Au coeur du quartier des affaires de Montréal, j’ai eu le plaisir de rencontre Olivier Laquinte, Président de TALSOM depuis plus de 10 ans. L’occasion de se pencher sur le fonctionnement d’un cabinet spécialisé dans la transformation digitale et l’innovation. Retour sur un échange à propos des pratiques numériques des entreprises québecoises, de la conduite du changement et de la situation digitale de la région.

Olivier Laquinte, Président de TALSOM © Guillaume Terrien

Bonjour Olivier, pourrais-tu me parler de Talsom, un cabinet spécialisé dans la transformation numérique à 360° et de son mode de fonctionnement ? 

Nous sommes une entreprise de conseil en management technologique. Nous accompagnons nos clients à travers leur transformation numérique. Pour ce faire, nous avons trois grands points d’entrée ; premièrement, nous disposons d’un studio d’innovation qui a pour fonction d’aider nos clients à développer et définir des nouveaux services numériques et à se réinventer d’une manière « innovationnelle » à travers des approches de design thinking. 

D’autre part, nous avons une équipe de « stratégie technologique » qui va bâtir des feuilles de route de la transformation au niveau humain, process et technologique ; dernier point, nos équipes d’exécution – gestion de projet et du changement – vont finalement s’assurer que les roadmaps sont suivies et les objectifs atteints. 

Notre activité cible la moyenne / grande entreprise que l’on pourrait comparer aux ETI françaises. En ce moment, nous collaborons principalement avec des entreprises manufacturières et des entreprises de distribution car ce sont elles qui sont les plus touchées par la transformation numérique. On travaille avec ces structures principalement au niveau de la chaîne de valeur, sur les systèmes de gestion, de back office et les systèmes opérationnels en évitant de se pencher l’aspect commercial.  

Vous avez développé une forte culture de l’innovation, notamment à travers un studio d’innovation qui repose sur des techniques de Design Thinking. Comment fonctionne ce studio et quelles réponses apporte-t-il à vos clients ? 

La création de notre studio d’innovation fait suite à un constat : nos clients nous demandaient de faire des plans de transformation mais n’avaient pas nécessairement identifié leur objectif final ; le studio d’innovation doit les aider à identifier leurs objectifs et définir une vision claire. Nos clients ont également besoin d’instaurer et de mettre en place une culture de l’innovation interne ; le studio d’innovation permet donc de faire de l’idéation pour générer de nouvelles idées et implanter cette culture de l’innovation au coeur des organisations. Pour ce faire, nous avons développé trois offres ; la première, ce sont des workshops sur un ou deux jours. La seconde propose des « sprints » d’une dizaine de jours pour s’attaquer à une problématique précise et la troisième s’appuie sur des projets de douze, quatorze, seize semaines pour aider nos clients à instaurer des processus sur le long terme. 

Cela nous a amené à repenser notre manière de faire de la stratégie technologique. Lorsqu’on lançait des projets stratégiques, on s’apercevait que, souvent, la stratégie d’entreprise de nos clients n’était pas comprise de la même manière par les différents départements : cela causait un problème d’alignement des objectifs et un manque d’engagement de l’exécutif. Il existait aussi une difficulté à prioriser ce qui devait être fait : c’était celui « qui criait le plus fort » qui avait gain de cause. Nous avons donc eu l’idée d’appliquer les techniques de « design thinking » pour faire en sorte d’arriver avec une roadmap en trois-quatre semaines dans lequel on fait réfléchir les clients sur leur modèle d’affaire afin de s’assurer que tout le monde a la même compréhension des problématiques, tout en identifiant ensemble les grands axes de la transformation. 

De plus, nous avons intégré des outils et notions marketing et RP liés à l’expérience utilisateur et collaborateur car la transformation numérique n’est pas une fin en soi mais elle doit avoir un réel impact business. En amenant nos clients à réfléchir à l’expérience client et collaborateur, cela permet de mieux prioriser et d’avoir une vision extérieure de leur business model, de se mettre à la place de leur client ce qui est capital. 

TALSOM accorde une place importante à l’expérience collaborateur © Guillaume Terrien

Quelle est, selon toi, la place de l’humain dans cette transformation numérique et quels sont les écueils que vous rencontrez le plus souvent dans les entreprises avec qui vous collaborez ? 

La place de l’humain est centrale : une transformation numérique doit répondre aux besoins des clients et des employés ! On rencontre souvent un « désalignement » de l’exécutif, la crainte des collaborateurs face à la technologie et un manque de compréhension du « pourquoi ? ». Ces problématiques nous ont amené à faire de la conduite du changement beaucoup plus tôt dans les projets. Historiquement, elle commençait au lancement opérationnel du projet sauf que la crainte des gens commence bien en amont ; dés le départ, nous cherchons à expliquer aux collaborateurs l’impact de cette transformation, les conséquences sur leur travail quotidien et les avantages qu’ils peuvent en tirer.  

Une transformation numérique réussie, à l’échelle d’une entreprise ou d’un état, passe aujourd’hui par l’adaptation de l’humain aux changements technologiques. Où en sont les entreprises québecquoises à ce niveau ? 

Ça dépend de ce qu’on considère être une « transformation numérique » ! Actuellement, on met principalement l’accent sur l’aspect technique – EMP, CRM… – sans se poser la question du sens de cette transformation. De nos jours, une transformation se fait en continu, en plusieurs phases qui permettent à l’entreprise de s’ajuster en permanence en intégrant de l’agilité dans l’opérationnel. Chaque entreprise se doit de faire des micro-ajustements continuels en fonction des changements opérés par le marché afin d’être plus en phase avec ses clients et ses employés. A partir du moment où l’on accepte cette réalité, la transformation est constante et l’entreprise s’adapte en permanence. 

Les valeurs de TALSOM, affichées dans les locaux © Guillaume Terrien

Que manque-t-il encore pour aligner les outils de front office aux particularités humaines du back office ? 

Aujourd’hui, je crois qu’il manque une dose de réalisme ; lorsqu’on touche à la technologie, on voudrait que ça se fasse facilement ! Malheureusement, « on ne peut pas couper les coins en rond » ! Ce qui se produit régulièrement, c’est que les organisations essaient de réduire les coûts de cette transformation numérique et que les résultats ne sont donc pas à la hauteur de leurs attentes. Voici un exemple précis : le gouvernement fédéral a voulu changer son système de paie via « le projet Phénix » ; ça a été un fiasco total qui a eu pour première conséquence que les fonctionnaires n’ont pas été payés pendant des mois ! Dans cet exemple, ce n’est pas la technologie qui pose problème mais plutôt la calamiteuse gestion de ce projet…

Autre exemple d’entrave à cet alignement : l’autre jour, je faisais une conférence pour des financiers et ces derniers m’ont posé la question suivante : « comment se fait-il que certaines entreprises adoptent le changement plus rapidement que d’autres ? ». Ma réponse a été de dire que quand on développe une entreprise, on va engager un comptable qui va devenir un directeur financier, puis VP Finances etc. On ne pourrait pas penser développer une entreprise sans ce poste précis. Pourtant, chez beaucoup de clients, il n’y a pas d’exécutif dédié au niveau technologique, pas de CDO, pas de VPTI et, du coup, personne pour proposer de nouvelles initiatives technologiques ou intégrer de nouvelles solutions digitales. Dans bon nombre d’organisations, il y a beaucoup « d’opérationnels techniques » pour intégrer la suite Office ou régler les problèmes du site web mais très peu de responsables technologiques, capables de créer et dérouler une stratégie adaptée. 

La première conséquence est que, finalement, l’investissement nécessaire pour rattraper cette dette technologique gonfle énormément ! Ainsi, l’entreprise va essayer de rogner sur les coûts et finira forcément par tomber dans une mauvaise gestion de sa transformation numérique… C’est un cercle vicieux qui se met en place et qui est présent dans bon nombre d’entreprises. 

Existe-t-il des spécificités particulières au Québec en terme de transition numérique par rapport à l’ensemble du pays ? 

C’est difficile de répondre précisément à cette question… Historiquement, les entrepreneurs au Québec sont peut-être plus frileux dans leurs investissements. Mais, globalement, il est délicat de comparer une région à une autre ! Nous sommes actuellement en train d’ouvrir un bureau en France et on me dit souvent que la France est en retard au niveau de la digitalisation mais cela dépend des critères sur lesquels on se base… Qui peut aujourd’hui se targuer d’être en avance ? Ce qu’on voit à travers les études, c’est que les pays les moins développés se digitalisent plus rapidement ; ok, mais leur point de départ est bien plus éloigné que le nôtre. Au lieu d’essayer de se comparer, il faut essayer de faire les bonnes choses pour les bonnes raisons. 

Salles de réunion au premier étage des locaux TALSOM © Guillaume Terrien

Quelles sont les initiatives gouvernementales en faveur de la transformation numérique et de l’innovation ? 

Il me semble que de gros efforts efforts sont réalisés au niveau de l’appareil gouvernemental, notamment au niveau de l’innovation et des encouragements auprès des entreprises privées à investir dans la digitalisation. Différents programmes sont mis en place au niveau des financements via des subventions et de la promotion du changement. Au Québec, il y a désormais un Ministre de la Transformation Numérique. Cela prouve que la problématique est prise au sérieux, que ce soit à l’échelle gouvernementale comme à l’échelle du privé. 

Par ailleurs, les établissements scolaire et universités sont encore en retard en ce qui concerne l’éducation technologique ; on devrait apprendre aux jeunes à coder, de manière systématique pour qu’ils émettent le souhait de s’éduquer ensuite par eux-mêmes. Cela pourrait générer un bel avantage pour le pays. 

Quelles sont les particularités canadiennes qui freinent, selon toi, la digitalisation de la société ? 

Je crois, à l’inverse, que nous avons des particularités qui la facilitent ; nous sommes très près des Etats-Unis et même si nous sommes un vaste pays, la densité de population est forte dans les villes, notamment le long du fleuve et de la frontière. Nous sommes donc « contaminés » par les évolutions américaines. 

En revanche, au Québec, le fait que nos détaillants oeuvrent sur un marché francophone a créé une sorte de protectionnisme désavantageux ; on peut aller sur Amazon en français mais sur le web, la très grande majorité des transactions se fait en anglais. De ce fait, certains géants ne sont pas venus au Québec et cela a entravé en partie notre développement technologique. De plus, certaines solutions sont uniquement anglophones et ne pouvaient pas être implantées chez nous… D’autre part, en France, il y a quatre-vingt millions d’habitants alors qu’ici, au Québec, seulement six millions. Le marché est moins grand et nous avons parfois dû développer nos propres solutions. Néanmoins, une fois que la brèche a été créée, que les usages du e-commerce, entre autres, ont été acceptés et intégrés, l’appropriation technologique s’est faite à vitesse grand V ! 

A l’échelle internationale, où situeriez-vous le Canada par rapport aux autres puissances mondiales et, notamment, à vos voisins américains ? 

Globalement, j’ai l’impression qu’il n’y a pas une trop grande différence avec la France par exemple ; je pense qu’on est assez similaire au regard des challenges et de l’adaptation à la technologie, autant par les entreprises que par les utilisateurs finaux. En revanche, par rapport aux Etats-Unis, il existe un gap de cinq à sept ans quant à l’intégration de la technologie dans nos usages quotidiens. On le voit notamment par rapport au e-commerce. Et puis, entre un marché de trois cents millions de personnes versus un marché de six millions au Québec et de trente millions au Canada, les investissements ne sont évidemment pas les mêmes. Mais nous sommes dans la bonne voie ! 

TALSOM, un cabinet spécialisé dans l’optimisation des procédés et des technologies d’affaire © Guillaume Terrien