Bogota, la capitale colombienne, est nichée sur un plateau immense entouré d’une chaîne montagneuse et c’est donc à plus de 2 600 mètres au-dessus du niveau de la mer que je rencontre Jaime Reyes, le co-fondateur de la startup fooding Houspoon. Le temps d’un café, il se confie sur cette aventure digitale et sur la situation de la transformation numérique de la Colombie.

Un évènement organisé grâce à la plateforme Houspoon

Bonjour Jaime, tu es le CEO et co-fondateur de la startup Houspoon, une plateforme qui permet de connecter des « cuisiniers maison » et des convives afin de partager une expérience autour des repas. Comment t’est venue cette idée et quelle est l’historique de ce projet ?

En 2017, j’habitais à San Francisco et j’étudiais l’entrepreneuriat et je n’avais que mes économies pour vivre ; j’avais l’habitude de rencontrer des gens via les applications de dating afin d’enrichir ma vie sociale mais ça ne fonctionnait pas toujours. Comme SF est une ville très coûteuse, je me suis demandé comment économiser de l’argent, sans que ce soit au détriment de ma vie sociale. J’ai eu ainsi l’idée d’organiser un barbecue colombien traditionnel et d’inviter des américains pour qu’ils découvrent cette aspect de notre culture culinaire. Ensuite, j’ai lancé des invitations sur différentes plateformes web et autres réseaux sociaux et, le soir du repas en question, je me suis retrouvé à cuisiner pour soixante-dix personnes ! C’était un énorme bazar mais tout le monde a apprécié la soirée et le concept de se rencontrer dans un cadre différent, autour d’un bon repas. C’était une nouvelle expérience ! Je me suis dit que je tenais une bonne idée de startup alors j’en ai parlé à mes actuels co-fondateurs et nous nous sommes lancés dans ce projet…

Peux-tu me parler de ton parcours avant de fonder Houspoon ?

Au début de mon parcours, j’ai étudié les sciences informatiques avant de me lancer dans des études d’ingénierie industrielle. Après ces années étudiantes à Bogota, j’ai commencé à bosser pour une entreprise pétrolière nationale mais je n’appréciais guère la vie de salarié alors j’ai démissionné pour monter une entreprise immobilière. A la base, c’était un site internet sur lequel tu pouvais vendre ou louer un logement, une sorte de market place ; après six mois d’activité, AirBnb est apparu sur le marché et j’ai vite compris que je ne pouvais pas lutter contre un tel géant ! J’ai donc changé mon business model pour le faire revenir à une activité immobilière d’agence traditionnelle qui a duré sept ans.

Aujourd’hui, c’est ma famille qui gère cette structure et j’en ai profité pour aller étudier l’entrepreneuriat aux Etats-Unis. A cette époque, l’un de mes cofondateurs travaillait pour Uber à San Francisco et baignait dans l’univers « start-up ». Il a fini par démissionner pour rejoindre l’aventure Houspoon peu avant que l’on intègre Mauricio, notre CTO.

Jaime Reyes

Jaime Reyes, le CEO et l’un des trois co-fondateurs d’Houspoon

Quel est le profil du « chef » typique présent sur la plateforme ?

Il y a deux principales sortes d’hôtes ; les plus communs sont les chefs et cuisiniers qui souhaitent monter un restaurant mais qui n’ont pas assez d’argent pour le faire : ils commencent alors à cuisinier à domicile pour se tester et voir si leurs plats séduisent les invités. Depuis le lancement d’Houspoon, certains d’entre eux ont réussi à mettre assez d’argent de côté et ont désormais lancé leur propre restaurant.

L’autre profil le plus répandu, c’est celui de gens comme toi et moi, qui travaillaient dans un univers corporate mais qui en ont eu marre et qui ont voulu développer leur passion pour la cuisine. Au début, ils commencent par organiser un dîner par mois, puis un par semaine et, finalement, ils se prennent au jeu et deviennent nos cuisiniers les plus réguliers ! Des passionnés et des professionnels donc…

Côté chiffres, en à peine un an, nous avons enregistré un millier d’hôtes, 7000 utilisateurs enregistrés et 4000 personnes qui se sont déjà rendu ou ont organisé un événement. Tu sais, notre business model est très classique : on prend un pourcentage sur les rétributions des cuisiniers ; ils fixent le prix qu’ils souhaitent mais savent que 14% de ce prix revient à Houspoon.

La Colombie a une réelle culture gastronomique grâce à ses influences historiques diverses mais aussi sa forte bio-diversité de produits. Quelle est la place de ces moments culinaires dans le quotidien des Colombiens ?

Nous considérons ces moments culinaires un peu de la même façon que vous le faites en Europe, peut-être grâce aux apports mélangés des cultures hispanique, indigène et africaine ; nous aimons manger et nous rassembler autour d’une table ! Traditionnellement, ce sont des moments familiaux qui se passent « à la maison » et moins au restaurant. Si tu rencontres un Colombien, il va très rapidement t’inviter à manger chez lui et vous pourrez vous retrouver à cuisiner ensemble. La cuisine créé du lien humain !

Ce projet novateur a un pied dans la restauration et un pied dans l’économie collaborative. Quel est l’importance de ces deux secteurs en Colombie ? Comment cela évolue-t-il ces derniers temps ?

Effectivement, c’est à la frontière du traditionnel secteur de la restauration et du secteur du digital, plus moderne ; c’est en train de devenir une réelle tendance ici ! Les gens veulent faire de nouvelles expériences autour de la gastronomie ! Par exemple, j’ai lu que chaque année, les Colombiens mangeaient en dehors de chez eux 20% plus souvent. Au cours des vingt dernières années, la classe moyenne colombienne a explosé et, bien que nous restions un pays globalement pauvre, le fait que la population vieillisse et qu’elle se sente de plus en plus seule, cela permet d’essayer de nouvelles expériences sociales comme celle que nous proposons.

Home Page Houspoon

Home Page de la plateforme Houspoon où se rencontrent cuisiniers en herbe et hôtes gourmands !

Quelle est la situation de l’éco-système startup en Colombie ces dernières années et qu’est-ce qui a été fait pour l’aider à se développer ?

Ca va beaucoup mieux qu’il y a cinq ans ! A l’époque, lorsque j’ai créé ma boîte d’immobilier digitalisée, je me suis rendu compte que les usages de la population étaient loin d’être matures pour utiliser ce genre de plateformes… L’éco-système « startup » était inconnu du Colombien moyen et il n’existait aucun programme pour financer les jeunes pousses innovantes, que ce soit en provenance du privé, comme du gouvernement.

Aujourd’hui, ça va de mieux en mieux ! Le secteur du retail et de la livraison ont amorcé la transformation numérique globale du pays. Au cours des deux dernières années, ils ont réussi à lever des fonds et autres subventions, des fonds d’investissements privés ont été créés et on a même vu apparaître des « startup contests » !

En 2019, la Colombie est devenu l’un des pays qui accueillent le plus d’incubateurs et d’accélérateurs et, bien que notre économie soit encore relativement en retard, on sent une grande énergie se déployer grâce à l’envie d’entrepreneurs qui veulent innover et gagner plus d’argent. Malgré tout, il nous manque encore beaucoup de venture capitalists et de fonds privés et, globalement, la mentalité de la population doit encore évoluer sur ces sujets.

Smartphone

Un parcours utilisateur simple et efficace disponible sur web et mobile.

Est-ce que tu penses que la culture politique de la Colombie a impacté sa transformation digitale ? Quelles sont les étapes à franchir pour faire de la Colombie un pays qui a réussi cette fameuse « transfonum » ?

La politique a eu un réel impact sur la digitalisation de la Colombie ; historiquement, nous sommes un pays refermé sur nous-mêmes depuis de longues années, à la différence du Brésil, de l’Argentine ou du Venezuela par exemple. Le trafic de drogue a créé une énorme pression sur le système bancaire et l’a tenu éloigné de sa digitalisation, notamment des transactions financières digitales. C’est en train de changer mais au niveau des banques, comme au niveau du gouvernement, la peur du blanchiment d’argent est encore très présente !

Les derniers gouvernements ont lancé cette transformation digitale – il y a environ huit ans je dirais – mais faire évoluer les mentalités prend aussi beaucoup de temps : une grande partie de notre économie repose encore sur des transactions en liquide par exemple… Il faut continuer à « éduquer » la population et à la former aux changements afin de lui faire prendre conscience que les transactions sont sécurisées et que les gens ne risquent pas de perdre leur argent !

C’est en cours et ça avance et on le voit à travers certains exemples : il y a maintenant cinq ans que le gouvernement a créé les infrastructures pour que chaque ville, village ou hameau ait accès à internet. Et aujourd’hui, c’est désormais le cas !