Au Sénégal, ou même en Afrique Francophone, la publicité représente un marché très faible si on doit on le comparer à celui de la France. Sur Dakar on retrouve pourtant beaucoup d’agences proposant des services très variés. Cependant, elles sont souvent indépendantes, gérées par une seule personne, et répondent à des missions simples.

Sur un autre volet, des agences structurées « à l’occidentale » pouvant absorber des budgets importants il y en a très peu. À Dakar, elles sont quatre : McCann, Caractère, Voice, et Les Barbus. On retrouve également d’autres grands noms comme Havas ou Publicis. Néanmoins, pour ces deux dernières, le fonctionnement est loin du modèle occidental de leurs concurrentes. Les équipes sont réduites, et la création s’effectue à plusieurs milliers de kilomètres de là.

Bien souvent, les succursales voient le jour dans le but de gérer la partie média des clients internationaux. C’est le secteur de la publicité le plus rentable en Afrique puisque les commissions y sont trois à huit fois plus élevées qu’en France. Ici au Sénégal, le taux légal est supérieur à 17%, ce qui représente une marge importante pour l’agence, l’incitant ainsi à venir s’installer loin de son siège.

Pour les autres agences, le modèle économique peut être fragile. Les gros budgets de sociétés occidentales sont rares, mais très élevés. Les banques, les assurances, la téléphonie … Ils sont si importants que dans chaque pays d’Afrique il y a « une agence qui vit grâce à Orange ». Perdre un de ces budgets, c’est devoir remettre en question l’avenir de sa société.

Nos multiples étapes dans Dakar nous ont permis de rencontrer des profils très différents. Le marketing et la communication semblent être de bons éléments pour entamer notre récit, et c’est pourquoi nous sommes allés à la rencontre de l’agence Les Barbus.

Fondée par Serge, Romain, et Elie, elle a d’abord ouvert un premier bureau à Paris. Rapidement, Dakar s’est présentée comme une destination stratégique. Elie ayant des attaches familiales dans la capitale sénégalaise. C’est alors qu’ils partent s’installer à quelques centaines de mètres du palais présidentiel. Si les premiers budgets sont d’abord récupérés loin de Paris, la France devient le moteur de croissance de l’agence. Le développement de la succursale de Dakar sera long, car beaucoup de choses « fonctionnent à la confiance. Démontrer seulement son expérience, ce n’est pas suffisant, » nous a précisé Serge. Quelques années plus tard, Les Barbus sont solidement implantés au Sénégal où ils gèrent notamment deux budgets : Batimat (bâtiment), et Kash Kash (paiement mobile).

Publicité Batimat réalisée par Les Barbus

Une des créations réalisées par Les Barbus pour leur Client Batimat.

Batimat est un groupe dont le siège est à Dakar. Il opère dans 11 pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale. L’agence gère toute la communication du groupe, car trop « souvent au Sénégal, les entreprises n’ont pas de service dédié par manque de main d’oeuvre spécialisée. » Ainsi, les agences doivent tenir ce rôle, allant parfois jusqu’à créer des processus pour structurer l’organisation de la communication de leur client. Avec Batimat, Les Barbus ont « des campagnes en permanence » sur l’année.

D’une manière générale, la relation avec le client implique beaucoup d’éducation. L’accompagnement et l’explication représentent une grosse partie du travail à accomplir dans les échanges avec un annonceur. Il y a aussi la culture locale à prendre un compte, comme notamment le respect de l’aîné. Il ne faut pas le froisser. « C’est parfois difficile d’expliquer à son client, qui a choisi l’agence pour avoir un soutien en publicité, qu’il se trompe, ou que son raisonnement n’est pas le bon, » explique Serge.

Du côté de la publicité et de la créativité, la transmission d’un message est bien plus complexe qu’en Europe. Ici, les populations sont très rarement segmentées. D’ordinaire, on parle des 10% les plus riches et des 90% restant. D’autre part, il faut combiner avec une partie de la population qui ne sait ni lire ni écrire (moins d’un adulte sur deux au Sénégal). Cette attention très informelle dont je vous parlais dans l’épisode 0 sur Dakar est capitale, mais très difficile à capter. De plus, les rapports humains étant très importants, les opérations de street marketing ont souvent de bonnes retombées. Tout le monde comprend les échanges oraux et cela donne des indicateurs sur la qualité d’un message. Par exemple, pour Kash Kash qui est un service de paiement mobile, pratique très populaire en Afrique, Serge et ses équipes n’hésitent pas à se rendre au marché de Sandaga pour présenter leurs créations aux habitants et recueillir leurs avis. Il leur faut rester sur des messages simples, tout en testant de nouvelles approches. C’est un exercice qui n’est pas évident, et créativement, c’est « compliqué de faire compliqué. » La publicité est également confrontée au manque de maturité du marché de la publicité au Sénégal. Des frais techniques sont rarement attribués et il faut parfois s’orienter des stocks d’images pour travailler ses créations.

Transmettre un message aux bonnes cibles reste une nouvelle fois complexe; car les usages sont très loin du numérique. Dans la rue on ne peut pas cibler une population passionnée de technologie, ou qui a un style de vie en particulier. « Sur les réseaux sociaux beaucoup d’annonceurs se trompent. La seule mécanique qui marche pour l’instant c’est le jeu-concours, » complète Serge. En effet, jusqu’à 2015 très peu de campagnes étaient lancées avec des Facebook Ads, ou des AdWords. Pourtant, leur coût est vraiment faible et l’engagement obtenu sur Facebook est impressionnant. Cependant, les utilisateurs « likent une image, pas un message. » Cela entraine une conversion très limitée parfois même nulle.

Les agences se heurtent parfois à quelques péripéties sur le développement de la publicité à Dakar. Par exemple, le wolof est une langue orale, et ne doit pas être utilisé sur des créations imprimées. Uniquement à la radio, ou à la télévision. Dans d’autres cas, les personnages des campagnes doivent se retrouver dans des situations logiques et adaptées. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais cela peut parfois créer des contextes spéciaux. Au final, connaitre le monde la publicité peut aider si l’on souhaite se développer en Afrique, mais seule la maîtrise culturelle fera la différence.

À Dakar, Les Barbus se heurtent, comme toutes les autres agences structurées et les annonceurs, à un problème de main d’oeuvre. À chaque publication d’une offre d’emploi, Serge et ses équipes reçoivent beaucoup de candidats, mais le constat est toujours le même : le Sénégal ne forme pas à la publicité. La qualification de main-d’oeuvre la plus répandue c’est la comptabilité. Cependant, « on voit beaucoup d’envie chez les personnes que l’on a en entretien. Il y a une volonté d’apprendre et maîtriser les métiers de la publicité, » ajoute Serge. Pourtant, « il y a une culture graphique qui n’est pas encore très développée, et c’est encore plus difficile lorsqu’on parle de culture de la publicité. » Les agences doivent également arriver à identifier les faux books, pratique assez fréquente.

Pour Les Barbus, rien n’est à jeter. Au contraire, l’agence se développe bien et envisage d’ouvrir des bureaux dans d’autres pays. Dès 2019, l’agence vise déjà deux destinations.

De ce que j’ai constaté, la publicité au Sénégal est très kitch. Par manque de moyens financiers et humains pour les créations, déjà, mais aussi parce que cela fait partie de la culture graphique du pays. Il y a tout de même de belles choses à voir et à mettre en lumière. Les web-séries par exemple ont beaucoup de succès. Elles sont peu coûteuses à produire pour les marques et peuvent obtenir de très bons résultats.