Avec le confinement, les thérapeutes n’ont pas pu honorer leurs rendez-vous, une aubaine pour les applications de santé mentale aux États-Unis. Une étude de Sensor Tower, relayée par CNBC, dévoile que les 20 meilleures applications ont été téléchargées 4 millions de fois en avril. Un succès qui interroge. Est-ce que les services proposés sont réellement à la hauteur ? Qu’en est-il de la protection des données des utilisateurs, par essence très personnelles ?

La téléconsultation, solution incontournable du confinement

Le confinement a pu être une épreuve difficile à traverser psychologiquement : enfermement, crainte d’être contaminé en allant faire ses courses, stress, surcharge … Pour les personnes déjà suivies, la situation est pire, les rendez-vous avec les thérapeutes étant impossibles.

Le phénomène observé par la société Sensor Tower est dès lors logique : les Américains confinés ont fait le choix de se tourner vers la télémédecine et en particulier vers les applications de santé mentale. Au total, les téléchargements de ce type d’application ont augmenté de 29% entre janvier et avril. Inhabituels pour cette période de l’année d’après Alex Malafeev, co-fondateur de Sensor Tower, « ces applications connaissent un mois de janvier fort en raison des résolutions du Nouvel An, mais les téléchargements diminuent au cours des mois suivants ». La pandémie de Covid-19 a modifié cette dynamique.

L’association américaine de psychologie a enregistré près de 20 000 applications de Santé mentale. On y trouve de tout, des chatbots fonctionnant (paraît-il) grâce à l’intelligence artificielle à des applications proposant des discussions avec des thérapeutes agréés comme BetterHelp et Talkspace.

Aucune de ces deux startups n’a voulu dévoiler la hausse du nombre d’utilisateurs, mais Sensor Tower les a respectivement évalués, entre janvier et le 1er mai, à plus de 60%, de 50 000 à 80 000 nouveaux inscrits et à 34%, de 28 000 à 40 000 nouveaux inscrits. Neil Leibowitz, directeur médical de Talkspace note également une hausse de 500% de thérapeute voulant rejoindre la plateforme.

La fiabilité des applications et protection des données à questionner

Ces chiffres ouvrent autant de perspectives pour la télémédecine dans le domaine de la santé mentale, qu’ils inquiètent. La qualité des applications peut être très variable comme la qualité des solutions proposées aux personnes en souffrance psychologique. La Bibliothèque américaine de médecine a identifié des applications téléchargées 2 millions de fois sur l’App Store et le Play Store, proposant de faux numéros d’équivalents de SOS Suicide. Le Dr Stephen Schueller, créateur d’un site web non lucratif, Psyberguide, a estimé auprès de CNBC que seules 3% des plateformes disponibles sont fiables, « Trouver une application thérapeutique efficace peut être comme trouver une aiguille dans une botte de foin » a-t-il déclaré.

L’autre risque majeur est le partage des données. Une pratique à laquelle s’adonnent BetterHelp et Talkspace selon le site Jezebel. Sur BetterHelp, pour s’inscrire, les utilisateurs doivent remplir un formulaire anonymisé comportant des informations sur leurs antécédents psychologiques, leurs orientations sexuelles, éventuellement leurs pensées suicidaires.

Une autre étude relayée par CNBC explique que 80% des 36 applications de santé mentale et lutte contre le tabagisme partagent leurs données avec Facebook et Google, parfois sans en avertir leurs utilisateurs. Une pratique qui n’est pas formellement interdite aux États-Unis, même si elle constitue une zone grise. Pour Quinn Grundy, professeur assistant à l’université d’infirmier de Toronto « Les données sont vraiment la monnaie d’échange sur le marché des applications ».

Le gouvernement américain, le pied entre deux chaises

Les États-Unis se sont retrouvés comme coincés. Face aux besoins de soutiens de la population, une politique de déréglementation a été privilégiée. En février les États ont renoncé d’interdire aux thérapeutes avec une licence d’un autre État à exercer. En mars, les professionnels ont été autorisés à échanger avec leurs patients via des plateformes ne répondant pas à toutes les exigences de la Health Insurance Portability and Accountability Act, une loi fédérale de 1996 sur les échanges de données médicales. En avril la Food and Drug Administration (FDA) a décidé d’alléger les contrôles sur les applications de santé mentale arrivant sur l’App Store.

Pour Quinn Grundy cet assouplissement décidé durant le confinement n’empêche pas la FDA de réfléchir à comment mieux encadrer le domaine naissant de la télémédecine. La Federal Trade Commission veut, de son côté, s’attaquer aux applications de santé mentale trompeuses sur leurs promesses.

Pour le monde de la médecine, comme pour le travail, le confinement a ouvert plus que jamais le débat sur l’exercice à distance. Avec cette question centrale pour la médecine, non-altérée par le confinement, quel compromis trouver entre solution innovante et protection des données, sécurités.