Dans son dernier ouvrage The Four : The hidden DNA of Amazon, Apple, Facebook, and Google, Scott Galloway, analyste du marché américain de renom, évoque l’algorithme T (T pour « trillion », mille milliards). Passionnant tant il est plein de sens, je vous invite à le découvrir et comprendre comment il est utile
pour repérer les cavaliers de demain.

L’algorithme a été développé par la société d’analyse de marché L2 de Scott Galloway (rachetée par Gartner) afin d’identifier les start-up les plus susceptibles d’intégrer l’élite des sociétés valant plus de mille milliards de dollars : les fameuses licornes. L2 l’utilise pour conseiller les entreprises qui souhaitent investir des capitaux.

L’algorithme T s’est construit en analysant les GAFA, appelés ici les 4 cavaliers, qui se caractérisent tous par 8 variables.

1. Différenciation du produit

Nous sommes aujourd’hui dans un marché où le produit est roi et où les nouvelles technologies permettent aux consommateurs de comparer les offres sans avoir besoin
de se déplacer. Pour mériter leur attention, il faut singulièrement faire la différence ; pas seulement par le produit lui-même, mais en prenant en compte la chaîne de valeur complète, de la découverte du produit, son achat, et jusqu’à sa
livraison. On peut même remonter jusqu’à la fabrication et à l’élimination du produit pour identifier les points de souffrance et imaginer de nouvelles expériences avec l’apport de technologies. L’exemple d’Amazon est très parlant : très tôt, ils ont injecté des milliards de dollars et une forte dose de technologie dans l’étape finale de leur chaîne de valeur (la livraison) et sont devenus le numéro un mondial du retail.

En regardant d’ailleurs cette fameuse différenciation par le prisme de l’expérience, on s’aperçoit ainsi qu’éliminer les frustrations est ce qui apporte le plus de valeur au consommateur. Il lui est devenu bien plus simple de réaliser ses achats en ligne et de se les faire livrer, que de se déplacer au centre commercial du coin et ensuite être bloqué dans les bouchons du centre-ville.

Au final, l’explosion de la valeur n’est pas forcément liée à l’ajout de nouvelles caractéristiques ou fonctionnalités mais plutôt à l’élimination de frictions qui pénalisent l’expérience. Et des frictions il y en existe partout, pas uniquement dans le retail : le transport en est un gros consommateur. Pas étonnant que certaines des prochaines licornes comme Uber et Lyft se sont construites autour d’un transport à la demande sans friction, avec le recours à la géolocalisation pour choisir sa voiture et un paiement dématérialisé pour simplifier l’utilisation.

2. Capital visionnaire

Le 2ème facteur pour devenir une licorne est la capacité à attirer du capital bon marché qui permettra d’investir plus que la concurrence. Ce capital s’obtient grâce à une vision simple et audacieuse, portée par un dirigeant charismatique capable de la conter et de faire rêver les marchés.

“La vision de Google est d’organiser l’information mondiale”. C’est simple et ambitieux, avec une portée mondiale pour toucher tous les marchés, mais c’est surtout
ce qui permet à Google d’avoir plus de moyens que n’importe quelle société de médias pour investir dans ses ingénieurs, d’expérimenter plus et ainsi changer le monde. Le marché considèrera cette start-up comme un leader de l’innovation et lui accorderait par conséquent plus de capitaux.

3. Portée internationale

Le produit ou service doit ambitionner une envergure mondiale pour accéder au plus grand marché possible et éviter les récessions locales, et ainsi attirer un capital bon marché. Cette portée internationale rassure les investisseurs et influence le marché à tel point que le premier dollar gagné par Uber hors des États-Unis a faitgrimper sa valeur de plusieurs milliards de dollars.

Les 4 cavaliers ont tous parfaitement réussi à se mondialiser : Apple est présent partout, tout comme Google (excepté en Chine) ; pour Facebook, les deux tiers de ses utilisateurs vivent hors des États-Unis, et Amazon se développe plus vite en Europe que dans son pays d’origine.

4. Capital sympathie

La sympathie est un autre type de capital assurant la survie dans un monde d’image, où la perception du public joue un rôle majeur dans la croissance d’une
entreprise. Grâce à une image de bon élève, une start-up peut non seulement attirer plus de consommateurs, mais également passer sous les radars des gouvernements, organismes de surveillance et autres médias.

Hormis Apple qui est certainement hors catégorie (le produit de luxe que tout le monde désire), on peut constater que les 3 autres cavaliers ont tous perdu du capital sympathie ces dernières années au travers de différentes affaires : Facebook et le scandale Cambridge Analytica, Amazon et le traitement de ses employés dans les centres de distribution, et Google et l’utilisation des données personnelles.

5. Intégration verticale

Contrôler la chaîne de distribution de l’achat au service après-vente est un des facteurs de succès des 4 cavaliers. Ainsi, toute marque a la main mise sur l’expérience client qu’elle propose au travers des différents points de vente, plateforme web et/ou boutique.

L’esthétique des Apple stores rappelle aux consommateurs qu’en choisissant Apple, ils ont tous compris. Pour parvenir à ce résultat, Apple avait, il y 10 ans, choisi ce parti- pris, ayant compris que le lieu et l’expérience d’achat comptent tout autant voire plus que le produit lui-même.

Cette intégration verticale qui permet de maîtriser l’expérience client est devenue la clé pour les marques qui veulent prospérer.

6. Intelligence Artificielle

Derrière l’Intelligence Artificielle il faut comprendre la capacité pour une entreprise à accéder aux données, et surtout à les exploiter. Face au volume massif de données à sa disposition, toute entreprise (licorne ou pas) se doit de pouvoir les analyser et en tirer des enseignements qui permettront ensuite d’optimiser son produit ou service.

Cette optimisation ou marketing comportemental (les activités du moment prédisent les futurs achats) permet de calibrer un produit par rapport aux besoins immédiats ou futurs ; c’est la clé de l’expérience client et de la personnalisation. Nous sommes parvenus à un niveau de compréhension de la nature humaine que nous ne pouvions pas imaginer, et dans cet exercice, c’est certainement Google qui est le champion grâce à la quantité astronomique de données qu’elle collecte tous les jours.

7. Accélérateur de carrière

La capacité à attirer les meilleurs talents et les retenir est un des principaux enjeux aujourd’hui. L’équipe qui rassemblera les meilleurs joueurs obtiendra plus de capitaux bon marché et pourra investir dans l’innovation pour se démarquer de la concurrence et ainsi attirer de nouveaux talents. Voilà tout l’enjeu pour les 4 cavaliers.

Qu’en est-il des collaborateurs ? Pour eux c’est un formidable tremplin qui donne accès à des responsabilités très tôt et à des expériences professionnelles très enrichissantes. Cette capacité permet de se bâtir une belle réputation à partir du moment où on a réussi le test d’entrée. La concurrence est si féroce et le niveau requis si haut (inutile de postuler sans retour d’expérience significatif), qu’il faut faire preuve d’ingéniosité pour arriver au bout du processus de sélection.

8. Géographie

Cette dernière variable est issue d’un constat : la majorité des locaux des entreprises qui ont accumulé des milliards de dollars sont toutes accessibles à vélo depuis une université de premier plan en matière d’ingénierie. Le fait d’avoir accès à un vivier de jeunes talents issus des meilleures écoles d’ingénieurs est une vraie plus- value dans la recherche de croissance. Ces relations avec les grands établissements d’enseignement supérieur sont d’autant plus favorisées qu’elles permettent aux jeunes diplômés d’accélérer leur carrière assez rapidement, de promouvoir l’excellence de l’université et d’élever le niveau de compétences de l’entreprise. Finalement tout le monde y gagne.

Alors, quelles seront les prochaines licornes technologiques ?

A la lumière de l’algorithme T, quelques candidats se découvrent :

  • Tesla, qui est en passe de devenir le leader du marché des voitures électriques, possède tous les ingrédients d’un cavalier : une vision ambitieuse associée à un leader charismatique, un produit révolutionnaire dans une industrie vieillissante, un contrôle absolu de la chaine de distribution et l’intégration de l’IA pour la conduite autonome.
  • Alibaba, le géant qui est devenu le plus grand retailer au monde devant Amazon et Walmart, grâce à son modèle d’affaires basé sur le principe d’une marketplace.
  • Uber, qui a créé un nouveau business model « d’intermédiation » auquel les médias ont attribué le terme « d’uberisation », est lui aussi en train de remplir les facteurs de l’algorithme, au premier rang duquel on retrouve la portée internationale et l’intégration verticale.

Maintenant, à vous de dénicher la prochaine pépite !