Frédéric Verdavaine dirige l’activité de services aux particuliers du groupe immobilier Nexity. Il revient pour le Siècle Digital sur la façon dont la révolution numérique reconfigure les logiques économiques et managériales de son secteur et les grands défis des prochaines années.

Siècle Digital : Avant toutes choses, pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’activité de Nexity ainsi que vos responsabilités au sein de l’entreprise ?

Frédéric Verdavaine : Nexity est un acteur majeur de l’immobilier en France, nous sommes organisés en plateforme de services immobiliers dédiés à nos Clients collectivité, entreprise et particulier. Pour ce dernier, nous proposons des solutions et des services pour les accompagner sur l’ensemble de leur parcours de vie immobilière : achat neuf et ancien, vente, investissement locatif, syndic, gérance, résidences de services pour étudiants ou séniors grâce à nos expertises de promoteur, de gestionnaire et d’exploitant. Ces expertises sont aussi déployées pour nos clients entreprises et collectivités.

Pour ma part, j’occupe les fonctions de Directeur Général Délégué du Groupe et de Président des activités de services immobiliers aux particuliers. Ces métiers nous positionnent au cœur de la vie des gens, ainsi qu’au croisement de nombreux enjeux de société : logement, vivre-ensemble, transition énergétique, vieillissement, solidarité intergénérationnelle…

SD : Diriez-vous que le secteur de l’immobilier a intégré la nouvelle donne technologique tardivement ? Peut-on parler selon vous de révolution culturelle ?

FV : La technologie est un outil et non une finalité. Chez Nexity, elle est utilisée pour servir notre vocation d’être utile à nos Clients externes, mais aussi à notre Client interne, en améliorant l’efficacité de son travail et en lui facilitant certaines tâches. Ainsi, ce qu’il faut comprendre c’est la logique qui guide notre action ; nous partons de notre Client, de son besoin concret face auquel nous proposons un produit. En parallèle, notre mission consiste à appréhender l’évolution des usages, et d’y répondre par une large offre de services. Enfin, nous travaillons sur les problématiques de notre société comme celles, par exemple, de la ville de demain, des nouvelles formes de vivre ensemble ou du bien-vieillir.

Nous développons ainsi des solutions comme les résidences services pour étudiants ou pour séniors, et nous construisons un écosystème de start-ups et d’associations partenaires avec lesquelles nous sommes en mesure de proposer des solutions pour par exemple, la mobilité douce ou l’utilisation de produits issus de l’économie circulaire.

L’intégration des technologies dans les services immobiliers aux particuliers a certainement été plus tardive que dans d’autres industries. Néanmoins, les choses se sont très largement accélérées tout d’abord pour dématérialiser toutes les activités à faible valeur ajoutée – moins de temps perdu à des tâches administratives c’est plus de temps consacré à la relation humaine avec nos clients – mais aussi l’usage des nouvelles technologies pour réenchanter la relation avec nos clients.
Par exemple, la dématérialisation des visites d’immeubles permet au gestionnaire d’une copropriété de passer plus de temps à discuter avec les copropriétaires ; et les visites immersives, cartes 3D, sont autant de services qui sont aujourd’hui parfaitement intégrés à notre activité et qui transforment l’expérience client.

Aujourd’hui, le sujet de la technologie est celui des communautés et des plateformes. Nous devons sans cesse nous demander comment créer et animer des communautés, au sein d’un immeuble, d’un quartier. Ainsi, nous travaillons par exemple avec la start up MonBuilding au sein de nos résidences étudiantes et nous avons développé notre application Eugénie pour nos copropriétés. Ces deux applications permettent aux occupants d’échanger entre eux, d’avoir une communication directe avec le gestionnaire mais aussi d’avoir des informations sur ce qui se passe dans le quartier. La technologie que l’on pense souvent désincarnée nous permet ici au contraire de créant du liant entre les habitants.

SD : Quelle a été la politique que vous avez mise en place et avec quels effets ?

FV : Avec le comité stratégique de Nexity et sous la houlette d’Alain DININ, nous avons eu très tôt la conviction que l’innovation ne peut être efficace que si elle est organisée et incitée. Organisée au travers d’une direction de l’innovation, d’un start-up studio et de la  » Cité  » notre école interne. Incitée par nos conférences internes  » retour d’expériences  » animées par d’autres dirigeants de grands groupes, par notre Comité de curiosité ou par notre Comité des parties prenantes. Au niveau des activités des services, nous avons aussi travaillé à rendre l’organisation plus agile en réduisant le nombre de lignes hiérarchiques ou en créant des instances transversales aux organisations hiérarchiques. Malgré l’événement tragique auquel a fait face Nexity le 24 avril dernier, nous poursuivons plus que jamais cette mission d’être utile à notre quatre Clients, en se réinventant et s’améliorant chaque jour.

SD. Quelle a été la réaction des collaborateurs ?

FV : Les réactions ont été variées car elles sont intrinsèquement liées à la culture numérique des individus comme de leur appétence au changement. Chez certains collaborateurs s’est exprimée, à l’origine, une forme d’anxiété. Celle que la technologie pourrait remplacer le travail de l’homme. Aujourd’hui, toutes ces avancées suscitent majoritairement de l’enthousiasme, car nos collaborateurs constatent que leur temps de travail est occupé à des tâches à forte valeur ajoutée quand d’autres, plus fastidieuses, ont pu être automatisées :plus de temps auprès du client, moins de temps administratif. Dans nos métiers, c’est le contact humain qui donne de la valeur, mais également du sens.

On ne peut concevoir une expérience client augmentée sans une expérience collaborateur enrichie. C’est aussi une révolution culturelle managériale qui impose une réflexion permanente pour trouver le bon équilibre et tirer le meilleur des deux mondes. Il s’agit de stimuler la créativité, l’agilité et l’esprit d’initiative en veillant à la persistance de la culture d’entreprise, entendue comme ses valeurs et sa fierté d’appartenance. Nous visons toujours une meilleure communication des outils et des savoirs et une circulation accrue des compétences. La mission du management est de faire grandir les collaborateurs et de donner du sens à leur action.

SD. Quelles sont, selon vous, les prochaines innovations technologiques structurantes pour votre secteur / votre entreprise dans les prochaines années ?

FV : Plusieurs révolutions sont à l’œuvre aujourd’hui. Il faut citer bien sûr l’immeuble intelligent et connecté, source de performance énergétique, d’amélioration des services par une connaissance fine des usages, et chaînon essentiel du développement de la smart city. L’enjeu de la data est aussi essentiel qu’il est complexe car il est nécessaire de trouver la bonne formule entre les solutions qu’elle peut apporter et la nécessaire protection des données personnelles.

Certaines révolutions sociétales nécessitent également d’investir dans l’innovation pour répondre à l’évolution des besoins. Je pense notamment à la prise en compte technique de l’e-santé au sein même du logement, en particulier pour les séniors. Par exemple, avec la mise en place d’équipements permettant de prendre les constantes ou d’assurer les téléconsultations. Ces enjeux sont aujourd’hui au cœur de nos réflexions mais la principale révolution à venir n’est pas uniquement technologique ou sociétale, elle est aussi cognitive. C’est l’enjeu de la plateformisation et de l’approche communautaire qui nous demandent de penser différemment les services immobiliers pour les inscrire dans un écosystème favorisant le vivre-ensemble. Aujourd’hui, on raisonne essentiellement à l’échelle d’un immeuble alors que la bonne échelle est à mon sens celle du quartier.

Cela implique de faire collaborer différents acteurs de la vie locale (habitants, commerçants, services publics, associations, élus, prestataires de services) mais également de développer des technologies accessibles à tous permettant la création et l’animation de ces communautés. C’est à mon sens le principal défi structurel pour le secteur dans les prochaines années.