A moins de sortir d’hibernation, les observateurs avisés auront remarqué qu’une campagne avait été lancée contre la journée commerciale du Black Friday accusée d’encourager la surconsommation et de favoriser la pollution. En tête de gondole, il y avait Amazon, qui en tant que premier distributeur du marché a pris pour tous les autres.

C’est l’association Attac qui a tiré en premier en dégainant un communiqué soutenu par un rapport dans lequel le géant du e-commerce est accusé d’évasion fiscale, de contribuer à la crise écologique, de déprécier les conditions de travail et de détruire plus d’emplois que l’entreprise n’en crée. Deux chiffres ont particulièrement retenu l’attention. D’abord, « pour un emploi créé par Amazon, deux sont détruits ». Ensuite, Amazon Web Services, une entité d’Amazon spécialisée dans les services de cloud computing, « aurait émis 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2018, soit l’équivalent des émissions du Portugal ». Ces deux chiffres ont frappé les esprits par leur force évocatrice et on comprend facilement pourquoi ils ont été repris par des médias et certains politiques. Pourtant, après lecture, on réalise qu’ils sont étayés par une méthodologie critiquable sur de nombreux points.

Le premier élément, « pour un emploi créé par Amazon, deux sont détruits », se base sur une étude de l’Institute for Local Self-Reliance, qui constate qu’en 2015 Amazon avait provoqué aux États-Unis la suppression de 295 000 emplois pour une création de 146 000 postes, soit une perte nette de 149 000 emplois américains. Premier point, cette enquête date de 2015 et surtout elle applique à la France une réalité statistique américaine qui, par nature, est fatalement différente. Deuxièmement, cette étude accuse Amazon d’avoir causé la destruction de 149 000 emplois « dans les magasins traditionnels ». Or, ne sont prises en compte, ni la conjoncture économique, ni la concurrence des autres grands distributeurs. Cela semble trop définitif d’attribuer la situation à la seule expansion d’Amazon. Enfin, l’Institute for Local Self-Reliance ne considère que les postes créés par Amazon et oublie les emplois indirects générés dans les entreprises, dont les produits hébergés sur la plateforme bénéficient de son dynamisme.

Le rapport d’Attac nous dit également qu’Amazon Web Services « aurait émis 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2018 ». La méthodologie utilisée pour calculer ce chiffre choc semble biaisée. L’association a retenu l’empreinte carbone moyenne pour le stockage de 40 téraoctets pendant un an pour l’appliquer aux données gérées par AWS. Cependant, toutes les données ne sont pas stockées en datacenters, et encore moins, toutes chez AWS. Il aurait été plus honnête de prendre la consommation électrique moyenne d’un datacenter pour la multiplier par le nombre de centres appartenant à Amazon et de calculer leur empreinte carbone en fonction du mix énergétique des pays d’installation, tout en gardant en tête que 50 % des datacenters AWS sont alimentés en énergie renouvelable.

Malgré leurs faiblesses, ces deux statistiques ont été relayées par certains médias et institutionnels. Pourquoi ? 1. Parce que la méthodologie qui sous-tend une enquête est rarement décryptée. 2. Parce que la force buzzique des chiffres mis en avant frappe les esprits et offre une bonne histoire à raconter. 3. Parce que nous avons tous tendance à privilégier les informations qui confirment nos idées préconçues et à accorder moins d’importance aux hypothèses qui vont à l’encontre de nos conceptions. C’est ce qu’on appelle un biais de confirmation.

Les enquêtes constituent un levier efficace pour soutenir une campagne de relations publiques mais, pour apparaître crédibles, elles doivent s’inscrire dans une démarche scientifique rigoureuse. 1. Elles doivent avoir été conduites récemment : la réalité de 2015 n’est pas celle de fin 2019. 2. L’échantillon analysé doit être en cohérence avec l’objet étudié : les Etats-Unis ne sont pas la France. 3. Il est préférable de confier la réalisation d’une enquête à un organisme tiers spécialisé, par pur souci d’objectivité. On risque souvent une communication de crise quand on contrevient à ces principes. Le cas d’Attac servira de contre-exemple.