Ce 2 juin, à quelques encablures des machines à sous, tables de Blackjack et autres spectacles racoleurs, l’entreprise américaine Pegasystems donnait à Las Vegas le coup d’envoi de son très sérieux PegaWorld. L’événement, tenu tous les ans par la firme, occupait à lui seul une aile complète du titanesque MGM Grand Hotel & Casino. Un rendez-vous annuel d’importance pour l’entreprise, plus que jamais prépondérante sur le marché du logiciel CRM (c’est à dire dédié à la gestion des relations client) et de la transformation digitale.

Concurrent du géant Salesforce, dont la majeure partie des activités est basée sur le même créneau, Pegasystems demeure pourtant largement méconnu du grand public, surtout en France. Le groupe n’en jouit pas moins d’une popularité croissante auprès des entreprises françaises, et ce malgré son implantation récente dans l’hexagone. A la liste des mastodontes tricolores ayant opté pour les solutions de Pegasystems : Air France ou encore Orange. Aux Etats-Unis, terre natale de Pegasystems (basé dans le Massachusetts, à deux pas du MIT), le constat est fatalement plus riche, avec des partenariats variés, nombreux et étendus, tissés au fils des ans depuis les débuts de Pega sur le marché.

Créé en 1983 par Alan Trefler (toujours à la tête de l’entreprise) et côté en bourse (NASDAQ, sous le sigle PEGA) depuis la fin des années 90, Pegasystems axe depuis plus de vingt ans son offre sur des solutions logicielles animées par les neurones binaires de l’intelligence artificielle. « Nous faisons de l’intelligence artificielle depuis des années, bien avant que ça ne devienne à la mode », nous expliquait à ce propos Georges Anidjar, patron de Pega France, lors d’un entretien téléphonique en mai. Un message plus que corroboré par les pontes américains de la compagnie au cours des nombreuses Keynotes présentées à l’occasion de ce PegaWorld édition 2019. Invité par Pegasystems, Siècle Digital a pu prendre part à l’événement.

Pega Infinity : le logiciel CRM omniscient de Pega

L’intelligence artificielle et son astucieuse intégration aux outils et services proposés par Pegasystems sont véritablement au coeur de sa communication. Au cours des diverses conférences tenues les 3 et 4 juin derniers, Pega a ainsi eu l’opportunité démontrer la pertinence et l’efficacité de son IA, versatile comme jamais une fois intégrée à ses solutions logicielles et tout particulièrement à son offre Pega Infinity. Lancé l’année dernière, ce logiciel CRM n’est autre que le vaisseau amiral du groupe. Un flagship pour Pega, ainsi qu’un véritable « couteau suisse » pour ses clients, comme l’indiquait l’un des portes paroles du Great American Assurance Group, amené à témoigner de la folle efficience de cette solution lorsqu’il s’agit du suivi de clientèle, mais aussi de l’amélioration des conditions de travail des agents chargés de la relation client. 

Le marketing a parcouru un long chemin depuis le début du 20ème siècle – ©Nathan Le Gohlisse pour Siècle Digital

C’est d’ailleurs l’une des principales caractéristiques de l’événement organisé chaque année par Pega : laisser les clients (satisfaits) parler de leur expérience avec Pega Infinity et les outils intelligents proposés par la firme d’Alan Trefler. Une méthode bien connue, exploitée ici à son plein potentiel. Au cours des deux matinées de conférences proposées dans le cadre du PegaWorld, ce sont près d’une dizaine de clients et partenaires stratégiques que Pegasystems a convié sur scène (physiquement ou en vidéo), avec à chaque fois un récit semblable. 

Les services de Pega, et notamment la plateforme Pega Infinity ont permis à des groupes comme SiriusXm (société américaine de diffusion radio), VodafoneZiggo (joint venture télécom basée en hollande) ou encore Liberty Global (géant américain des télécoms) d’améliorer considérablement leur suivi de clientèle en apportant, grâce aux capacités prédictives de l’IA conçue par Pega, une réponse personnalisée aux besoins et attentes du client final. A la clé, une transformation digitale réussie pour ces firmes, des perspectives de croissance intéressantes dans certains domaines clés, et un rapport client / entreprise un peu plus radieux qu’il pouvait l’être initialement.

Pega Infinity s’arme aussi d’une UI (interface utilisateur) méchamment pertinente. Appuyée encore une fois par l’intelligence artificielle de Pegasystems, cette dernière aide les agents conserver un espace de travail virtuel organisé, adaptable aux besoins de la structure qui l’utilise, mais aussi et surtout très simple d’accès, avec une apparence générale qui n’est pas sans évoquer certains logiciels grand public. Plus intéressant, ce dernier est équipé d’un chatbot capable d’épauler les agents lorsqu’ils doivent se charger de plusieurs clients à la fois. Les tâches les plus simples et les plus formelles, n’impliquant nécessairement d’implication humaine, sont déléguées à l’IA de Pegasystems, suffisamment pointue pour comprendre le langage courant (et même familier) du client et lui répondre en fonction. 

Comme d’autres, SiriusXm est passé sur scène pour témoigner de l’efficacité des solutions Pegasystems- ©Nathan Le Gohlisse pour Siècle Digital

Par ailleurs, le logiciel est en mesure de prendre en compte, depuis une seule et même interface, des requêtes exprimées depuis des plateformes sociales (Facebook / Twitter) et services de messageries différents (DM Twitter, Messenger, SMS, Google RCS, Apple Business Chat, messageries inclues aux portails web des firmes…). L’ensemble des messages envoyés par ces vecteurs arrivent sur une interface unifiée et surtout digeste, permettant de simplifier et de fluidifier le suivi d’un dossier ou d’une requête exprimée par un client.

A chaque fois, Pegasystems et son IA se posent comme un relai privilégié – et perfectionné – entre les entreprises (dans certains cas des multinationales recensant plusieurs dizaines voire centaines de millions de clients) et leur clientèle.

Good cop, Bad cop : quand l’IA de Pega se veut tantôt sympa, tantôt vacharde

Autre spécificité de l’offre Pega en matière d’IA, l’intégration prochaine d’une notion « d’empathie » laissée à la discrétion des sociétés, qui auront donc bientôt la main sur le niveau d’indulgence qu’elles souhaitent conférer à leur logiciel CRM. Aux ordres des entreprises clientes de Pega, l’IA de Pega infinity pourra, dès cette fin d’année a-t-il été précisé, tendre vers la compréhension et l’indulgence… ou au contraire se montrer rigoriste et apporter des options plus strictes (et souvent moins pertinentes) au client. Bien évidemment, Pega tend à encourager une approche magnanime, sans pour autant juger les entreprises qui opteront pour une IA moins conciliante.

Au travers de cette nouveauté, Pega souhaite avant tout donner à ses partenaires des clés pour améliorer leur image auprès de leur clientèle. Avec une IA aimable et emphatique, de grandes multinationales pourraient gommer quelque peu l’image de bête froide et détachée que leurs clients peuvent éventuellement avoir à leur égard. Les retombées de ce comportement « humain » s’avèrent très intéressantes dans certains domaines spécifiques comme celui des banques ou des compagnies d’assurance, par exemple, où ce facteur d’empathie risque précisément de se montrer central.

L’une des Keynotes de Pegasystems s’est longuement penchée sur le cas des images entièrement générées par la magie de l’IA – ©Nathan Le Gohlisse pour Siècle Digital

Ce degrés d’empathie, configurable au moyen d’un simple curseur présent sur Pega Infinity, s’accompagne en outre d’une ribambelle de statistiques permettant aux firmes d’obtenir un instantané précis des conséquences de leur choix. En choisissant une IA plus souple, des solutions alternatives pourront être apportées au client et ainsi déboucher sur des opportunités d’ouverture de contrat de ou vente de services qui n’auraient probablement pas pu se manifester en optant pour une IA un peu trop ferme. Cette notion est exprimée au travers d’un indice « d’opportunités manquées ». De quoi faire pencher la balance en faveur de l’empathie… 

L’ensemble de cette doctrine, très intrigante, nous fait un peu penser aux conséquences découlant des choix du joueur dans un RPG à embranchements multiples. Le principe n’est pas nouveau, mais appliqué au secteur du CRM, il se montre porteur de belles promesses.

Pour autant, Pegasystems garde les pieds sur terre. Le monde de l’entreprise est avant tout destiné à créer du profit et non à verser dans la charité béate. Aussi, tout reste une affaire d’équilibrage pour que même une IA chaleureuse et indulgente vis-à-vis du client soit en mesure de générer de la richesse pour la compagnie qui s’en prévaut. Cette idée d’équilibre est par ailleurs complétée par une réflexion profonde des ingénieurs de Pega quant à la morale que doit – ou peut – avoir une IA dans un contexte caractérisé par une certaine méfiance du grand public, notamment en France expliquait sur scène Rob Walker (charismatique VP Decision Management & Analytics de Pegasystems).

Cette réflexion est aussi l’occasion d’un rappel nécessaire quant aux failles encore d’actualité en matière d’IA. Bien qu’en pleine évolution, et alors que l’intelligence artificielle n’a de cesse de se perfectionner, le spectre des idées préconçues plane toujours. Une IA aura par exemple tendance à considérer qu’un homme travaillant dans le domaine médical est médecin, tandis qu’une femme exerçant un métier dans le même secteur sera le plus souvent désignée comme « simple » infirmière. 

2 humains sur 5 ne considèrent pas l’homme comme un mètre étalon en termes d’empathie… ©Nathan Le Gohlisse pour Siècle Digital

Un déséquilibre sexiste fort déplaisant – tout spécialement en 2019 – dû à une interprétation purement statistique et bas du front des bases de données. L’enjeu pour les années à venir est donc d’inculquer à l’IA une autre capacité humaine : le discernement. Cette qualité lui sera très utile dans sa quête de légitimité auprès des humains que nous sommes. D’après Pega, 2,5 milliards de personnes utilisent au quotidien (et parfois sans le savoir) des services basés sur l’intelligence artificielle au sens large. Et pourtant, les sondages révèlent que le grand public ne fait majoritairement pas confiance à l’IA. Un paradoxe intéressant que Pega cherche à gommer,  surtout auprès des entreprises.

Le Cloud chez Pegasystems : un levier de croissance important

Disponible depuis plusieurs années chez Pegasystems, le cloud aura mis du temps à se faire une place un peu plus importante au sein de son offre. Désormais il contribue à tirer l’ensemble de l’entreprise vers le haut. Dans ce domaine, l’approche du groupe demeure toutefois très souple : Pegasystems laisse pleine liberté à ses clients de rester sur leurs propres solutions en termes de Cloud, les logiciels de Pega sont alors gérés depuis des serveurs propres aux entreprises clientes ou à leurs partenaires. Une démarche qui s’inscrit dans la volonté, ouvertement affichée par le groupe, de rendre ses clients plus « efficaces et plus agiles » sans jamais chercher les enfermer dans un environnement trop rigide.

Cet élan vers le Cloud est à la racine d’un succès majeur, capable d’offrir à Pegasystems un levier de croissance supplémentaire pour se développer. Comme le rappelait fin mars Jim Cramer pour CNBC, juste avant un entretien avec Alan Trefler, fondateur et CEO de Pega, le cloud a permis à l’action de Pegasystems de grimper de 255% en l’espace de 5 ans. 

Le Cloud, mais aussi les innovations constantes ourdies par Pega en termes d’IA, laissent le groupe entrer dans une nouvelle aire, tout en renouvelant efficacement son image de marque. Deux facteurs qui contribuent aussi à faire connaître la marque auprès du grand public et qui lui ouvrent des  opportunités de nouveaux partenariats. Récemment, Google itself faisait ainsi confiance aux services de Pega pour l’une de ses divisions. Un nom prestigieux qui s’ajoute à une liste de plus en plus copieuse, tout particulièrement aux Etats-Unis… mais pas uniquement.

Reste une question que nous nous sommes modestement posé : qui propulse le prometteur cloud de Pegasystems ? La réponse tient en trois lettres, AWS. Pour l’heure, c’est en effet Amazon Web Services qui héberge l’offre Cloud de Pega, et la chose semble bien partie pour durer. Siècle Digital a eu la chance de pouvoir questionner Alan Trefler en personne sur les projets de Pegasystems en termes d’hébergement. 

Alan Trefler, CEO et fondateur de Pegasystems, devant la grille des (nombreux) clients de sa firme – ©Nathan Le Gohlisse pour Siècle Digital

Pour être plus précis, notre question portait sur la possibilité d’un Cloud entièrement détenu et hébergé par Pegasystems, notamment pour éviter les défaillances occasionnelles des géants du serveur (comme celle de Google en début de mois, qui entraînait une panne importante pour YouTube et Gmail, mais aussi Discord ou encore Snapchat). Une perspective à laquelle Alan Trefler ne songe même pas, même si les services d’AWS pourraient à l’avenir être complétés par ceux d’autres acteurs du milieu, comme Google, Microsoft Azure ou encore IBM.

« Je dirais que la réponse est non, parce que dans notre cas, monter des serveurs et installer des machines [dans le contexte actuel] ne semble pas censé. Au bout d’un certain temps, nous pourrions offrir d’autres Cloud hébergés que ceux que nous proposons déjà avec Amazon, mais nous aidons déjà nos clients à mettre en place leurs propres clouds – et beaucoup de nos clients le font », nous a-t-il confié d’une voix grave et feutrée.

« Je pense que nous tourner vers des fournisseurs publics de cloud pour nos services, nous permet d’offrir à nos clients une plus grande souplesse. Amazon a par exemple installé des serveurs en Allemagne. Je discutais récemment avec des clients allemands qui m’expliquaient être très contents de pourvoir compter sur des serveurs près de chez eux. Donc oui, je pense que ça a beaucoup de sens pour nous d’utiliser des clouds publics », a-t-il conclu.

Encore une fois, cette stratégie va dans le sens la souplesse privilégiée coûte que coûte par Pegasystems pour ses clients. C’est très probablement cette optique qui a contribué aux récents succès de l’entreprise et qui amorcera, espérons-le, ceux à venir.