L’adoption le 30 juin d’une vaste loi sécuritaire en Chine, transposée le lendemain à Hong Kong, pourrait mettre fin au principe « un pays, deux systèmes ». Facebook, Twitter, et Google, puis Microsoft et Zoom, ont déjà annoncé qu’eux et leurs filiales ne transmettraient plus de données aux autorités hongkongaises. TikTok, pourtant propriété de l’entreprise chinoise ByteDance, a décidé de quitter la région semi-autonome. Apple de son côté n’a pas encore pris de décision… Retour sur ce qui sous-tend les réactions des uns et des autres.

23 ans après la rétrocession de Hong Kong à la Chine, la cité risque de perdre son statut spécial. Ce statut rend la ville semi-autonome, normalement jusqu’en 2047. C’est grâce à cela qu’Hong Kong est un îlot de liberté à côté de la Chine continentale. La loi sur la sécurité nationale pourrait tout remettre en cause. Elle a été adoptée par le comité permanent de l’Assemblée nationale populaire chinoise le 30 juin, puis immédiatement incorporée à la mini-constitution de Hong Kong. Cette loi cherche à réprimer le « séparatisme », le « terrorisme », la « subversion » et la « collusion avec des forces extérieures et étrangères ». Ces termes, Pékin les a abondamment utilisés pour désigner les participants aux manifestations sur le territoire en 2019 et 2020. Depuis l’entrée en vigueur du texte, des manifestants ont été arrêtés, des livres enlevés des écoles, un « bureau de sécurité nationale » a été ouvert, autant d’indices qui incitent à penser que le statut spécial de Hong Kong ne survivra pas longtemps, si tant est qu’il existe encore.

Les articles de loi qui concernent la Tech

Les géants de la Tech ont été parmi les premiers à réagir à l’adoption de la loi avec les diplomates et gouvernements occidentaux. La plupart ont décidé de suspendre la transmission d’informations aux autorités. Cette rapidité s’explique par la crainte de voir Hong Kong incluse dans la « Grande Muraille virtuelle ». Cette expression, venue d’internautes chinois, désigne la fermeture progressive du territoire de l’Empire du Milieu aux services technologiques étrangers comme Facebook, Twitter et YouTube interdits en 2009.

Pour le moment il n’est pas encore question d’interdire ces services à Hong Kong, mais plusieurs des 66 articles de la loi sont sources d’inquiétudes. L’article 9 explique, par exemple, que Hong Kong « prendra les mesures nécessaires pour renforcer la publicité, l’orientation, la surveillance et la gestion dans les écoles, les organisations sociales, les médias, les réseaux et autres questions liées à la sécurité nationale ». Des livres ayant déjà été retirés des écoles, quand le ménage sera-t-il fait sur les réseaux, c’est-à-dire sur internet ? Et attention, en cas de non-respect de la loi, de refus de supprimer un contenu désapprouvé par les autorités, l’article 43 dispose que les plateformes s’exposeront à des amendes de 100 000 dollars hongkongais (environ 11 400 euros) et 6 mois d’emprisonnement. Une peine pouvant aller jusqu’à un an pour l’usager.

Les Hongkongais ne s’y trompent pas et se sont massivement jetés sur les VPN pour ne pas être identifiés sur la toile. Ainsi, leur téléchargement a été multiplié par 7 lorsque la loi a été présentée pour la première fois fin mai.

La menace sur la liberté d’expression est évidente et c’est souvent ce qui est brandi par les grandes entreprises technologiques. Sans remettre en cause la volonté sincère des uns et des autres de protéger leurs utilisateurs, ils vont rarement plus loin.

TikTok, une occasion en or de se défaire de l’image « made in China »

C’est la décision la plus radicale de toutes, la direction de TikTok a fait savoir qu’elle avait décidé de quitter purement et simplement Hong Kong. Pas question pour autant de remplacer l’application par sa version censurée en Chine, Douyin. C’est probablement l’initiative qui a suscité le plus de commentaires : la maison mère du réseau social n’est autre que ByteDance, une entreprise chinoise. Pourtant ce choix n’est pas illogique.

Depuis plusieurs mois TikTok est menacé d’interdiction aux États-Unis où elle est soupçonnée de transmettre des informations sur ses utilisateurs à la Chine. Depuis, ByteDance tout fait pour montrer patte blanche à la Federal Trade Commission et au département de la justice américaine, PDG américain, siège à Los Angeles, plus de modérateurs chinois…

Réagir plus radicalement que les entreprises américaines à la main mise de Pékin sur Hong Kong est encore un signe envoyé à l’Occident. En parallèle de cette décision, le 6 juillet, le secrétaire d’État américain aux affaires étrangères, Mike Pompeo, expliquait encore envisager d’interdire l’application aux États-Unis.

Pour Facebook, Twitter et Google, les choses sont plus simples à Hong Kong

Dès le 6 juillet, les trois entreprises ont annoncé qu’elles ne transmettraient plus d’informations aux autorités. Cette pratique est banale, par exemple, dans le cadre d’enquêtes judiciaires. En 2019, entre juillet et décembre, la France a fait 7 001 demandes de ce type, rien qu’à Facebook. À Hong Kong, Twitter a reçu 3 requêtes sans les satisfaire, Facebook en a reçu 241 et a accepté de transmettre des données dans moins de la moitié des cas. Avec la nouvelle loi, il existe un risque, une crainte, que les demandes des autorités soient détournées pour réprimer des opposants politiques.

Le porte-parole de Facebook n’a pas expliqué autre chose à l’AFP, « Nous pensons que la liberté d’expression est un droit humain fondamental et nous soutenons le droit des personnes à s’exprimer sans craindre pour leur sécurité et sans redouter d’autres répercussions ». Google, de son côté, a admis que des contenus pourront être supprimés à la demande des autorités. Facebook et Twitter n’ont pas voulu faire de commentaire sur ce point…

Pour Google, Facebook et Twitter, résister ainsi, relativement et indirectement, à Pékin est moins problématique que pour d’autres. D’une part le marché hongkongais représente une faible part de leurs revenus, d’autre part leurs activités en Chine continentale sont restreintes. Ils n’ont pas de conséquence à redouter. Pour Facebook et Google, les tentatives pour réintégrer le marché chinois, en se pliant de bon gré aux exigences de censures, ont toujours été soldées par un échec jusqu’à présent. Ce n’est pas le cas des entreprises suivantes.

Le paradoxe Zoom

Zoom a réagi comme Facebook, Google et Twitter le 7 juillet et a déclaré que l’entreprise « soutient l’échange libre et ouvert de pensées et d’idées ». Une prise de position plus risquée pour l’entreprise de visioconférence puisqu’elle est disponible depuis la Chine et donc exposée aux mesures de rétorsion de Pékin. Le pour et le contre a dû être longuement pesé puisque Zoom n’a pas toujours résisté aux pressions de la Chine.

Mi-juin l’application a été au cœur d’un scandale en décidant de perturber des visioconférences puis de suspendre trois comptes évoquant la répression de Tiananmen et la situation de Hong Kong. Parmi les personnes touchées, l’une d’elles était basée à Hong Kong. Suite à cette affaire, Zoom a assuré que les demandes chinoises ne seraient pas suivies d’effet si les personnes concernées se trouvent en dehors des frontières du pays. Quid de Hong Kong ?

À noter que Microsoft a également pris position malgré la présence de LinkedIn en Chine.

L’embarras d’Apple

La marque à la pomme est dans la position la plus inconfortable des entreprises technologiques. C’est la seule entreprise américaine qui n’a pas pris de mesure spécifique depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la sécurité intérieure. L’entreprise explique étudier la loi, comme toutes les autres, et n’avoir pas reçu de demande d’information depuis son entrée en vigueur. Elle a ajouté avoir « toujours exigé que toutes les demandes de contenu émanant des autorités policières locales soient soumises dans le cadre du traité d’entraide judiciaire en vigueur entre les États-Unis et Hong Kong ».

C’est le GAFA le plus exposé à d’éventuelles représailles chinoises. Foxconn le principal sous-traitant d’Apple pour produire ses iPhone est chinois, le marché local ne peut pas être négligé. Depuis le début de la crise à Hong Kong en 2019, Apple a souvent été critiqué pour plier devant chaque exigence chinoise, supprimer les VPN de l’App Store, des applications, et même des emojis. Il ne faut sans doute pas s’attendre à ce que la politique de l’entreprise change à la faveur de cette nouvelle crise à Hong Kong.

Une autre entreprise a livré une réponse évasive aux journalistes qui l’ont sollicitée : Reddit. Un porte-parole a simplement déclaré que « Toutes les demandes légales de Hong Kong sont soumises à un examen minutieux de leur validité et à une attention particulière aux implications en matière de droits de l’Homme ». Cette position ambigüe s’explique par des questions économiques, Reddit a bénéficié d’un investissement conséquent du géant chinois Tencent.

Que dit le gouvernement de Hong Kong

Carrie Lam, cheffe de l’exécutif hongkongais a déclaré le 7 juillet que « le gouvernement de Hong Kong va appliquer vigoureusement cette loi » tout en balayant les craintes sur les pertes de libertés des 7,5 millions de Hongkongais. Selon elle, la loi sur la sécurité nationale « n’est certainement pas aussi sombre qu’il y paraît pour Hong Kong ».

Sur la question numérique en elle-même, la présidente du nouveau Parti du Peuple pro-Pékin a expliqué au Wall Street Journal que la décision de suspendre la transmission d’informations est une « réaction excessive et basée sur une mauvaise compréhension de la portée de la nouvelle loi », elle ajoute que « les demandes quotidiennes de données n’ont rien à voir avec les infractions à la sécurité nationale ».

Seul l’avenir pourra donner raison, ou tort, aux autorités de Hong Kong. De leur côté les géants technologiques doivent se préparer à composer avec les exigences de la censure chinoise ou assumer jusqu’au bout leurs positions et éventuellement partir de Hong Kong au nom de la liberté d’expression.