L’été est propice aux actualités liées aux jeux vidéo. Entre l’Electronic Entertainment Expo (appelé communément E3) de Los Angeles et la Gamescom à Cologne (en Allemagne), c’est l’occasion pour les éditeurs d’annoncer ou de confirmer les futures sorties de leurs licences. Et pour la communauté de gamers, d’enrichir les nombreuses conversations sur les réseaux sociaux (YouTube en tête avec les « rumeurs ») aux côtés des médias spécialisés (Jeuxvideo.com, IGN, Game One, NoLife, Gamekult…). Du point de vue de Siècle Digital, c’est l’occasion de s’intéresser à cette industrie apparue dans les années 60 et qui n’a eu de cesse d’évoluer positivement jusqu’à dépasser l’industrie du cinéma à partir des années 2000. Les non-joueurs seront peut-être surpris, mais en 2017 l’industrie des jeux vidéo affichait 108,9 milliards de dollars de revenus quand celle du cinéma atteignait les 40,6 milliards. À titre de comparaison, la FIFA (Fédération internationale de football association) enregistrait (toujours en 2017) 734 millions de dollars (et 2 milliards pendant la dernière Coupe du Monde en 2014).

Vous l’aurez compris. L’industrie des jeux vidéo ne se cantonne plus à ses vieux stéréotypes « d’adolescents introvertis ». Le marché englobe tous les genres et tous les âges. Un essor qui est dû à de nouveaux usages, mais également à un rapprochement avec le monde du cinéma dans leur conception ainsi qu’un bouleversement des acteurs traditionnels.

Quand les jeux vidéo ont vu plus loin que le salon

Le salon et la console sous le meuble TV sont encore des éléments ancrés dans l’esprit quand on évoque les jeux vidéo. Mais c’est passé outre le fait que le mobile (smartphone et tablette) représente aujourd’hui 42 % du marché global. Faisant de ce support, la première source de revenu avec une valeur de 46,1 milliards de dollars (en 2017). Si les consoles trônent à la deuxième place en termes de chiffre d’affaires, les projections montrent que sa part va continuer de diminuer au profit du mobile.

En soi, cela paraît logique quand on observe notre « consommation d’écran ». Si l’on regarde spécifiquement la navigation web, plus de 51 % du trafic est fait à travers les smartphones/tablettes. Si j’évoque le web, c’est l’une des explications principales dans ce nouveau panorama du marché des jeux vidéo. On reviendra plus précisément dessus avec notamment Apple et son App Store. Ce n’est pas non plus un hasard si j’évoque la firme de Cupertino dans un billet dédié à l’industrie des jeux vidéo. L’échiquier des principaux acteurs du marché n’est plus le même que dans les années 90 ou encore 2 000 comme en témoigne ce graphique :

entreprises industrie jeux vidéo et chiffre d'affaires

Les dix premières sociétés de l’industrie des jeux vidéo par chiffre d’affaires.

Les éditeurs comme Nintendo, Electronic Arts ou Sony (PlayStation) ont une résonance auprès de n’importe quel joueur. Pour autant dans le classement, Tencent et Apple arrivent respectivement premiers et troisièmes. Dans un article Comment les BATX préparent la conquête de l’occident, Valentin évoquait déjà la force de Tencent sur l’industrie des jeux vidéo. Quant à Sony, il est depuis la fin des années 90 avec la PlayStation, un acteur incontournable et récurrent. Enfin, l’entreprise Apple qui peut poser question dans ce palmarès. La société s’est démocratisée avec son smartphone (iPhone) qui est justement à l’origine de sa présence dans ledit classement (on reviendra sur ce sujet plus tard).

Il faut également rajouter que l’usage du mobile a ouvert le marché du gaming aux nouvelles puissances. Je pense notamment au marché chinois qui est devenu le premier pays en termes de chiffre d’affaires. Les États-Unis d’Amérique et le Japon arrivent ensuite, puis les pays de l’Europe de l’Ouest avec respectivement l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Espagne et l’Italie.

Apple, Tencent et Facebook : ces acteurs qu’on oublie

On a évoqué trois des acteurs historiques comme Nintendo, Sony Entertainment, Electronic Arts (EA) ou encore Bandai Namco. Ces derniers conservent leur place grâce à des univers et des consoles qui continuent à se vendre énormément. Mario, Zelda et sa dernière console (la Switch) pour Nintendo, la console PlayStation 4 pour Sony, Fifa et Battlefield pour EA, Dragon Ball et Dark Souls pour Bandai Namco. On peut citer, car en quatrième place dans le classement, Activision Blizzard connu pour ses licences comme World of Warcraft. Mais il est bon de préciser que 50 % de son chiffre d’affaires provient des achats intégrés dits in-game. En effet la filiale King.com (Candy Crush) d’Activision Blizzard représente 2 milliards de dollars dans son chiffre d’affaires global de 7 milliards en 2017 (soit environ 30 %).

On peut ainsi (re)dire que le mobile tire vraiment vers le haut l’industrie des jeux vidéo. Et c’est pourquoi nous pouvons (enfin) revenir sur Apple et son classement à la troisième position des principales du secteur. La firme de Cupertino est connue pour l’iMac, le MacBook et surtout l’iPhone qui s’avère l’hardware l’un des plus « accessible » de la marque. Apple est considérée comme une société dans l’hardware. Cependant il ne faut surtout pas négliger son App Store. Et cette dernière vit principalement des éditeurs de jeux vidéo. Souvenez-vous de l’App Store à sa sortie. Une dizaine d’applications dont essentiellement des jeux vidéo… Aujourd’hui plus encore, Apple nous montre que son Store vit grâce à cesdites applications. Depuis la mise à jour de son interface, il y a tout juste un an, l’App Store se voyait éditorialisé avec une belle mise en avant des jeux sous l’onglet éponyme. Rien d’étonnant si l’on s’intéresse au business model des jeux vidéo sur mobile. Sous son onglet « Jeux », Apple touche une commission sur le téléchargement d’applications payantes en plus de l’abonnement annuel des éditeurs. Selon un rapport, Apple aurait reversé 70 milliards de dollars aux développeurs depuis la création de son Store en 2008. Au dernier trimestre 2017, Apple affichait un chiffre d’affaires de plus de 8 milliards dans la catégorie « Services » où l’Apple Store s’inscrit.

Facebook se positionne aussi sur cette industrie avec des fonctionnalités propre aux jeux vidéo. On pense au récent espace dédié au streaming (live ou non) Facebook Gaming (Fb.gg). Lancé le 8 juin 2018, la plateforme se veut un « sous-babouk » pour les joueurs désireux de partager leurs exploits, échanger et visionnant d’autres joueurs selon les licences. Naturellement, Fortnite et PlayerUnknown Battlegrounds (PUBG) cannibalisent les vues. Mais des studios surfent sur la vague comme Ubisoft. L’E3 a été l’occasion de tester cette nouvelle plateforme de streaming (imaginez les 5 millions d’abonnés à la page recevoir une notification du live d’Ubisoft – beaucoup plus puissant qu’un communiqué de presse…). Mais parlez de game streaming sans citer Twitch serait une erreur. En effet, la plateforme (exclusivement dédié au streaming) a été lancée en 2011. Exploit propre à la Silicon Valley, Twitch s’est fait racheter par… Amazon pour 970 millions de dollars en 2014. Soit 4 ans seulement après sa création et l’année où Google semblait le premier préposé à cette acquisition. Ce raté est sans nul doute à l’origine de la création, un an plus tard, de YouTube Gaming pendant l’E3 2015.

On a déjà évoqué Tencent plus haut, mais il est important de s’arrêter sur cette société. D’une part parce qu’elle fait partie des BATX, mais également, car c’est la plus grosse société en chiffre d’affaires dans l’industrie des jeux vidéo : 18 milliards de revenus avec une croissance de 51 % sur l’année précédente. Fortnite et PUBG sont dans le giron de Tencent Holdings. Le premier est issu de l’une de ses filiales (le studio Epic Games), tandis qu’avec le deuxième, Tencent est l’un des coéditeurs et le distributeur. Mais il faut rappeler que l’opportunisme n’est pas lié à ces deux jeux récents. En 2016, Tencent faisait l’acquisition du studio Supercell (environ 80 %) qui est à l’origine des jeux mobiles : Clash of Clans, Boom Beach et Clash Royale. Des studios comme Ubisoft se retrouvent également dans la vision de Tencent. Ce dernier a acquis récemment 5 % du capital du studio français, faisant d’elle le 4è actionnaire.

Tencent ainsi que d’autres acteurs semblent appliquer ce business model gagnant : un chiffre d’affaires basé sur un gros volume de petits achats.

Le taux d’équipement des smartphones, dans le monde entier, permet cette stratégie dans l’industrie du gaming. Le paiement mobile, arrivé tard en occident, est courant depuis longtemps en Asie où le marché chinois est le plus important au niveau des jeux vidéo.

Quelles évolutions pour les jeux vidéo ?

Le mobile ne semble qu’une simple étape du marché du gaming. Les constructeurs et développeurs évoquent déjà certaines pistes pour le futur des jeux vidéo. On pourrait déjà parler de la réalité virtuelle et augmentée. Si des entreprises comme PlayStation ont déjà commercialisé leur produit, cela reste encore un support « gadget » pour les joueurs souhaitant mettre le prix (une moyenne de 225 euros selon les distributeurs). À mon sens, il faudra attendre la prochaine génération de console de salon et une démocratisation des casques VR, tout comme la volonté des studios de développement pour vraiment faire exploser ce marché. Pourtant, le format semble parfait pour les joueurs traditionnels qui rêvent de réalisme.

Tout récemment, une autre piste sérieuse a été remise au goût du jour par Ubisoft. Pour le studio, le cloud gaming remplacera les consoles actuelles. Supprimer les supports physiques pour stocker les données sur des serveurs centralisés n’est pas nouveau. Le cloud gaming serait la déclinaison du cloud computing à l’industrie des jeux vidéo. Justement, Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft, croît en cette nouvelle interface. Les joueurs pourront accéder aux licences à partir de leur mobile ou d’une interface Saas depuis leur télévision ou ordinateur. Une manière efficace de supprimer les frustrations de joueurs en vacances et surtout de fidéliser et d’engager encore plus ces derniers, car non-attaché à une PS4, une Nintendo Switch ou un ordinateur.

Cloud gaming

Cloud gaming © Venngage

Alors est-ce que cela sonnerait la fin des constructeurs de consoles ? C’est une question qui mérite débat et analyses poussées des professionnels du milieu. Cela pourrait à nouveau bouleverser le classement des plus grosses sociétés.

Sources : Statista, Newzoo, Les Numériques et PC Gamesn.