L’édition 2019 du PegaWorld fut l’occasion de conférences très axées sur la valeur ajoutée par l’IA aux différentes solutions proposées par Pegasystems. Cette année, la marque américaine, spécialisée dans les logiciels CRM (conçus pour la gestion des relations client), introduisait ainsi en grande pompe son concept d’IA douée d’empathie.

Cette nouveauté – centrale dans la communication de la firme durant l’événement -, nous aura amené à quelques menues réflexions quant à l’IA de la marque et à son passif en la matière. Peter van der Putten, Director Decisioning & AI solutions chez Pegasystems, a accepté de répondre à nos questions à l’occasion d’un entretien fixé quelques heures avant la fin de l’événement, tenu cette année encore à Las Vegas.

Bonjour Peter, pouvez-vous vous présenter, quelles sont fonctions au sein de Pegasystems ?

Je m’appelle Peter van der Putten, je suis Directeur IA et solutions pour Pegasystems. Je travaille pour Pega depuis 2002, toujours en gardant en tête comment utiliser l’intelligence artificielle de manière responsable, et comment l’intégrer de façon à obtenir des recommandations proactives au sein de nos services et auprès des entreprises.

A côté de mon poste chez Pegasystems, je suis également, une journée par semaine, professeur assistant à l’Université de Leyde (Pays-Bas), où nous menons des recherches en machine learning.

Peter van der Putten (au centre), responsable IA chez Pegasystems – ©Nathan Le Gohlisse pour Siècle Digital

La notion d’intelligence artificielle est de plus en plus utilisée par les grandes compagnies de produits High-Tech, surtout depuis deux ou trois ans. Depuis combien de temps Pegasystems travaille à intégrer de l’IA à ses solutions logicielles ?

Depuis très longtemps, plus ou moins depuis le début à vrai dire. Pour vous donner un peu plus de contexte – et c’est là que je vais enfiler ma casquette de prof – l’IA consiste en deux principaux ingrédients : d’une part le raisonnement machine, la logique, les systèmes experts ou encore les règles métier, ça c’est le bon vieil aspect de l’IA, l’IA « old fashion » ; et d’autre part il y a le machine learning, c’est à dire comment apprendre des données, mais aussi l’analytique prédictive, ce genre de choses.

Pega a commencé dans le domaine des processus automatisés, et ce dès le départ. Les règles métier (business rules en anglais) en faisaient déjà partie et le raisonnement machine était lui aussi présent dès les années 80. Tout cela était déjà là et en parallèle il y a eu l’acquisition dans les années 90 d’une entreprise qui faisait du machine learning.

A l’époque, l’idée de Pega était qu’on peut déployer beaucoup d’efforts dans la conception de meilleurs modèles prédictifs, mais que si on n’arrive pas à les intégrer dans une interaction client… eh bien c’est inutile. Donc ce qu’on a cherché à faire c’est de combiner l’analytique prédictive et les interactions clients, en ajoutant du decisioning, des règles métiers et de l’arbitrage, afin de permettre des recommandations pertinentes à l’utilisateur. L’objectif étant d’améliorer l’expérience client et d’apporter de la valeur.

On a donc basculé de l’analyse prédictive pure et simple, au decisioning en temps réel et au concept de marketing « next best action ».

La présentation [durant l’une des conférences, NDLR] du concept d’IA douée d’empathie était pour le moins intrigante. Quelle ont été les critères de Pega pour créer cette IA capable d’empathie et quelle est votre définition de l’empathie ?

Laissez moi commencer avec la définition de ce qu’est l’empathie. Pour nous, ce n’est pas simplement mesurer le sentiment, ou l’émotion, dans l’interaction. L’empathie c’est aussi, et peut-être même avant tout, la faculté de se mettre à la place de l’autre en tant que client. Et si je me mets à la place de l’autre, cela veut aussi dire que que dois prendre des décisions dans son meilleur intérêt, et non pour mon seul bénéfice. Cela implique aussi de ne pas uniquement parler au client, mais d’être en mesure de l’écouter pour savoir ce qu’il veut.

En pratique, nous installons chez nos partenaires ce que je décrirais comme un cerveau central dans leur organisation, parce que ce serait très difficile de proposer une expérience client consistante en ayant que des petits morceaux d’IA fragmentés un peu partout. Donc nous partons sur un cerveau central – une conscience centrale d’une certaine façon !

Nous y rattachons ensuite tous les canaux d’interaction, puis nous écoutons nos clients afin de décider qu’elle est la meilleure chose, la chose la plus emphatique, à faire avec leurs propres clients. Cela peut toucher à la question des ventes, mais l’on peut aussi simplement vouloir informer une personne quant à l’existence d’un produit ou d’un service.

C’est une approche personnalisée pour les clients [des entreprises avec lesquelles nous collaborons], et une approche qui prend en compte le contexte dans lequel se trouvent ces personnes. Peut-être que vous êtes un client satisfait aujourd’hui, mais peut-être que vous ne le serez plus demain. Donc il faut personnaliser l’expérience en fonction du client final, mais aussi en fonction de sa situation du moment.

Quel est l’intérêt concret d’une IA dotée d’un attribut humain pour les entreprises ? S’agit-il de rendre les grandes compagnies plus humaines et bienveillantes ?

Je pense que c’est une excellente observation. Quand on est dans une entreprise Tech, on a tendance à parler avec tout un tas de termes techniques pour savoir de quelles aptitudes on a besoin. Mais quand on met tout cela à plat et que l’on simplifie, on essaye effectivement de rendre les grandes entreprises plus humaines, d’une certaine manière.

Si l’on se base sur un rapport plus humain, en laissant de côté les entreprises, nous avons des attentes réciproques les uns envers les autres. Nous nous écoutons entre humains, nous essayons de prendre en compte nos intérêts et attentes respectives. Ce sont des rapports que nous entretenons entre nous, et au fond, comme nous sommes des animaux sociables, ce sont des attentes que nous avons aussi vis-à-vis des entreprises.

Nous voyons les entreprises comme une entité à part entière et nous attendons d’elles qu’elles apprennent des interactions que nous avons eu avec elles, qu’elles aient une mémoire, qu’elles soient capables d’actions rapides et efficaces, et qu’elles agissent dans notre intérêt. Donc oui, nous avons des attentes très humaines vis-à-vis des entreprises. Et c’est justement là que l’IA peut aider, si elle est utilisée à bon escient.

Est-il dans l’intérêt des sociétés de maintenir leur IA à un haut degré d’empathie afin de rater le moins « d’opportunités » possible ?

Je vais répondre à votre question en disant que oui, il est effectivement dans le meilleur intérêt des entreprises de conserver [un haut degré d’empathie pour leur clientèle]. Notre position sur le sujet est de recommander de faire le plus possible preuve d’empathie. C’est automatiquement ce qui leur donnera les meilleurs résultats, et pas seulement si vous êtes une société très tournée vers l’expérience client.

Même si votre société s’oriente en priorité vers le profit, les marges ou la valeur boursière, si vous écoutez le ressenti client, s’il entre en ligne de compte, alors vous profitez d’un échange constructif avec vos clients et les décisions prises sont par conséquent plus pertinentes. A la fin, le bilan ne se limite pas uniquement à une expérience client améliorée, il s’étend à des revenus en hausse ainsi qu’à une clientèle fidélisée…

La question suivante est peut-être un peu naïve, mais pensez-vous que certaines entreprises oseront opter pour le niveau d’empathie le plus faible en matière d’IA (l’IA de Pegasystems profite d’un niveau d’empathie réglable à l’aide d’un curseur) ? Si oui, quel type entreprise pourrait s’y résoudre ?

Ce n’est pas une question naïve du tout ! Je pense qu’il existe des tensions au sein des entreprises parce que vous avez des personnes qui y ont des visions différentes. D’ordinaire, les compagnies sont plutôt de bonne volonté en termes de stratégie à long terme, mais elles peuvent aussi être détournées de cette bonne volonté par leurs objectifs à court terme. C’est quelque chose que nous voyons parfois. Cependant, je ne pense pas que cela ait du sens pour les sociétés de choisir le niveau d’empathie le plus bas.

[Au contraire], même une entreprise peu éthique pourrait opter pour un niveau d’empathie élevé… afin de tester une approche différente. Disons que nous sommes une compagnie sans état d’âme, qui n’est pas portée sur l’empathie et qui cherche avant tout du bénéfice à court terme. On pourrait très bien décider d’appliquer un niveau plus élevé d’empathie sur une petite fraction de la clientèle, 5% par exemple, pour voir ce que le client est le plus sujet à accepter.

Dans ce cas, la valeur vie client (customer lifetime value) pourrait augmenter et nous, Pega, nous pourrions prouver [que l’empathie a un réel intérêt dans la stratégie d’entreprise].

À un niveau personnel, êtes-vous d’avis qu’une IA douée d’empathie peut mener à une amélioration notable de l’image et de la réputation qu’une grande multinationale peut entretenir auprès du grand public ?

Oui, absolument. Vous savez, je pense que même sans IA nous avons le contre exemple de compagnies qui sont connues pour ne pas traiter correctement leurs clients. Par la suite, les clients se retournent contre elles ou bien vont ailleurs. Il y a beaucoup d’exemples que l’on pourrait citer à ce propos. Et même sans mettre tout le concept d’IA en dehors de l’équation, il y a de nombreux cas pour lesquels les clients ont le sentiment de ne pas être traités comme ils le devraient.

Avec son concept de d’IA douée d’empathie, Pegasystems espère apporter une réponse sur-mesure à ces problématiques. Une perspective qui ne manque pas d’intérêt, que ce soit pour les observateurs profanes, simplement intrigués par les avancées de l’intelligence artificielle ; ou pour les entreprises, qui pourraient – elles – trouver ici un outil rêvé pour améliorer leur capital popularité. Cette IA aux facultés d’empathie doit être prodiguée par Pegasystems en fin d’année 2019 sur le logiciel CRM « Pega Infinity », pour l’heure sans plus de précisions question timing.