui ont un pouvoir économique et d’influence social et politique gigantesque. Il estime qu’ils contribuent largement à la destruction de l’environnement. Les grandes entreprises du numérique ont un impact non négligeable. On pense que ce n’est que du virtuel mais c’est évidemment un leur. Il précise même que :

« En 2020, les émissions de gaz à effet de serre attribuables aux géants du web sont supérieures à celles du secteur du transport maritime. Elles tournent autour de 3% des émissions mondiales de CO2. Le résultat d’une consommation mondiale d’énergie qui est considérable et c’est le secteur dont la croissance est la plus rapide, donc l’enjeu est très important ».

Les géants du web sont-ils vraiment écolos ?

Pourtant, nous avons pu le constater chez Siècle Digital, certains acteurs du web font tout pour répondre aux enjeux écologiques actuels. C’est notamment le cas de Google. La firme de Mountain View est proche du 100% de consommation en énergies renouvelables. Partout où Google s’implante, les énergies vertes sont la règle absolue. L’idée pour Google est de ne pas être la seule entreprise à en bénéficier, mais d’en faire profiter les collectivités et les citoyens. Pour encourager ce développement sur la durée, l’entreprise a instauré une politique de contrat à long terme. Une belle preuve d’éco-socialisme ?

Daniel Tanuro reconnaît effectivement que c’est toujours mieux que d’utiliser du charbon, mais selon lui ce n’est pas suffisant. Le raisonnement derrière tout cela est biaisé. La situation que nous traversons est tellement gravissime que le problème ne peut pas être résolu en prétendant renouveler les énergies fossiles par des énergies renouvelables. Il est persuadé que cette idée de remplacement est un leur. L’agronome explique que :

« Le système énergétique basé sur les fossiles peut être remplacé par un système basé à 100% sur du renouvelable. C’est une réalité. Le potentiel des énergies renouvelables permet amplement de satisfaire les besoins énergétiques de l’humanité. Le problème est économique : il est quasiment aussi rentable que le fossile. C’est surtout d’un point de vue matériel que cela pose soucis ».

Effectivement, les explications de Daniel Tanuro sont très parlantes. Pour fabriquer des outils qui vont eux-mêmes permettre la fabrication des énergies renouvelables, il faut bien qu’il y ait une étape de production réelle et non pas virtuelle cette fois-ci. Celle-ci émane d’une production à 80% d’origine fossile. D’après l’environnementaliste, cette proportion n’a quasiment pas varié depuis les quarante dernières années. La transition énergétique nécessiterait donc un surcroit d’émissions qui doit être compensé quelque part. Daniel Tanuro affirme que nous ne pouvons donc pas respecter les conditions climatiques du système Terre si on ne produit pas radicalement moins de matières et de personnes.

D’où doit partir la prise de conscience pour changer de modèle ?

C’est d’en bas qu’elle doit venir selon le spécialiste avec qui nous échangeons. Pour que notre monde change, la pression ne peut venir que de la société elle-même. Les géants sont pris dans une logique concurrentielle qui est la logique productiviste du système capitaliste. Pour Daniel Tanuro c’est une logique dépassée, celle du siècle dernier, qui correspond plutôt à l’industrie de l’acier du charbon, du verre, des automobiles, etc. Cette même logique pousse aujourd’hui à des investissements toujours plus croissants en technologies et en capital. Daniel Tanuro affirme que :

« C’est cette logique qu’il faut casser. Je ne sais pas comment cela se reflétera sur la qualité des produits, mais la logique de la concurrence qui est derrière doit absolument être brisée. Il y a des choses qu’il va falloir produire moins et d’autres qu’il va falloir purement et simplement de produire tout court. Cette pression en faveur de cette solution ne peut venir que de la population. La grande difficulté est que l’immense majorité des gens doivent assurer leur fin de mois ».

Le défenseur du modèle éco-socialisme est convaincu que c’est pour cette raison qu’il faut un programme global, politique, de transformation qui actionne deux leviers : une réaction radical du temps de travail et un développement très important du secteur public.

Peut-on échapper à une dictature verte ?

Il ne faut pas avoir une vision angélique de cette affaire. Il y aura forcément des luttes et des conflits qui détermineront notre issue. Restera-t-on dans un modèle de l’hyper-consommation et l’hyper-instantanéité qui nous conduisent vers un appauvrissement des relations humaines ? Daniel Tanuro est convaincu que ce conflit n’opposera pas d’un côté les méchants capitalistes et de l’autre les gentils éco-socialistes. Il y aura des ruptures à l’intérieur même du peuple. Des batailles de forces sociales sont à prévoir, pour savoir par exemple si nous devons porter le masque pendant une pandémie ou si au nom de la liberté individuelle on continue de propager l’épidémie. Il explique que :

« Je ne milite pas pour une cyber-dictature. il faut éviter cela évidement et proposer des alternatives à cela. Il y a une troisième voie qui doit être basée sur la prise de conscience des populations. Des mouvements sociaux démocratiques doivent naître ».

La richesse des échanges d’idées que permettent ces mouvements doivent faire justement contre-poids contre cet absurde individualisme. Pour l’écrivain, il n’y a pas d’autre perspective que de concevoir la chose comme ça pour échapper à un duel entre la dictature de l’individualisme productiviste capitaliste d’une part et le spectre d’une dictature verte d’autre part.