Début avril les médias se sont fait l’écho de destruction d’antennes 5G au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Ces destructions seraient liées à plusieurs théories du complot circulant sur les réseaux sociaux associant à divers degrés la 5G et la pandémie de coronavirus. Retour sur le cheminement d’une folle rumeur née en Belgique fin janvier.

L’OMS en première ligne contre l’infodémie

Une pandémie entraînant le confinement de plus de 3 milliards d’individus autour du globe ne pouvait pas échapper au fléau complotiste. Dès début février, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) expliquait que la lutte contre la maladie devait être menée de front avec une guerre aux Fake News. Sylvie Briand, directrice de l’OMS pour la préparation aux risques infectieux mondiaux expliquait, « En plus d’une épidémie de maladies, il y a ce que nous appelons une ‘infodémie’ : la circulation de rumeurs et de fausses informations ». Ce nouveau terme, « infodémie » a été, depuis, repris par Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU le 27 mars pour désigner les Fake News autour de la crise mondiale de coronavirus.

L’OMS s’est rapidement attelée à la tâche de contenir autant que possible cette épidémie de fausses nouvelles. Une mission éminemment ardue à l’heure des réseaux sociaux, des mesures de confinement ne suffisant pas à la maîtriser. Une page a été créée sur le site de l’organisation pour « En finir avec les idées reçues », battant en brèche les principales rumeurs autour de la pandémie. En tête de ces débunkages figure, actuellement, la dénégation du lien entre Covid-19 et le déploiement de la 5G.

 

Le lien entre 5G et coronavirus, en tête des rumeurs démenties par l’OMS.

Le média Wired s’est lancé dans une vaste enquête pour retrouver le patient zéro de cette infodémie particulière. Un travail des plus complexe, les théories du complot pouvant émerger dans différentes communautés parallèlement. La première trace retrouvée par Wired remonterait au 22 janvier, dans l’édition régionale d’un journal belge, Het Laatste Nieuws. À ce moment précis le coronavirus était encore cloisonné à Wuhan, où 9 morts et 440 infectés étaient recensés.

Dans le journal, l’interview d’un médecin généraliste implanté à Putte, en Belgique, Kris Van Kerckhoven. Il intervenait pour alerter sur les dangers pour la santé de la 5G, des risques non étayés à l’heure actuelle. Questionné sur la pandémie naissante à Wuhan et l’activation d’antennes 5G le médecin expliquait, prudent « Je n’ai pas fait de vérification des faits » tout en ajoutant « Il peut y avoir un lien avec l’actualité ».

L’article a été retiré, après quelques heures en ligne, et le rédacteur en chef de Het Laatste Nieuws a regretté la publication de ces citations infondées. Trop tard visiblement pour empêcher les théories du complot de fleurir sur internet. Plusieurs groupes anti-5G néerlandophones, puis des groupes similaires anglophones, se sont emparés de l’article pour soupçonner un lien de cause à effet entre la 5G et le coronavirus.

Les groupes Facebook anti-5G, premier vecteur

L’infodémie a ensuite muté. Pêle-mêle, la 5G favoriserait la propagation du coronavirus en affaiblissant le système immunitaire, la 5G provoquerait des symptômes semblables à ceux du coronavirus, le virus a été créé par l’homme à cause de l’implantation de station 5G à Wuhan, le confinement serait une couverture pour installer des antennes, car le virus n’existerait pas, la fondation Bill Gates serait impliquée, les illuminatis pourraient l’être également…

Selon la plateforme d’analyse des médias sociaux CrowdTangle, propriété de Facebook, la théorie du complot se propage alors principalement via les groupes anti-5G. Début février, environ 1 000 messages sont postés sur le sujet suscitant 45 000 interactions.

Le 30 janvier le site complotiste d’extrême droite américain InfoWars embraye et fait le lien entre le lancement de la 5G et l’épidémie. Le lendemain un autre site conspirationniste, ZeroHedge parle du coronavirus comme d’une arme biologique créée artificiellement…

Ces théories du complot commencent progressivement à percer sur les réseaux sociaux à partir de mi-février. Des pages Facebook dotées de plusieurs centaines de milliers d’abonnés comme la page Waking Times, partagent ces différentes rumeurs. En parallèle des vidéos apparaissent sur YouTube, leurs compteurs de vues commencent à s’affoler.

En France, un groupe, HelloHelloInfo, se définissant sur sa page Facebook comme non « rattaché à aucun groupe industriel, à aucun lobby particulier, qu’il soit financier ou politique » publie le 5 mars une vidéo fourre-tout faisant entre autres, le lien « entre la 5G et un faux virus ». La vidéo a atteint, à l’heure actuelle 54 000 vues. Reprise par une autre chaîne elle culmine cette fois à plus de 670 000 vues.

Dans cette vidéo commentée d’une voix grave, la plupart des virus du XXe et XXIe siècle sont des créations de lobbies pharmaceutiques, de géants de la Tech, ou de la fondation Bill Gates… Un visuel du groupe résume la, ou plutôt; les théories du complot véhiculées.

 

Le groupe semble bien être premier degré… Source : HelloHelloInfo / Facebook

Toutes les grandes épidémies du XXe et XXIe siècle pourraient être corrélées avec l’apparition de technologie émettant des ondes. Des parallèles aberrant, occultant totalement les redoutables épidémies auxquelles a dû faire face l’humanité dans son histoire, sans technologie émettant des ondes. Par ailleurs le visuel ne s’embarrasse pas d’exactitude dans le choix des dates. Par exemple l’épidémie d’Ebola de 2014 est en réalité une résurgence d’une maladie apparue en 1976 selon l’OMS.

Une autre vidéo complotiste, filmée en marge d’un rendez-vous antivaccins aux États-Unis, diffusée le 12 mars, montre Thomas Cowan, un adepte de la médecine anthroposophique. Cette pseudo médecine est une création d’un occultiste autrichien du début du XXe siècle. Pour les partisans de cette théorie, les virus n’existent tout simplement pas. Ils sont en réalité des débris sécrétés par les cellules en réaction aux ondes reçues par le corps. Pour Thomas Cowan c’est donc la mise en place du réseau 5G à Wuhan qui a fait naître le coronavirus. Avant d’être supprimées, des reprises de la vidéo ont atteint jusqu’à 1,8 million de vues.

Non, la première activation d’antennes 5G ne s’est pas produite à Wuhan…

Comme pour le médecin belge Kris Van Kerckhoven et d’autres contenus complotistes, l’une des preuves mises en avant pour crédibiliser cette théorie serait l’activation pour la première fois d’antennes 5G à Wuhan.

Ils oublient sans doute que les premières antennes 5G à usage commercial se trouvent en Corée du Sud, activées en avril 2019. Par ailleurs, en Chine, en plus de Wuhan, 50 grandes villes ont déployé la 5G en même temps le 31 octobre 2019. Que dire des pays, comme l’Iran, très touché par le coronavirus, qui n’ont pas une seule antenne 5G sur leur territoire ?

Début avril la propagation de l’infodémie commence à avoir un impact dans le monde réel, en Grande-Bretagne. Sur une vidéo partagée le 2 avril par un journaliste de la BBC, vue 2,5 millions de fois une femme prend a partie des ouvriers qu’elle accuse d’installer une antenne 5G qui « tue »… Dans la foulée des antennes 5G commencent à être incendiées… Le Guardian en recensait une vingtaine le 6 avril.

Le phénomène a contraint les autorités britanniques à réagir. Le 5 avril le ministre britannique Michael Gove a pointé une théorie du complot d’une « dangereuse absurdité ». Stephan Powis, directeur du NHS, le système de santé britannique, a qualifié le lien entre 5G et coronavirus de « pire sorte de fausses nouvelles ».

Pendant ce temps l’infodémie a continué de s’étendre en France. Le 4 avril, sur Facebook une utilisatrice a mis en ligne une carte, partagée plus de 350 fois, comparant le soi-disant déploiement des antennes 5G avec les foyers d’infection de coronavirus dans l’Hexagone. Pour elle les deux cartes concordent proclamant « coïncidence… Je ne pense pas… »

 

Corrélation fantaisiste entre foyer d’infection et déploiement de la 5G diffusée sur Facebook.

Problème : la carte publiée provient certes d’une source officielle, l’Arcep, mais ne concerne pas du tout le déploiement des antennes 5G, mais celle… de la fibre optique. La vraie carte, publiquement disponible ici, montre, par exemple, l’absence d’expérimentation d’antennes 5G dans le Grand Est, pourtant l’une des régions de France les plus touchées par la pandémie. Il n’est pas inutile de préciser qu’en France les antennes 5G n’ont pas encore d’utilisateurs, elles émettent donc actuellement des ondes extrêmement faibles comme le montre une étude récente de l’ANFR.

Les médias se mobilisent

L’OMS affirme travailler main dans la main avec Google et Facebook pour endiguer l’infodémie. YouTube supprime les vidéos complotistes lorsqu’elles sont repérées, Facebook a pour sa part supprimé deux groupes majeurs et utilise en France son dispositif anti-fake news en collaboration avec des médias de référence. La comparaison des cartes publiées le 4 avril est, par exemple, suivie d’articles de fact-checking de l’AFP et de 20 minutes.

 

Les articles de Média de vérification sur Facebook directement sous la comparaison hasardeuse

 

Un autre type de dispositif anti-Fake News sur Facebook. Ici contre une rumeur anglaise expliquant que le virus est un prétexte pour implanter une puce aux populations.

La destruction d’antennes aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne a amené les médias à se pencher sur les théories du complot liant coronavirus et 5G. Les articles se sont multipliés à ce propos les deux premières semaines d’avril. Pas suffisant pour faire cesser les Fake News. Sur l’un des principaux groupes Facebook français anti-5G, « Stop à la 5G (France) (Monde) » avec un peu moins de 4 000 membres particulièrement prolifiques (640 publications par jour), était encore publié, le 13 avril, un message entretenant l’ambiguïté autour d’une relation de cause à effet entre la 5G et le coronavirus, partagé plus de 180 fois. Il convient de préciser que certaines publications de ce type n’attirent pas que des commentaires convaincus sur le groupe anti-5G.

 

Commentaire sous une publication complotiste sur la page du groupe « Stop à la 5G (France) (Monde) »

Pour Josh Smith, chercheur du groupe de réflexion Démos, interrogé par Wired, le succès des théories du complot concernant la 5G repose sur une logique habituelle, « Elle fournit une explication, et un bouc émissaire, pour les souffrances causées par cette pandémie ; ainsi que, cruellement, elle suggère un moyen de l’arrêter : démontez les mâts et le virus disparaîtra ».

La mobilisation des médias pour démonter factuellement l’infodémie ne pourra probablement pas guérir les conspirationnistes les plus convaincus. Pour eux, toute dénégation suggère une complicité. Elle pourra peut-être éviter sa propagation à une plus large audience.