Concernant la blockchain, les observateurs finissent inlassablement par débattre de nombreux points qui sont pour la plupart du temps totalement faux ou en tout cas très partiaux et partiels dans leur analyse. Et s’il y a bien un sujet qui fait débat depuis de nombreux mois c’est l’aspect énergivore de la blockchain. Ainsi nombreux sont les experts à argumenter sur les méfaits de la blockchain sur l’environnement, sur le fait qu’elle serait une véritable calamité énergétique pour notre planète. Mais alors qui a vraiment raison dans cette bataille qui oppose les pro et les anti blockchain sur sa consommation d’énergie ? Existe-t-il une seule vérité ?

Des faits avant toute chose

Parler de « la blockchain » en général est un abus de langage que tout le monde utilise, or il existe des dizaines de technologies différentes, chacune disposant de ses propres caractéristiques et fonctionnalités. Toutes les blockchains ne fonctionnent pas de la même manière. Le point dur sur lequel s’achoppent les experts concerne une des nombreuses fonctionnalités d’une blockchain, c’est son algorithme de consensus. Et l’algorithme qui induit un problème de consommation d’énergie s’appelle le « proof-of-work ». Les deux blockchains les plus connues qui utilisent cet algorithme sont Bitcoin et Ethereum respectivement numéro un et numéro deux mondial en termes de capitalisation.

Le consensus sur une blockchain est un mécanisme nécessaire à obtenir de la part des participants une reconnaissance sur les données et transactions qui circulent au sein du réseau, les acteurs en charge de cette activité de validation s’appellent les mineurs. Leur rôle est essentiel pour le fonctionnement d’une technologie, ils sont les gardiens du temple. Ils garantissent que toutes les transactions réalisées sur la blockchain sont valides, au sens où il n’y a pas de tentative de fraude. Cette opération de validation est réalisée de manière totalement distribuée, tous les mineurs la font en même temps. Cependant seul un des mineurs sur les milliers qui exécutent l’algorithme sera tiré au sort pour donner son analyse des transactions qu’il a validées. Lorsqu’il gagne ce droit de s’exprimer pour l’ensemble du réseau, il est rémunéré en contrepartie par la création d’un certain nombre d’unité de cryptomonnaies de la blockchain en question.

Le mécanisme de consensus est donc totalement aléatoire pour garantir que ce ne soit jamais le même mineur qui fournisse le résultat de son analyse, et ainsi éviter qu’il puisse facilement introduire des transactions frauduleuses. Pour gagner ce droit, le mineur doit résoudre une équation cryptographique complexe qui demande beaucoup de puissance de calcul pour être résolue, ce qui lui permettra de prouver le travail mis en œuvre pour y arriver. Cette puissance de calcul a un coût en matériel, il s’agit de machines très spécialisées qui permettent de réaliser ce calcul, et elle nécessite de consommer de l’électricité pour chaque mineur. Donc plus il y a de mineurs sur le réseau et plus la consommation d’énergie est importante, ceci n’ayant aucun lien avec le nombre de transactions à réaliser.

Si on prend Bitcoin qui est la blockchain la plus critiquée pour sa consommation d’énergie, elle utilise :

Comparons ce qui est comparable

Avant toute chose, les chiffres relevés ici et là diffèrent significativement d’une étude à une autre. Par ailleurs, les rares études récentes sont largement discutées et remises en cause sur les hypothèses utilisées pour les réaliser. Pour le moment, aucune étude scientifique sérieuse n’a été réalisée pour évaluer précisément la consommation électrique nécessaire à la sécurisation de Bitcoin.

Tout le monde a un avis sur le niveau de consommation de Bitcoin, car ce sont des données qui sont disponibles, a minima calculables, de sorte qu’il est possible de se figurer ce que représente concrètement le coût énergétique de cette blockchain.

Dans ce cas, il est tout à fait logique de se demander ce que représente la consommation d’énergie d’autres activités. Saviez-vous par exemple qu’une seule requête de recherche exécutée sur le moteur de recherche Google équivaut à la consommation d’énergie d’une ampoule allumée pendant une heure, ainsi à eux seuls les data centers de ce géant du web font tourner 14 centrales électriques.

Encore mieux, selon une étude de 2013, le web tel que nous le connaissons consommait à l’époque l’équivalent de la production électrique de 30 centrales nucléaires et les data centers eux consommaient près de 3% de l’énergie mondiale, des chiffres qui ont bien évidemment progressé depuis.

Prenons maintenant la comparaison avec une activité comme la production de l’or ! On compare souvent Bitcoin à un or digital, nous pouvons convenir que cette analogie est discutable, pour autant nous allons comparer pour les besoins de l’exercice avec la consommation d’énergie nécessaire pour l’extraction mondiale d’or. En 2012, il a été produit 7 400 kilos d’or par jour, soit sur toute l’année une production totale de 2 700 tonnes. Une étude de 2014 estime que la production d’un kilo d’or nécessite 310 000 MJ/kg. Si on convertit donc ce besoin en énergie en KWh, pour produire un kilo d’or il faut donc environ 86 112 KWh. Nous avons maintenant une bonne base de calcul pour évaluer le coût énergétique de la production mondiale de l’or sur une année, elle est donc d’un peu moins de 233 TWh, soit presque 8 fois plus que la consommation annuelle de Bitcoin !

La dernière comparaison que nous pouvons effectuer est celle de la consommation d’énergie totale annuelle du système bancaire. Là encore la comparaison est délicate puisque les banque ne gèrent pas seulement les transactions monétaires. Une évaluation de cette consommation a été réalisée en fin 2017 atterrissant sur un résultat de 100 TWh par an avec dans ce calcul les agences qui consommeraient à elles seules près de 60% de cette énergie. Des agences qui sont désertées par les clients depuis de nombreuses années et que les banques ont décidé de fermer en quantité dans les années à venir. Ainsi en France entre 2012 et 2016 il s’est fermé environ 3% d’agences quand les banques françaises tablent actuellement sur la fermeture de 12,6% des points de vente d’ici à 2020.

Des problèmes qui poussent à des solutions innovantes

Pour autant, même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile de défendre complètement le niveau d’énergie nécessaire pour faire fonctionner Bitcoin, quel que soit les études ou les avis exprimés sur le sujet. À l’heure de la préparation de la COP24, il devient urgent de trouver un moyen de réduire l’empreinte écologique des blockchains sur la planète, et pas seulement de Bitcoin.

L’avantage dans ce type de situation c’est que les acteurs de l’écosystème sont les premiers concernés par cette problématique et donc les premiers intéressés à trouver des solutions innovantes pour réduire cette consommation d’électricité. Prenons par exemple les machines nécessaires pour réaliser le minage, les dernières générations produites sont 2,5 fois plus efficace en consommation d’énergie que la génération précédente. Les mineurs eux-mêmes cherchent à optimiser cette consommation d’énergie notamment en allant s’installer dans des pays dans lesquels la température ambiante permet d’éviter d’avoir à refroidir les machines par des installations elles-mêmes couteuses en énergie. Des solutions prometteuses à base de refroidissement liquide sont aussi étudiées par les professionnels du secteur.

Une nouvelle fonctionnalité qui pourrait permettre de réduire le besoin d’énergie nécessaire pour sécuriser Bitcoin est par ailleurs disponible depuis quelques semaines, il s’agit du Lightning Network. Encore marginal dans le volume de transactions réalisées, cette fonctionnalité permet à deux utilisateurs de Bitcoin de réaliser des transactions en cryptomonnaies sans avoir à passer par la blockchain principale. Lightning Network permet en effet de faire des transactions pair-à-pair de manière sécurisée et transparente tout en ne prévenant la blockchain principale que du résultat final des transactions qui ont eu lieu entre les utilisateurs.

Et puis, n’oublions pas que Bitcoin n’est pas la seule alternative blockchain, il existe des dizaines d’autres technologies blockchains utilisant d’autres algorithmes pour réaliser le consensus ou dont les équipes de développement cherchent activement à développer d’autres formes de consensus moins énergivores. Ainsi, Ethereum qui est actuellement basée sur le proof-of-work comme Bitcoin, est en train de finaliser le développement d’une mise à jour majeure pour introduire le proof-of-stake dans les mois à venir. Ce nouvel algorithme de consensus ne nécessitera plus de mettre en jeu de la puissance de calcul mais plutôt de la cryptomonnaie directement, le tirage au sort dans ce cas se fera en fonction de la quantité de cryptomonnaies en possession du mineur.

Conclusion

Ne parlons pas de la blockchain en général mais précisons toujours de celle à laquelle on fait référence et lorsqu’il s’agit de la consommation énergétique, c’est principalement de la blockchain Bitcoin ou Ethereum dont il s’agit. Sans excuser le fait que l’algorithme de consensus de Bitcoin est clairement énergivore, il s’avère que d’autres industries tout aussi comparables ont elles aussi des consommations électriques significatives, pour certaines qui dépassent de beaucoup celle de Bitcoin. Et puis, de nombreuses pistes sont activées actuellement pour résoudre ce problème de consommation d’énergie, du Lightning Network en passant par le proof-of-stake ou encore par l’optimisation de la performance énergétique des machines. Finalement, il est assez facile de nuire au développement d’une technologie comme la blockchain, en mettant la lumière là où cela arrange tout en occultant les réels bénéfices qu’elle apporte dans différents secteurs d’activité. La blockchain porte en elle les gènes de la disruption, l’étendue des possibilités offertes par cette technologie sont inimaginables, il serait dommage de la réduire uniquement à la quantité d’énergie nécessaire à la faire fonctionner.