L’actuelle numéro 2 de Microsoft France, Laurence Lafont, a récemment pris les rennes des projets d’intelligence artificielle en Europe, ce qui implique de nouvelles responsabilités, mais aussi le développement et la mise en place de principes éthiques. À l’occasion de Viva Technology 2019, Siècle Digital s’est entretenu avec Laurence Lafont sur ces sujets.

Siècle Digital : vous avez récemment pris la casquette de coordinatrice des plans d’intelligence artificielle de Microsoft en Europe. En quoi vont consister vos missions ?

Laurence Lafont : C’est une mission complémentaire à mon rôle de COO de Microsoft France. Je reste toujours ancrée sur la stratégie, et le développement des innovations… Avec ce nouveau rôle pour coordonner nos efforts dans l’accélération d’innovation en écosystème au niveau européen. Il faut donc travailler avec d’autres entités, et les autres pays d’Europe où est présent Microsoft, mais aussi en Afrique et au Moyen-Orient.

Mon objectif est d’accélérer l’innovation en faisant travailler des grands groupes, des startups, des éditeurs de logiciels … Le tout dans des logiques d’écosystèmes avec des secteurs comme l’énergie, la santé, l’agroalimentaire, la grande distribution. Tout cela dans le but de faire ressortir nos grands champions européens et les aider grâce à cette démarche open innovation.

Vous êtes une femme, occupant un poste stratégique chez un géant des technologies, sentez-vous une évolution sur la place ou le rôle des femmes dans la tech ?

C’est un sujet qui me tient à coeur puisque je suis aussi engagée sur les thématiques de diversité et d’inclusion chez Microsoft France. C’est une thématique sur laquelle nous sommes très investis, Satya Nadella [CEO de Microsoft, ndlr] en parle beaucoup, c’est un des éléments majeurs de la transformation culturelle qu’il a voulu imprimer. Même si nous étions déjà investis, je note une véritable accélération depuis l’arrivée de Satya sur les nécessités de créer les conditions du développement d’une organisation diverse et inclusive. On ne compte pas que la diversité de genre, on intègre bien évidemment le handicap, l’intergénérationnel, les communautés LGBT …

D’une manière générale en France, on en parle beaucoup, on progresse, mais pas assez vite. Chez Microsoft au niveau du comité de direction nous sommes proches de la parité avec 45% de femmes, au niveau management nous sommes à 33% de femmes, donc ça progresse aussi chez nous.

Il faut aussi noter que pour les métiers techniques, ça reste compliqué. Il faut donner envie, il faut en parler, il faut que les femmes sentent que ce sont des métiers qui offrent de bonnes conditions, et qu’elles sentent qu’il y a de la place pour elles. Et il faut aussi se débarrasser des stéréotypes, surtout sur l’informatique, que l’on associe encore trop aux hommes.

Même s’il va y avoir beaucoup de chemin à parcourir avant de voir une totale égalité Homme-Femme dans les métiers du numérique, je pense que ça va aller vers du mieux.

En dehors de Microsoft, vous avez d’autres casquettes : présidente de Silver Valley, et présidente d’Impact AI. De quoi s’agit-il ?

Impact AI s’inscrit dans la continuité du plan d’investissement sur l’intelligence artificielle que nous avons lancé l’année dernière. C’est un plan qui porte sur trois dimensions.

La première ce sont les innovations en mode écosystèmes,un sujet qu’on a pu évoquer tout à l’heure.

La deuxième c’est le développement des compétences. On a fait beaucoup de choses et on va continuer à faire beaucoup de choses pour accompagner le développement des compétences dans le domaine de l’IA, en France notamment. Et pas que sur des métiers bac+5 type data scientist, mais également pour montrer que l’on peut développer des techniciens de l’IA, que c’est ouvert à tous. L’École IA Microsoft que nous avons lancé l’année dernière se déploie de manière positive avec plus de dix promotions en cours, 20 l’année prochaine. Ça nous montre qu’il y a une vraie appétence chez nos clients, nos partenaires, et de tout un chacun pour se développer sur ces métiers. Il faut qu’on arrive à les préparer à l’arrivée de ces technologies dans notre quotidien, parce que l’IA elle est présente partout. Il faut donc comprendre, sensibiliser, former, et préparer chacun à pouvoir capter les opportunités de métiers qui vont se développer dans ce domaine.

La troisième, c’est l’engagement sur le développement d’une IA responsable et éthique. On a beaucoup de développements qui sont faits au niveau mondial sur ces sujets-là, et en France on a souhaité lancer un collectif de réflexion et d’action dans lequel on a fait un appel à beaucoup de partenaires, de clients, des écoles … pour se regrouper dans ce collectif qui s’appelle Impact AI. Son objectif est de faire avancer la réflexion en France sur ce qu’implique le fait de développer une intelligence artificielle responsable et ce, pour s’assurer que les algorithmes développés ne seront pas biaisés. Qu’ils vont permettre une certaine transparence, de garantir la confidentialité des données qui sont utilisées, etc. Tous ces principes, nous les développons dans le cadre de ce collectif et j’ai été élue présidente de ce collectif là. C’est très aligné avec cette mission d’impact positif que l’on [Microsoft, ndlr] veut avoir via l’intelligence artificielle en France.

Silver Valley s’inscrit dans le sujet de la silver economy. On est dans la sphère de l’inclusion et le développement des technologies pour tous. Avec une population vieillissante, on est sur un champ dans lequel il y a énormément à faire. Pour moi, un des enjeux, c’est comment la technologie va permettre de mieux vieillir ? Comment est ce qu’on repense l’habitat grâce aux nouvelles technologies ? Comment est ce qu’on va s’assurer que les personnes vont pouvoir vivre plus longtemps à leur domicile, que dans le domaine de la santé on va être dans une logique de prévention, et non pas de soins etc. Toutes ces thématiques sont propres au développement de la silver economy et ce sont des sujets sur lesquels je suis investie personnellement, et également au travers de Microsoft. On travaille avec des startups sur ces thématiques-là, et j’étais présente déjà au conseil d’administration de Silver Valley depuis quelques années, et j’ai été nommée présidente l’année dernière.

L’éthique dans l’IA est un enjeu majeur pour les GAFAM, comment est-ce abordé chez Microsoft ?

Je pense qu’il faut être humble et responsable.
Humble, parce qu’on est sur des sujets nouveaux, qu’on a besoin d’apprendre, et que parfois, on peut se tromper. Il faut garder de l’humilité, car ce n’est pas si simple que ça et potentiellement on va se tromper.

C’est pour ça qu’on a lancé un comité éthique chez Microsoft, qui existe depuis plus de deux ans, au niveau de la direction internationale. Il va passer au crible tous les projets sur lesquels nous sommes engagés et qui embarquent de l’intelligence artificielle, afin de se poser les bonnes questions. Typiquement : est-ce que l’algorithme qu’on veut développer peut créer du mal, ou en tout cas avoir un impact négatif sur la société ? Est-ce que les données qu’on utilise pour alimenter cet algorithme sont biaisées ? On a développé tout un lot de principes de gouvernance et toutes ces questions pour s’assurer que l’on reste éthique dans tous les projets que l’on va développer autour de l’IA. Tous ces principes là, on est en train de les déployer dans les différents pays pour que les projets sur lesquels nous travaillons avec nos clients et avec nos partenaires, on puisse aussi mettre à contribution tous ces principes et aider dans l’analyse des différents projets qui embarquent de l’IA sur lesquels nous travaillons. C’est d’ailleurs des principes qu’on a mis à disposition du collectif dont je parlais, Impact AI. Nos principes sont très claires sur les questions de transparence, de responsabilité, de respect de la confidentialité, de principe d’inclusion, etc.

Brad Smith, président de Microsoft, a d’ailleurs publié un blog post sur les règles pour encadrer la reconnaissance faciale. On est très clair sur ce qu’on est capable de supporter, ce qu’on souhaite supporter, et ce qu’on ne souhaite pas supporter.Typiquement, des utilisations qui iraient à l’encontre de la liberté et des principes de liberté individuelle, on est bien évidemment contre, et donc on ne veut pas travailler sur des projets qui porteraient sur des sujets de ce type là.

L’éthique se concrétise dans la création de produits, comme SeeingAI notamment ?

On est assez investi et engagé pour s’assurer que ces technologies [l’intelligence artificielle, ndlr] nous permettent d’accélérer des innovations à impact sociétal positif. SeeingAI c’est un projet qui est né d’un collaborateur de Microsoft qu’il est malvoyant et s’est dit que l’on devait pouvoir utiliser l’IA afin d’aider les personnes qui sont malvoyantes à mieux comprendre et appréhender leur environnement. Aujourd’hui on annonce la version en français, en bêta, mais mon rôle pour l’Europe consistera aussi à dire si la traduction doit être étendue à d’autres langues pour apporter ce service à plus de personnes.