Les ICOs (Initial Coin Offering) continuent de faire couler beaucoup d’encre. En effet, si on y regarde d’un peu plus près, les chiffres sont toujours aussi fous même si au moment de l’écriture de cet articles les cours des cryptomonnaies sont énormément chahutés. Ainsi en 2017, les startups de l’écosystème blockchain ont levé 5,5 milliards de dollars avec une réelle accélération au deuxième semestre. Quand depuis le début de l’année 2018, ce sont plus de 3 milliards de dollars qui ont été levés en cryptomonnaies. Les VCs sont en train de se faire disrupter et pour le moment ils ne l’ont pas encore vu ! Mais le cadre autour de ces opérations n’est toujours pas posé, qu’il soit règlementaire, comptable, fiscal ou juridique, peu de pays ont pour le moment régulé complètement les ICOs. Pour autant certains pays ont des positions plus accueillantes que d’autres, et la France est en train de prendre un virage tout à fait remarquable de ce point de vu.

Une règlementation des ICOs pour protéger les investisseurs

Les autorités règlementaires de différents pays sont aujourd’hui en ébullition concernant l’encadrement des levées de fonds en cryptomonnaies. Plusieurs enjeux sont en balance qui nécessitent que l’on pose un cadre autour de ces opérations.

Le point qui est sûrement le plus important concerne la protection des investisseurs. En effet, tout le monde peut monter une opération sans avoir à demander l’autorisation à personne, et il existe aujourd’hui de véritables arnaques, des « scams » dans le jargon de cet écosystème, qui font perdre des sommes parfois colossales aux investisseurs. Rappelez-vous de Eros.vision et de ses 19 millions de dollars levés en août 2017 pour créer un Uber de la prostitution. Il y a peu, le site spécialisé Cointelegraph identifiait 5 ICOs récentes qui ont été stoppées en cours de route ou pire qui ont abouti : PlexCoin, Benebit, Oper et Ebitz, Recoin et DRC ou encore PonziCoin, en même temps pour ce dernier on aurait pu s’en douter facilement !

Par ailleurs, il y a des risques inhérents à un investissement qui sont rarement (voir jamais) mis en avant sur les ICOs :

  • Risque de perte en capital, l’information n’est pas mise en avant par les porteurs de projet
  • Risque de volatilité ou d’absence de marché, les cours sont souvent très chaotiques une fois que le token émis est listé sur une plateforme d’exchange, et parfois il n’y a aucune liquidité du token, le marché secondaire ne se met pas en place et vous ne pouvez donc rien faire de votre token
  • Risque de plantage du projet financé, rappelez-vous que 9 startups sur 10 échouent, il n’y a aucune raison que ce chiffre soit différent parce qu’elles développent un projet à base de blockchain

On trouve aujourd’hui 3 grandes catégories d’investisseurs dans une ICO :

  1. Les crypto-millionnaires, ces personnes qui ont acheté des bitcoins ou des Ethers il y a quelques années lorsque cela ne valait rien, et aujourd’hui ils en ont en quantités astronomiques, et comme tout bon investisseur ils cherchent à limiter au maximum le risque en diversifiant leurs investissements. Soit ils rachètent d’autres cryptomonnaies soit ils investissent dans des ICOs.
  2. Les fonds spécialisés en cryptomonnaies, en février 2018, on dénombrait 226 de ces fonds un chiffre qui a plus que doublé dans les derniers mois. Par ailleurs, on voit de plus en plus de fonds traditionnels comme Sequoia Capital aux États-Unis, des family office comme Otium Capital en France qui commencent à se positionner sur ces catégories d’investissements.
  3. Enfin, on trouve le grand public, monsieur et madame tout le monde, qui est attiré par les rentabilités records annoncées par certains médias.

On comprend facilement que les deux premières classes d’investisseurs sont tout à fait à même de mettre en œuvre les bonnes stratégies pour investir de manière éclairée dans les cryptomonnaies, soit en recrutant les bons profils qui commencent à émerger, soit en se formant et en apprenant à séparer le bon grain de l’ivraie. Mais sur les investisseurs privés, on voit des situations dramatiques depuis quelques mois. Ainsi au moment où le bitcoin était aux alentours de 20 000$ en décembre, des jeunes se sont mis à utiliser leur prêt étudiant pour en acheter et des retraités ont cassé leur plan d’épargne pour en acquérir aussi. Autant dire qu’avec un bitcoin à moins de 8 000$ au moment de l’écriture de cet article ces mêmes personnes sont dans une situation personnelle potentiellement tragique.

On comprend donc mieux pourquoi il est urgent pour tous les régulateurs de poser un cadre règlementaire autour des ICOs. Le risque à l’extrême serait de totalement gripper le système et d’empêcher ou de totalement complexifier le montage de ces opérations pour les sociétés qui souhaiteraient en lancer une. C’est d’ailleurs ce qui a pu se passer en Chine ou aux États-Unis ces derniers mois, même si la manière de faire est totalement différente des 2 côtés. En France, l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) a quant elle une approche pragmatique et bienveillante vis-à-vis des levées de fonds en cryptomonnaies.

La position de l’AMF

En octobre 2017, l’AMF a publié une consultation publique nommé UNICORN, ouverte à tous, pour obtenir du feedback sur leur compréhension des enjeux autour de la blockchain, des cryptomonnaies et des ICOs. Cette consultation s’est terminée fin décembre 2017 et une synthèse des réponses a été publiée fin février 2018. L’idée étant de ne pas poser un cadre descendant par défaut mais d’adopter une démarche collaborative et co-constructive de ce cadre. Lors de cette consultation, l’AMF a identifié tous les risques pris par les investisseurs ainsi que les cadres règlementaires existant dans lesquels potentiellement il était possible de faire rentrer une ICO :

  • Offre au public de titres financiers
  • Crowdfunding (financement participatif)
  • Organismes de placement collectif en valeurs mobilières (« OPCVM »)
  • Fonds d’investissement alternatifs (« FIA »)
  • Autres placements collectifs
  • Intermédiaires en biens divers 1
  • Intermédiaires en biens divers 2

Seulement pour chacun des cadres identifiés, il y a matière à débat car les ICOs de par leur nature et leur format autant que par le token généré ne rentrent que partiellement dans les cases existantes. De fait, plusieurs scénarios ont été proposés dans cette consultation afin de coller au plus près de la configuration de ces opérations, 3 scénarios plus précisément :

  • Option 1 :le statu quo réglementaire et la définition de bonnes pratiques
    • Il s’agit de ne pas créer de nouveau cadre et de faire avec ceux existant tout en proposant un guide de bonnes pratiques mais non incitatif, vous pouvez monter une ICO en France et vous conformer ou non à ce guide
  • Option 2 : la réglementation des ICOs dans le cadre juridique existant en matière de prospectus
    • Il s’agit ici de considérer qu’une ICO doit se conformer aux mêmes règles que pour une IPO par exemple et donc de rendre le processus de levée quasi impossible pour bon nombre des startups early stage qui souhaitent se financer en cryptomonnaies
  • Option 3 : l’adoption d’une réglementation nouvelle adaptée aux ICOs
    • Option 3.A : un régime d’autorisation applicable à toutes les ICOs s’adressant au public en France
      • Il s’agit ici de créer un cadre spécifique aux ICOs auquel toutes les entreprises souhaitant y faire appel devront se conformer
    • Option 3.B : un régime d’autorisation optionnel
      • Il s’agit d’un cadre non obligatoire pour les entreprises montant une ICO, pour celles qui y souscriraient, elles pourrait bénéficier d’un label délivré par l’AMF, ce qui serait un vrai levier incitatif et par ailleurs un outil important de rassurance pour les investisseurs

La synthèse des réponses à la consultation donne un point de vue tout à fait intéressant sur l’approche à retenir de la part des répondants : « Entre les règles de bonne conduite non contraignantes (option 1) et la régulation par de nouvelles règles contraignantes pour toutes les ICO (option 3A), l’option 3B est vue par une majorité de répondants comme une solution équilibrée permettant une approche pragmatique des ICO. » L’AMF a donc décidé de poursuivre ses travaux sur la base d’un régime d’autorisation optionnelle avec délivrance ou non d’un visa.

Et il semble que Bercy ait décidé de légiférer rapidement sur les ICO et de profiter des travaux en cours sur la loi PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) pour adopter la position favorable de l’AMF sur ce régime d’autorisation optionnelle. Le projet de loi sera rédigé pour le printemps 2018 et son examen en conseil des ministres est prévu pour mi-avril. Il se pourrait donc qu’à cette occasion la France devienne une véritable terre d’accueil pour les ICOs qui pourraient bénéficier d’un « tampon officiel » des autorités nationales leur donnant ainsi une légitimité et un sérieux qu’aucun autre n’a aujourd’hui.

Conclusion

Finalement, même si cela met un peu de temps à atterrir, la France pourrait donc devenir un terreau fertile pour cette nouvelle crypto-économie et pour toutes les entreprises qui développent actuellement des projets totalement disruptifs à base de blockchain. Nous avions raté le créneau de l’intelligence artificielle, nous avons peut-être l’occasion de devenir un leader de sur la blockchain. Même s’il reste encore des points importants et structurants à préciser comme le traitement comptable, fiscal et juridique des cryptomonnaies et des fonds levés dans une ICO, nous sommes en bonne voie pour prendre le leadership sur ce sujet.