Il y a quelques semaines, Lexus a dévoilé une publicité TV dont le script a été rédigé par une intelligence artificielle. Fait inédit dans le petit monde de la pub, le corps créatif autour de cette réalisation s’en sont (presque) entièrement remis à la machine. Les couleurs, les environnements, les sons … sont issus d’un travail colossal en amont. Le résultat est surprenant.

Lexus a sorti une relation très particulière que nous ont relaté Kevin Macdonald, le réalisateur, ainsi que Alex Newland et Will Nutborn, les deux créateurs de l’IA, travaillant chez Visual Voice.

Comment avez-vous appréhendé cette réalisation, et surtout, le travail avec une intelligence artificielle ?

Kevin Macdonald : J’étais assez sceptique sur le fait qu’une intelligence artificielle puisse écrire quelque chose de bon, quelque chose qui ait du sens. J’étais persuadé que nous aillions devoir réécrire ce qui nous serait présenté. Au final, j’ai fait exactement ce qu’elle suggérait. D’ailleurs, le script était très détaillé avec par exemple des précisions sur l’eau devant se trouver sur la droite de la voiture, s’il devait y avoir un plan avec le père et sa fille assis sur un canapé, où se trouve la TV dans la pièce, etc. Diriger cette production était très différent de la normale.

C’était une expérience très intéressante. Se laisser guider par une IA était assez fascinant. Aussi, l’élément que je trouve surprenant, c’est dans son script, l’intelligence artificielle raconte l’histoire d’une machine qui naît. Lire ceci était vraiment surréaliste.

L’histoire racontée me fait beaucoup penser à Frankenstein ou Pinocchio. Le takumi a un lien fort avec la voiture dans la publicité. Cela crée de l’émotion, c’est touchant. Si cela avait été fait par un créatif en agence, je ne sais pas si l’effet aurait été le même.

Qu’est-ce qui a changé avec Lexus comparé à une réalisation classique ?

K.M. : Quand vous faites un film, vous avez une certaine pression car il y a de l’argent en jeu et beaucoup de choses à gérer. Avec Lexus c’était très détendu, car nous avons suivi ce que la machine nous a dicté. Dans ma situation, pour le regard sur le travail rendu, vous n’êtes pas jugé de la même manière car les gens vont apprécier l’expérience générale qu’il y a autour de cette publicité.

Quel futur nous réserve les intelligences artificielles dans l’audiovisuel ?

K.M. : S’en remettre à une IA pour préparer un script a fait que je me suis demandé « qu’est-ce que la créativité ? ». Je suis de cette génération à qui les parents ont demandé de devenir docteur, ou avocat, alors quand j’ai dit que je voulais être réalisateur, c’était compliqué. Pourtant ce sont les docteurs et les avocats qui vont d’abord être touchés par les IA.
Pour ce qui est de la créativité, je parlerais plutôt d’originalité. Les séries, les films, les publicités, ont souvent la même dose d’ingrédients ou la même construction, la même recette. On se rapproche d’un algorithme, mais élaboré par l’Homme. S’en remettre à une IA peut permettre de trouver un chemin différent, quelque chose de totalement nouveau.

C’est impressionnant tout ce que l’on pourra faire, et ce que l’on peut déjà faire, avec la technologie. Dans le futur, on va certainement remplacer beaucoup de travail par des machines. Peut-être que les auteurs ou scénaristes seront les premiers touchés dans le cinéma ou la publicité, cependant, il y a toujours besoin de l’oeil ou du storytelling de l’Homme pour sauver la créativité d’une automatisation. Également je pense qu’il sera très difficile de remplacer les acteurs …

Pour réaliser l’IA qui a produit le script, vous vous êtes rapprochés d’IBM, pourquoi ?

Will Nutborn : Nous rapprocher d’IBM et de son expertise avec Watson nous a permis de gagner beaucoup de temps. Si nous avions dû créer une plateforme et partir de zéro, nous n’aurions jamais pu proposer quelque chose en quatre mois. IBM a la chance d’avoir beaucoup de collaborateurs avec beaucoup de connaissances pour nous permettre d’élaborer les paramètres techniques de l’intelligence artificielle.

Qu’avez-vous apporté comme données à l’IA pour qu’elle vous rendre un tel script ?

W.N. : Watson a examiné 15 ans de publicités primées au festival des Cannes Lions. Pas uniquement des publicités de marques de voitures, mais aussi sur des annonceurs du secteur du luxe. L’IA a récolté des données comme les actions, les objets, les lieux, la puissance émotionnelle de certaines scènes, ou encore la combinaison de tous ces éléments. Elle a aussi été complétée avec des informations sur Lexus.

Votre intelligence artificielle a-t-elle aussi travaillé sur le son ?

W.N. : Pour le son, l’IA a proposé beaucoup d’esthétisme inspiré de ce qu’elle appris. C’était très intéressant de découvrir ce que la machine suggérait. Il y avait aussi très peu de dialogue, ce qui a ajouté un effet encore fort sur les émotions que la publicité dégage.

Alex Newland : On aime beaucoup le résultat. Si vous stimulez l’émotion, c’est que vous avez fait un bon travail. Souvent les publicités donnent l’impression de créer un ressenti trop maitrisé, je trouve qu’ici ce n’est pas le cas. L’IA écrit le script, mais Kevin a sublimé tout cela.

Quelle place voyez vous occuper l’intelligence artificielle dans les processus créatifs ?

A.N. : Pour le futur, dans la publicité, il y aura toujours un brief. L’intelligence artificielle ne peut pas remplacer la demande d’une marque, et la réponse d’une agence. Dans le cas où l’on s’en remet à la machine, il faudra tout de même la nourrir avec les bonnes données, lui donner les bon paramètres, pour obtenir les réponses les plus pertinentes. Il s’agira donc d’une véritable relation Homme-machine plutôt qu’un remplacement pur et simple.

Pour ce qui est d’autres secteurs que le luxe, je ne pense pas que l’on puisse faire perdre leur rôle aux créatifs. Vous pouvez très bien vendre des tranches de pain, et faire une publicité épique.