Podcast par-ci , podcast par , dans la foule des mots magiques à la mode, ce format audio non identifié est en bonne place. Le fait de consommer de l’audio en ligne est au moins aussi ancien que le premier iPhone, pourtant, le podcast a mis du temps à se faire une place dans nos habitudes. À l’heure où de nombreuses marques et médias s’intéressent au phénomène et où de nombreux créateurs cherchent des modèles économiques viables, il serait important de prendre un peu de recul sur le fond et sur la forme. Et si le père à tuer pour s’émanciper n’était pas la radio, mais le podcast lui-même ?

Le podcast n’est pas du replay radio ?

Tous les podcasteurs semblent d’accord, le podcast est avant tout un contenu créé pour le web. On appelle même ça le “podcast natif”. Les possibilités de sujets, de ton et de formes sont tellement différentes que c’est même le seul réel point commun de toute la production. Quand un animateur radio annonce à la fin de son programme “retrouvez-nous en podcast quand vous voulez”, c’est donc du blasphème. Il devrait parler de replay. Lors des “Podcasteo Awards” remis par le réseau français Podcasteo fin février, un prix a même été remis au meilleur “replay radio”. Une façon un peu condescendante de rappeler aux dinosaures de la radio qu’ils ne font pas partie de la révolution en cours ?

Je suis un grand consommateur de contenu audio (pour faire du sport, la cuisine, dans les transports, etc.) Pourtant je dois l’avouer, après avoir essayé d’écouter de nombreuses émissions du PIF comme s’appelle l’entre-soi parisien du Podcast indépendant français, j’écoute surtout du replay radio. Alors oui, j’écoute Splash, j’avais adoré “Parti Pris”, et j’ai un faible pour Troll in The Sky. Mais j’écoute surtout les podcastos Jean-Noël Jeanneney et Emmanuel Laurentin. Les replays de France Culture donc. Radio France. L’épouvantail du podcasteur indépendant se rebellant face aux médias traditionnels. Peut-être parce que “tous les contenus ne sont pas bons” comme le relevait avec clairvoyance le webzine Radiotips.

Le podcast, nouvelle radio étudiante et nouveau blog beauté ?

La première raison, qui se discute difficilement, est une question de goûts. Les contenus proposés ne me parlent pas. Pourquoi ? Voilà une question totalement ouverte. À vous de me dire ce que vous en pensez. J’ai de plus en plus l’impression que l’espace de liberté ouvert par le podcast ressemble à ce qui passe sur les ondes des radios étudiantes depuis les années 80. Attention, je ne dénigre pas les radios étudiantes. J’ai participé au projet de Radio Campus Rennes pendant 5 ans, j’ai adoré ça, j’ai pu toucher à plein de choses différentes et j’y ai à peu près tout appris.

Mais à quoi bon créer des dizaines d’émissions orientées pop culture où c’est rigolo, on peut dire des gros mots parce qu’on est en ligne ? Cette liberté existe en radio étudiante. Je ne suis pas fier de tout ce qu’on a pu dire à l’antenne du 88.4 Rennais, mais il n’y avait pas de censure sur les sujets abordés et sur le ton adopté (dans la limite du raisonnable et de la charte de l’association bien évidemment). Le podcast serait donc mieux que les replays radio tout en faisant la même chose que la radio en moins bien ? Oui, mais sur le web ! Très “meta” comme disent nos amis américains.

Comme à l’époque du boom de YouTube, la facilité de création de podcasts et le budget limité nécessaire pour faire des émissions de talk permet à tout le monde de se lancer…quitte à faire du YouTube version audio. Qui lui même était du blog filmé au smartphone. Vous me suivez ?

À longueur d’articles, on nous rappelle que 40% des américains de plus de 12 ans affirment avoir écouté au moins un podcast dans les 12 derniers mois, quasiment 4 fois plus qu’il y a 5 ans. Pourquoi un tel chiffre quand dans le même temps le webzine Radiotips, dans l’article déjà cité, déplore l’invisibilité et le peu d’auditeurs des podcasts indépendants en France ? Sans doute parce que les américains se servent du médium pour créer des contenus originaux et attractifs qui profitent à fond des super pouvoirs de l’audio…

Le podcast, espace d’innovations formelles ?

Allons-y justement aux États-Unis. Si vous vous intéressez un peu au sujet, vous savez certainement que la vague du podcast nous vient des États-Unis. Oui, là-bas c’est un business viable pour de plus en plus de créateurs de contenus. Mais les américains créent-ils des talkshows pour parler des dernières séries et films vus, des derniers jeux vidéos achetés ou lire des chroniques rigolotes sur des sujets variés ? Bien sûr certains le font. Mais ce n’est pas grâce à eux que le format s’est popularisé. Ce n’est pas grâce à eux non plus que les annonceurs ont afflué.

Non, ce qui a lancé la “révolution” de l’autre côté de l’Atlantique ce sont des séries narratives qui n’ont rien à voir. Bien sûr la plus connue est Serial, qui a inspiré depuis de nombreux auteurs talentueux. Imaginez suivre une série policière américaine à grand spectacle dans vos écouteurs, où vous le souhaitez, avec une superproduction audio. Croyez-moi, c’est très addictif !

Le studio Gimlet Media, sans doute le plus influent, crée uniquement des émissions très lourdes à produire et qui, comme Serial, racontent des histoires. Ils peuvent des fois passer des semaines à plusieurs sur un épisode de 20 minutes. Ils nous expliquent même leur recette de production secrète dans un épisode passionnant de leur série “StartUp”.

Alors oui ça demande du temps et des moyens, mais guess what? Ce sont les seuls à être rentables. Les studios de cinéma et les producteurs de séries TV sont même en train d’adapter des épisodes de séries audios pour le petit et le grand écran ! Tout cela grâce au talent des auteurs impliqués. Ah oui, j’oubliais : ils réalisent des pubs originales que les auditeurs aiment écouter et font du contenu de très grande qualité pour des marques. Je vous conseille d’écouter cet épisode de la série estampillée Gatorade avec Matt Ryan, Quarterback des Falcons d’Atlanta :  à méditer.

J’ai cité quelques exemples de formats français qui s’inspirent avec succès de ces démarches comme Splash, Transfert, Parti Pris, Superhéros et heureusement la liste s’allonge. C’est également ce que font Les Pieds sur Terre sur France Culture et Arte Radio depuis longtemps.

On arrive alors à un constat qui laissera les podcastos indépendants parisiens pantois : ce qui fera rentrer l’audio en ligne dans les habitudes des gens et leur ouvrira peut-être quelques débouchés professionnels c’est ce que sont en train de faire Radio France, Arte Radio et les studios lancés par d’anciens journalistes “de l’ancien monde”. C’est pourquoi, à la suite d’Hunter Walk aux États-Unis, je pense que pour être audible auprès des auditeurs et des acteurs économiques il est grand temps de changer de terminologie !

Une histoire sonore de qualité réalisée par une équipe du dinosaure Radio France écoutée en replay sera toujours plus intéressante pour l’adoption de la création audio mobile qu’un talkshow foutraque, mais “podcast natif” !

Mort au “podcast” donc, mot-valise qui est assimilé par le grand public au replay radio ou aux talkshows classiques du PIF et vive…autre chose ! Série audio, audio immersive, audio narrative, histoires sonores ?

Pour terminer, je pense qu’il reste à la France à trouver “son Serial” pour que la création audio décolle réellement auprès du grand public et soit prise au sérieux par les médias traditionnels et les marques. Cela semble sur la bonne voie chez certains studios et les mois à venir sont très prometteurs. Créateurs, à vos micros !

Cette tribune vous est proposée par :
Antoine Gouritin, passionné par les nouveaux usages du son (audio narratif, son 3D) et de la réalité augmentée, Antoine a travaillé pendant 4 ans sur des projets culturels avec des grandes institutions françaises et étrangères. Il développe de nouvelles expériences sonores dans des domaines variés : journalisme, musée, formation professionnelle, tourisme, enseignement supérieur, etc.