Epson est une entreprise japonaise internationale bien connue en France pour son matériel d’impression ; lors de mon passage à Sydney, j’ai eu le plaisir de rencontrer Bruce Bealby, son Directeur Marketing, pour échanger sur la transformation digitale de cette multinationale décentralisée aussi bien que sur celle des pays des wallabies. Morceaux choisis !

Tavela Road, Syndey

Accueil Epson Australie © Guillaume Terrien

Bonjour Bruce et merci de prendre le temps de répondre à mes questions ; peux-tu me parler de ton parcours professionnel de l’Angleterre à l’Australie ?

Bonjour Guillaume. Mon parcours est le suivant : après avoir étudié l’économie en Grande-Bretagne, j’ai passé mes sept premières années de vie professionnelle chez Sony d’abord en Grande-Bretagne, puis à Bruxelles. J’ai ensuite décidé de partir m’installer en Australie en 2002 et je travaille chez Epson depuis lors.

Quel est ton rôle en tant que « General Marketing Manager » et quelles opérations mènes-tu sur le marché australien ?

Je suis en charge de tout ce qui concerne le marketing pour Epson Australie et Nouvelle-Zélande car nous faisons partie de la même filiale. Cela regroupe le « Product Marketing » – quels produits nous vendons, à quel prix et à travers quels canaux – mais aussi le marketing traditionnel – catalogues, flyers ou direct emailing -, le marketing digital qui prend évidemment de plus en plus d’importance ainsi que le e-commerce et les relations presse. Nous sommes une filiale assez petite comparée à EPSON France : 120 personnes s’occupent du marché australien et 7 sont dédiées au marché néo-zélandais.

Chez Epson, quelle est la place du digital dans l’ensemble des opérations marketing et du budget alloué et comment ce dernier a-t-il évolué au cours de ces dernières années ?

Tout le monde raconte sans doute la même chose mais l’importance du marketing digital progresse rapidement ; pour nous, la transformation s’est faite il y a quatre ans lorsque nous avons décidé de développer notre site e-commerce. Nous avions l’habitude de nous concentrer uniquement sur la gestion électronique des données (GED) que nous avons désormais optimisée avec des outils de  « Marketing Automation ».  Au départ, c’est le e-commerce qui a favorisé la transition et aujourd’hui, le marketing digital touche tous les aspects du « Mix Marketing ». Nous avons ré-internalisé les fonctions traditionnelles du marketing qui étaient, à l’origine, externalisées chez des agences et, parmi notre équipe marketing de vingt personnes, nous avons créé une équipe de quatre experts digitaux : un profil créatif, un spécialiste du contenu, un analyste data et un manager. Chacun des collaborateurs, même les « Product Managers », ont compris que leur travail contenait de plus en plus d’aspects digitaux, ils se sont adaptés à ces nouvelles pratiques et travaillent pour les intégrer dans leurs process.

General Marketing Manager

Bruce Bealby, General Manager Sales & Marketing EPSON Australie © Guillaume Terrien

Epson est une entreprise japonaise avec une culture bien spécifique. Comment cette culture d’entreprise influence-t-elle le département marketing et ses opérations ?

C’est une question intéressante qu’il faudrait également poser aux autres filiales pour comparer ; premièrement, les entreprises japonaises ont très souvent des collaborateurs fidèles qui passent de nombreuses années dans l’entreprise. Et il en est de même pour nos clients !

Aussi, Epson est une entreprise fédérée et décentralisée ce qui signifie que c’est réellement la responsabilité de chaque filiale d’adapter sa stratégie marketing au marché local ; en comparaison, de nombreuses multinationales américaines, comme Apple par exemple, sont très centralisées : toutes les stratégies marketing sont faites par les Etats-Unis et les filiales les appliquent ensuite.

La plupart des grandes entreprises japonaises sont des structures d’ingénieries qui offrent la possibilité aux filiales d’établir leur stratégie de ventes et donc de marketing, ce qui a des avantages et des inconvénients. Au rayon des avantages, nous jouissons de beaucoup d’autonomie. Au niveau des inconvénients, beaucoup de ressources sont dépensées pour chaque pays et cela gonfle le budget global ; de plus, en termes de recherches web et de SEO, cette décentralisation ne bénéficie pas à chaque filiale. Il existe toujours des avantages et inconvénients, quelle que soit la méthode employée !

Quels sont les produits phare d’Epson Australie et comment préparez-vous les stratégies marketing dédiées ?

Notre produit phare s’appelle l »Ecotank« , une imprimante à jet d’encre  qui permet d’imprimer jusqu’à 14 000 pages et qui représente une réponse aux changements de mentalité des utilisateurs d’imprimantes. De plus en plus d’entre eux ne souhaitent plus perdre de temps, ni d’argent, avec des cartouches et le jet d’encre est une réponse à cette problématique, en plus d’être plus écologique. La transition vers ces produits doit d’ailleurs se faire très rapidement.

Nos autres produits phare, ici, sont les vidéo-projecteurs ; nous sommes d’ailleurs leaders sur le marché australien avec plus de 65% de parts de marché. Cette réussite est en grande partie due à l’éducatif car, en Australie, les écoles sont à la pointe de la technologie et le gouvernement investit beaucoup pour ce faire. Presque chaque salle de classe possède un projecteur et des écrans interactifs. C’est pourquoi ces produits sont bien plus vendus ici qu’en France et même qu’au Japon ! Il est certain que la jeune génération, d’ici cinq à dix, va transformer nos usages digitaux et toute la société avec…

Produits Epson

Imprimante WF-100 et scanner ES-60W © Guillaume Terrien

Lorsqu’on pense à Epson, on associe souvent la marque aux imprimantes mais vous créez et vendez également des robots industriels performants et tout un tas d’autres produits technologiques. Peux-tu me parler de ces « autres » gammes de produits et de la manière dont elles sont reliées à la transformation digitale globale de l’économie ?

On ne vend pas énormément de robots ici en Australie car nous sommes positionnés sur un marché relativement petit. En revanche, les « Smart Glasses » Moverio rencontrent un franc succès grâce au développement des usages des réalités augmentée et virtuelle mais aussi au nombre grandissant de drones. On attend seulement la fameuse « Killer App » pour que les ventes de Moverio augmentent rapidement.

Les scanners de photos instantanées – une photo scannée par seconde -, développés par la R&D aux Etats-Unis, se vendent également très bien.  C’est un bon exemple d’une phase de transformation digitale de la société : les gens se demandent quoi faire avec toutes les photos familiales et nous intervenons alors pour leur offrir cette solution afin qu’ils puissent garder ces précieux souvenirs à portée de main.

Le Japon nous donne des directions stratégiques mais, au final, comme chaque marché à ses spécificités, c’est nous-mêmes qui choisissons quels produits sont adaptés à notre marché domestique. Par exemple, Epson offre une gamme d’ environ 150 vidéo-projecteurs différents mais nous n’en proposons que la moitié en Australie et c’est largement suffisant au regard de la taille de notre marché.

Quel est l’état de la transformation digitale de votre entreprise en Australie et comment cela influence-t-il l’activité générale ?

Je crois que c’est un phénomène assez générationnel ; pour appuyer cette transition, nous avons embauché des profils plutôt jeunes pour notre département digital. Certains collaborateurs qui ne comprennent pas forcément les rouages des différents leviers digitaux apprécient, pour leur part, la réduction des coûts que permet ce levier par rapport aux formes plus traditionnelles de marketing comme les publicités télévisées qui sont très coûteuses et difficiles à mesurer en terme de ROI. Cela a aussi favorisé la transition !

On est une entreprise très petite par rapport à la taille de notre marché et dorénavant, nous essayons de développer notre activité B2B simplement parce que le B2C commence à être assez étroit. Aujourd’hui, on doit affiner les ciblages et seul les outils digitaux permettent d’être plus efficace à ce sujet. C’est également ce constat qui a fait changer les mentalités en interne et qui fait que tout le monde s’approprie les outils et tire dans le même sens.

Epson Australie

Siège Epson Australie © Guillaume Terrien

Quelles sont les particularités du marché australien et qu’est-ce qui vous rend différent des autres filiales d’Epson ?

Notre pays est très vaste et comprend une petite population globalement disséminée : nous faisons quasiment la même taille que les Etats-Unis mais avec seulement 8% de leur population ! De plus, par exemple, la ville la plus proche de Perth, n’est ni Melbourne, ni Sydney mais Singapour ! Cette particularité géo spatiale est un réel défi marketing. Economiquement, nous sommes un pays sain, soutenu par l’exploitation de nos ressources naturelles minières (uranium, fer…) et socialement, les gens sont plutôt sensibilisés et formés aux nouvelles technologies. En revanche, la vitesse de notre connexion internet est faible par rapport à ce qu’on trouve dans d’autres pays. Nous sommes seulement classés au 62ème rang au niveau de la rapidité de la connexion Internet, loin derrière la Roumanie par exemple ! C’est l’un des facteurs qui ralentit la transformation digitale du pays.

Une autre différence de taille, c’est qu’Amazon n’est pas un acteur incontournable ici. Ils viennent juste de s’implanter et ne représentent pas grand chose en terme de parts de marché. Je suis certain qu’ils vont se développer mais il existe encore de nombreux « malls » en Australie et les gens aiment s’y rendre physiquement pour faire les shopping. Même si les habitudes sont en train de changer, il reste encore un long chemin à parcourir avant que le e-commerce se généralise. Pour Amazon, la taille de l’Australie est un réel problème parce que les process de livraison sont délicats à organiser et très coûteux au regard des distances ! La promesse de livraison gratuite est compliquée à tenir ici et ça leur enlève un avantage concurrentiel de taille… Les gens pensent qu’Amazon rencontrera ici les mêmes problèmes qu’au Canada. La démographie australienne est semblable à celle du Canada : même taille du territoire, des ressources naturelles qui tirent l’économie, une population réduite et, ainsi, Amazon n’a pas la même influence que dans d’autres pays.

Mais bon, pour résumer, il faut qu’on améliore nos infrastructures techniques pour favoriser l’essor du e-commerce et que les jeunes générations qui sont, elles, digitalisées, « prennent le pouvoir » et changent nos habitudes !

Interview Bealby

Rencontre avec B. Bealby au siège d’Epson Australie © Guillaume Terrien