Récemment un Directeur de la communication me déclarait: « Ne me parlez plus de transformation, je ne supporte plus ce mot! Tout le monde l’a à la bouche et finalement il ne signifie plus rien ». Il poursuivit en expliquant que ce terme était devenu anxiogène, comme tous ces mots qui accompagnent cette révolution : digital, ubérisation, data, intelligence artificielle … qui à force d’être surexploités par les médias et les experts sans être expliqués finissaient par voir leur sens dilué et créer plus d’inquiétude que d’effet moteur.”

Et pourtant, la transformation existe, celle des entreprises qui ont plus ou moins tôt intégré le fait que les clients ont pris le pouvoir et que cela transforme profondément leur manière d’opérer. Sans cette transformation, elles risquent fort de perdre le contact, la relation et finalement tout ce qui fait le business de la nouvelle économie.

Cette prise de conscience s’est exprimée le 15 octobre 2000, dans un discours prophétique d’A.G. Lafley, président de Procter & Gamble Co « The Consumer is Boss » ! Dans sa présentation, il a mis l’accent sur trois points :

On s’éloigne du modèle actuel de marketing de masse, on s’éloigne du push.
Les consommateurs ont pris le pouvoir et vont devenir de plus en plus exigeants.
Les consommateurs veulent être en conversation avec les marques, dialoguer, participer, contrôler.
Visionnaire !

Les publics ont pris le pouvoir

Si on remonte un peu le temps, dans les années 70, le business d’une entreprise consistait à  » trouver des clients pour ses produits”. Essence même du marketing, le principal levier en était la visibilité soutenue : être “vu, aimé choisi”.

Depuis que les publics ont pris le pouvoir par leurs conversations dès 2000 avec internet et l’interactivité, puis par leurs usages à partir de 2008 l’avènement des applications, la donne a totalement changé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dès 2009, on atteint le milliard de téléchargements d’applications. En 2016 on passe la barre des 100 milliards de téléchargements.

Dans le contexte actuel, les clients ont la main et les outils permettant de tout chercher. Nous sommes passés du « Vu, aimé, choisi » pour le marketing des années 80 à “être trouvé, être partagé et rester en contact ». Par ailleurs, les clients ne résonnent plus en fonction du produit, mais à travers l’utilisation et l’expérience vécue avec ces usages (UX). Leur pouvoir repose maintenant sur leur fidélité à la marque qui génère l’expérience que l’on souhaite renouveler, car elle est simple, « sans couture » et agréable. Une fidélité qui se gagne essentiellement par la capacité de ces usages à répondre en continu aux exigences croissantes des utilisateurs en terme d’expérience plus que d’usage d’ailleurs. (Nous avons en moyenne 25 apps sur nos smartphones et nous passons 80% de notre temps sur 5 – nous sommes sortis de l’hystérie des nouveaux usages pour entrer dans une maturité concentrée sur l’expérience vécue avec nos usages essentiels. Les start-ups l’ont parfaitement compris. Leurs apps traitent les irritants et les points de douleurs de tous les usages les plus simples : quel est le titre du morceau de musique que j’entends ? Shazam. Comment choisir un hôtel ? Booking. Comment me déplacer à moindre coût ? Blablacar. etc.

Le processus est bouleversé parce que l’expérience n’est pas l’apanage d’une marque seule, mais le résultat d’un parcours complexe qui intègre plusieurs acteurs. Il s’agit donc pour les entreprises de trouver leur place “au sein” du parcours, de s’inscrire dans cette expérience omni-canal : fluide, confortable et sans cesse améliorée. C’est devenu la nouvelle condition nécessaire du business.

L’expérience est le business

Le business devient l’expérience et le produit lui devient une commodité de cette expérience. Pour donner un exemple, la SNCF n’est plus un opérateur de chemin de fer dont la mission est de trouver des clients pour ses billets de train. La Société Nationale des Chemins de fer est maintenant un acteur à part entière de l’hyper-mobilité. Elle s’intègre dans une expérience plus vaste qui mêle de nombreux acteurs et de nombreuses plateformes en s’inscrivant dans l’hyper-mobilité. Il devient opérateur du « porte-à-porte » et non plus seulement du « gare à gare »! Pour cette entreprise, il s’agit maintenant de répondre à la question: comment s’inscrire dans une conversation sur le thème de la mobilité et où interagir avec des Citymaper, Trainline, Blablacar, etc. Seth Godin le dit très simplement « Faire vivre des expériences fluides et confortables à ses clients est beaucoup plus performant que d’essayer de trouver des clients pour ses produits ».

Les clients ont pris le pouvoir et leur fidélité se traduit dans une conversation qui s’inscrit dans l’expérience qu’ils vivent. La reconnaissance se traduit à travers leur fidélité. Le client engagé devient alors le membre engagé d’une communauté et son rôle n’est plus cantonné à un simple acte d’achat : son statut de membre traduit sa fidélité. Ce contexte impose aux entreprises historiques de se doter d’un UX mindset, de UX managers et d’appliquer l’UX comme une discipline de base. Dépendance plutôt que fidélité ?

Et le collaborateur…

Je vous parle de public depuis le début … et dans public il y a les 4C – le consommateur (celui qui n’est pas encore client), le client, le citoyen et le collaborateur. Et si les trois premiers ont vraiment pris le pouvoir, le collaborateur est lui, le laissé pour compte de cette révolution. Il est encore en 2000 !
Rien ne sert donc de tenter de l’embarquer dans la transformation des expériences clients si la sienne est douloureuse ! Et je vous le confirme, elle l’est. Son expérience se caractérise par une « résistance au changement » violente et douloureuse.

Engager cette transformation par l’UX, en faire un mindset collectif et une discipline partagée nécessite de considérer ses collaborateurs comme ses premiers clients. C’est à dire de commencer par réduire les douleurs et les irritants présents au sein de l’organisation avant même de s’occuper de ceux des clients. S’appliquer à soi-même les principes UX est la première étape de la mise en œuvre de cette culture qui permet aux entreprises de réussir dans cette nouvelle économie.

En effet, à la fois, « mindset » et discipline, l’UX devient le moteur du business.