En avril 2019 Tencent signait un partenariat avec Nintendo. En vertu de ce partenariat, l’entreprise chinoise va distribuer la Nintendo Switch dans l’Empire du Milieu. Une formidable opportunité pour le constructeur nippon de pénétrer l’immense marché chinois. Aujourd’hui Tencent espère utiliser les personnages emblématiques de Nintendo pour ses propres jeux à destination des pays occidentaux.

On ne rappellera jamais suffisamment la puissance du géant chinois Tencent dans le domaine du jeu vidéo. Mi-2018 l’entreprise enregistrait un profit net de 3,7 milliards de dollars, notamment grâce à son statut de premier acteur du secteur du jeu vidéo en termes de chiffre d’affaires.

Courbe des chiffres d'affaires des entreprises du jeux vidéo

Chiffre d’affaires des entreprises de jeux vidéos en 2018. Crédit : Newzoo

Tencent s’intéresse aux gamers et à leurs portefeuilles depuis 2003. À partir de 2011 le géant chinois a commencé à investir massivement hors de ses frontières. En 2019 Tencent possède des parts dans un grand nombre d’éditeurs mondiaux.

Riot Games, à l’origine de League of Legends, est à 100% chinois depuis 2015. Dans la foulée de ce rachat, c’est le finlandais Supercell, éditeur de Clash of Clans qui est tombé dans l’escarcelle de Tencent. Depuis, les investissements continuent tout azimut. Plus de 40% d’Epic Games, créateur de Fortnite a été racheté. 11% de Bluehole, à l’origine de PUBG, 5% d’Ubisoft et d’Activision-Blizzard sont aussi détenus par Tencent. Encore récemment l’entreprise a acquis 29 % de par chez Funcom, un fabricant de jeux néerlandais.

Dans le Wall Street Journal, Lisa Cosmas Hanson, directrice associée chez Niko Partners, a décrypté la stratégie de l’entreprise chinoise, « Tencent poursuit habilement une domination mondiale silencieuse, par le biais d’une expansion principalement sous la forme d’investissements majeurs et mineurs dans des sociétés de l’industrie [du jeu vidéo] à travers le monde, sans les rebaptiser Tencent« .

En avril Tencent a obtenu l’autorisation de distribuer la Nintendo Switch. Si Nintendo avait bien vendu la Nintendo 64 et la DS sur le marché chinois, elle n’avait, jusqu’à présent, pas pu le faire sous son nom propre, mais via une filiale, iQue. L’annonce de l’arrivée en Chine de la Switch, après la PS4 et la Xbox One, avait fait bondir l’action Nintendo de 14%.

Pourtant le directeur général de Nintendo, Shuntaro Furukawa, avait rapidement calmé les ardeurs des analystes. Il a annoncé des objectifs de vente limités à quelques millions d’exemplaires, un chiffre relativement modeste. Par ailleurs, Tencent, leader incontesté du jeu vidéo en Chine avait expliqué à l’époque, par la voix d’un de ses responsables, que « Les jeux Nintendo ne sont pas construits pour que les gens dépensent beaucoup d’argent ».

Selon le Wall Street Journal l’objectif de Tencent est ailleurs. Tout géant qu’il est, le leader mondial du jeu vidéo a ses angles morts. Tencent c’est avant tout des jeux pour mobile et pour ordinateur, beaucoup de free-to-play et très peu d’expertise dans l’univers des consoles.

L’explication est simple. En 2000 le pouvoir chinois a interdit sur son territoire la vente des consoles de salons. Une interdiction partiellement levée en 2014, seulement dans la région de Shanghai, puis dans tout l’empire du Milieu l’année suivante. Un responsable de Tencent a notamment déclaré « Nous espérons créer des jeux pour consoles avec des personnages Nintendo, et apprendre l’essence de la fabrication de jeux pour consoles avec des ingénieurs Nintendo ».

Une motivation supplémentaire pour Tencent est une mesure récente du gouvernement chinois. Annoncée depuis 2018 et mise en œuvre il y a quelques jours, une nouvelle réglementation impose désormais un couvre-feu en ligne aux gamers de moins de 18 ans. Passé 22 heures et jusqu’à 8 heures, il n’est plus possible de jouer en ligne pour des mineurs dont le temps de jeu est également limité à 90 minutes de suite par jour. De quoi donner envie aux joueurs de se tourner vers les consoles et pour Tencent d’apprendre à développer des jeux sur console.

L’autre intérêt pour Tencent dans le partenariat avec Nintendo est de pénétrer le marché occidental, friand des jeux de la firme japonaise. Effectivement Tencent est leader mondial du jeu vidéo, mais rarement en son nom propre. L’exemple récent de Call of Duty Online le montre. Le jeu est une réussite mais la licence appartient à Activision. La seule tentative de l’entreprise pour diffuser un jeu signé 100% Tencent, Honor of kings devenu Arena of Valor, a été un échec aux États-Unis.

Un responsable de l’entreprise, précédemment cité, confirme : « Ce que nous voulons, c’est nous développer à partir de la Chine, avec pour cible les joueurs de jeux de console aux États-Unis et en Europe« . Reste à savoir qu’elle sera la position de Nintendo, habituellement frileuse sur l’utilisation de ses personnages. L’entreprise basée à Kyoto n’est peut-être pas prête à aider un potentiel concurrent.