Plusieurs sociétés tech, agences gouvernementales, organisations non-gouvernementales, militants des droits civils, et universitaires se sont réunis pour s’entretenir autour des enjeux des messages chiffrés. La conférence s’est déroulée à l’Université de Stanford et était tenue par des représentants de Stanford Internet Observatory : un programme d’observation d’internet, des abus auxquels peuvent conduire l’utilisation des réseaux sociaux, ainsi que le traitement des données qui s’y rattachent.

L’utilisation du chiffrement de bout en bout conduit à des divergences

Pour lutter contre le terrorisme, les réseaux pornographiques, ou la prostitution en ligne, les autorités veulent renforcer l’accès aux messages chiffrés et sécurisés. Néanmoins, les géants de la tech privilégient de plus en plus ce qu’on appelle le chiffrement de bout en bout. Mark Zuckerberg a notamment fait part du tournant que Facebook devait prendre selon lui, en mettant en place des « communications privées, chiffrées et éphémères ».

Comme le rapporte un article dans The Verge, si les agences gouvernementales clament la nécessité de renforcer la loi pour faciliter l’accès à ces données,  d’autres prétendent que cela pourrait engendrer des actions de surveillance très puissantes, et contraires aux droits de chacun. Difficile de trouver un accord qui puisse réellement assurer un équilibre.

Pour le besoin des enquêtes à mener, les agences gouvernementales veulent maintenir un accès légal vers les actions chiffrées. Les organisations non-gouvernementales spécialisées dans la protection de l’enfance et également présentes à la conférence, sont inquiètes elles aussi. Selon elles, les efforts menés par les sociétés pour protéger et chiffrer les communications des utilisateurs, rendraient très difficile la poursuite des prédateurs sexuels envers les mineurs. Les intervenants se sont efforcés de pointer du doigt le nombre conséquent de rapports et d’arrestations dues au partage d’informations concernant les messages et les images. Plus de 250 000 messages WhatsApp ont ainsi été partagés selon un exécutant de Facebook, et 2500 arrestations ont pu être effectuées l’an dernier grâce à des rapports provenant du Centre National responsable des enlèvements et de l’exploitation de l’enfance en Angleterre, selon un représentant de l’agence de renseignements du Royaume-Uni.

En contrepartie, des groupes favorables à la démocratie durant les évènements de Hong-Kong, ont pu profiter du chiffrement des messages privés sur Telegram. L’application de messagerie hébergée sur le cloud étant sécurisée, et les messages n’étant pas conservés sur le serveur, les revendicateurs de la démocratie qui l’utilisaient n’ont pu être arrêtés. Que ce soit pour la protection de la vie privée, comme pour profiter de l’anonymat que nécessitent certains combats, les messages chiffrés ont donc leurs avantages.

Des enjeux qui présentent également des intérêts financiers

Si une société comme Facebook fait part de l’apparente nécessité d’orienter sa politique vers le chiffrement de bout en bout depuis quelques mois, c’est aussi pour des raisons financières. Le groupe est connu pour monétiser les données récupérées sur la plateforme auprès des publicitaires. Il semblerait que Facebook veuille désormais s’orienter vers une « intermédiation commerciale ». Autrement dit, la plateforme ferait le lien entre les consommateurs et les commerces. Élément non négligeable quand on veut lancer sa cryptomonnaie.

Autre enjeu, l’harmonisation des services détenus par Facebook. Mis à part l’application WhatsApp qui utilise le chiffrement de bout en bout, Instagram et Messenger, applications elles aussi détenues par le groupe de Mark Zuckerberg, partagent encore leurs données sur serveur. L’objectif serait donc de mettre en place un système de messagerie croisée, permettant aux utilisateurs de communiquer directement entre Messenger et WhatsApp par exemple. Étants capables de communiquer aisément entre plusieurs applications, et ce de manière sécurisée, les utilisateurs seront sûrement bien plus enclins à effectuer des transactions sous le projet Libra. le dirigeant de Facebook se garde bien de présenter les choses ainsi, préférant mettre en avant le droit à la vie privée, la sécurité des utilisateurs et l’aspect pratique d’une messagerie croisée.

Selon Alex Stamos, anciennement à la tête de la sécurité du groupe Facebook,  et actuellement directeur de Stanford Internet Observatory, dans « un monde où tout sera chiffré, et ne durera pas longtemps, des pans entiers de scandales seront invisibles pour les médias « . Il reconnait cependant à Mark Zuckerberg le mérite de s’être rendu compte du danger qui existe à mettre certains utilisateurs en contact, et salue sa décision de ne pas installer de serveur dans les régimes totalitaires.

Difficile de trancher pour trouver une solution juste, et capable de tenir compte de tous les enjeux. Précisons tout de même au passage que le chiffrement de bout en bout ne concernerait que les messages privés de Facebook. Le reste continuerait d’être relié au serveur, et donc aux publicitaires, de quoi maintenir les bénéfices.