Dans un communiqué du 19 février 2020, le Sénat fait part de la proposition de loi, adoptée à l’unanimité, « visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace ». Initiative qui pourrait, selon les rapporteurs de cette proposition, renforcer l’expérience du gouvernement dans son projet européen pour un meilleur contrôle des « Big Tech ».

Accélérer les choses au niveau national

Telle est la prétention de cette proposition, d’après ses rapporteurs, qui vise à encadrer les plateformes des « Géants du Net » grâce aux trois mesures suivantes : « neutralité des terminaux, interopérabilité des plateformes, lutte contre les acquisitions dites « prédatrices » ». Le texte est également censé lutter contre les dark patterns (interface conçue pour tromper ou manipuler un utilisateur), et renforcer le pouvoir de contrôle des autorités en charge de la concurrence sur les algorithmes.

Dans les motifs précédemment exposés par le Sénat, il s’agit en effet de lutter contre des situation oligopolistiques enfermant les utilisateurs dans un écosystème, où les choix du consommateur sont « conditionnés par toute une série de dispositifs que maîtrisent les géants du numérique ».

Le Sénat rappelle notamment la puissance économique de ces grandes entreprises, devenues démesurée : « La capitalisation boursière de Google et d’Apple équivaut à celle de l’ensemble du CAC 40. Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) réalisent un chiffre d’affaires comparable aux recettes fiscales françaises. Certains grands entrepreneurs du numérique vont jusqu’à théoriser le retour du monopole, alors même que la libre concurrence et la liberté du consommateur ont toujours été considérées comme des conditions nécessaires à l’efficience des marchés. ». Cette proposition de loi suit la logique du vote en faveur de la taxe GAFA, réalisé en mai 2019.

Aussi, le problème n’est plus seulement d’ordre fiscal, d’après les sénateurs : « Il convient désormais de garantir la liberté du consommateur face à ces Géants du Net. C’est une nécessité non seulement pour rétablir le bon fonctionnement des marchés, mais également pour assurer à nos concitoyens la maîtrise de leur choix au quotidien dans le cyberespace ».

Le libre choix du consommateur

S’appuyant sur les principes établis par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes), et les constats du Conseil national du numérique, il s’agit de garantir un principe de libre choix de l’utilisateur, obligeant ainsi les fournisseurs de systèmes d’exploitation à suivre les trois axes suivants :

« – s’abstenir d’introduire, dans la configuration ou le fonctionnement du système d’exploitation, des différences de traitement injustifiées entre les contenus, applications et services, par exemple en restreignant ou en favorisant de manière excessive l’accès à certains d’entre eux ;
– s’assurer que, lorsque des services ou applications spécifiques sont inclus dans la configuration initiale du système d’exploitation, cette intégration n’a pas pour effet de remettre en cause de manière injustifiée la liberté de choix, ce qui peut être le cas lorsque l’utilisateur n’a pas la capacité effective d’accéder à d’autres services et applications visant à offrir des fonctionnalités similaires à celles intégrées à la configuration du système d’exploitation, comme un magasin d’application ou un navigateur ;
– s’abstenir de faire obstacle de manière injustifiée à la possibilité de désinstaller des contenus, applications et services initialement intégrés. »

La proposition de loi donne un rôle important à l’Arcep, qui devra recueillir des informations et développer des outils favorisant la liberté de choix des utilisateurs, dans « une logique de régulation par la donnée ». En outre, l’Arcep sera également en mesure d’établir des sanctions pécuniaires, « pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial en cas de récidive ». Ces actions entreraient alors dans un cadre de régulation au préalable (ex ante), permettant davantage de souplesse et de réactivité d’après le Sénat.

Interopérabilité des plateformes

Principe déjà appliqué par le code européen des communications électroniques aux services de communication interpersonnelles, tels que WhatsApp ou Facebook Messenger, la proposition de loi prévoit de permettre une interopérabilité, qui reste impossible dans notre vie numérique, précise le Sénat : « Sur les réseaux sociaux, l’interopérabilité entre les services permettrait par exemple d’aller au-delà de la portabilité des données consacrée par le RGPD19, ce qui rendrait possible de quitter Facebook, Twitter ou Instagram, tout en conservant les contacts et liens sociaux établis. Les utilisateurs pourraient ainsi accéder depuis d’autres plateformes à leurs conversations et contacts. C’est la mobilité du consommateur d’une plateforme à l’autre qui serait garantie, ce qui stimulerait par ailleurs la concurrence et l’innovation. »

Pour garantir ce principe, l’Arcep devrait agir une fois de plus comme régulateur, et disposerait des mêmes sanctions pécuniaires : possibilité de prélever 4% sur le chiffre d’affaires.

Lutte contre les acquisitions prédatrices

Prenant assise sur le code du commerce, la proposition de loi garantirait le droit à la concurrence interne dans l’économie numérique, le Sénat illustrant la nécessité d’une telle régulation par le rachat d’Instagram : « De nombreux acteurs considèrent aujourd’hui que le rachat d’Instagram et de WhatsApp par Facebook aurait dû être examiné par les autorités de la concurrence. Or, l’Autorité française de la concurrence n’aurait pas pu s’en saisir dans la mesure où la société cible ne réalisait qu’un chiffre d’affaires limité, bien en-deçà des seuils déclenchant une déclaration obligatoire au titre du droit des concentrations ».

Aussi le texte prévoit d’amender le « dispositif de contrôle des concentrations » au niveau national, comme européen. Les entreprises systémiques auraient ainsi l’obligation d’informer l’Autorité des acquisitions effectuées, selon un mécanisme déjà mis en place en Norvège depuis 2014. L’Autorité devrait ainsi pouvoir prévenir les effets anti-concurrentiels de certaines acquisitions.

Le « moment est venu d’agir », comme aime à le rappeler Sylviane Noël, co-rapporteure, à l’instar de l’Allemagne, qui a réformé son droit de la concurrence. D’autre part, cette proposition de loi doit s’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, déclare Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, qui lance un appel aux pouvoirs publics : « le coût de l’inaction est trop élevé. La balle est dans le camp du Gouvernement ! ».