« Si c’est une drogue, alors quels en sont les effets secondaires ? C’est dans cette zone entre joie et embarras que Black Mirror se situe. Le ‘miroir noir’ du titre est celui que vous voyez sur chaque mur, sur chaque bureau et dans chaque main, un écran froid et brillant d’une télévision ou d’un smartphone ». C’est avec ces mots que le créateur de la série Charlie Brooker décrit notre (potentiel) addiction à la technologie. Si elle nous fait rire, nous gêne ou nous angoisse, la saga Black Mirror a surtout le mérite de faire réfléchir au rôle que nous attribuons aux technologies. Chaque semaine, nous résumerons et donnerons notre avis sur l’un des épisodes de la saison 4 de la série britannique. Attention, spoilers.

D’une durée de 65 minutes, Black Museum vient clore la dernière saison de Black Mirror avec un twist de dernière minute digne de la série dystopique. Dans ce récit aux aspects sombres, un personnage raconte deux histoires avant de vivre pleinement la troisième. À la manière d’une mini anthologie, Black Museum commence de la même façon que White Christmas : la visite d’une voyageuse. Au bord d’une route désertique, Nish gare sa voiture et se dirige vers le seul bâtiment du coin, un musée du même nom que le dernier épisode de la saison 4. Lorsqu’elle entre dans la bâtiment brûlant, Rolo Haynes vient tout de suite à sa rencontre, lui expliquant être le propriétaire des lieux. S’il explique que les gens viennent visiter son musée pour en voir seulement une attraction, elle accepte de discuter des autres objets remplis d’histoire. Heureux d’avoir une oreille attentive à ses vieilles histoires, il commence le premier récit qui composera cette anthologie tripartite.

À propos du décor de cet épisode, il fait aussi penser à un récit en huit-clos dont les personnages peuvent seulement s’évader en racontant (ou en écoutant) les différentes histoires. Seuls le début et la fin montrant des routes infinies et lumineuses contrastent avec ce musée sombre. Dans le musée, on trouve une multitude d’objet exposé sous la lumière et les vitres. D’ailleurs, Black Museum est l’un des épisodes faisant le plus de liens avec les précédents. Dans les objets d’exposition, on y retrouve en vrac un drone abeille (Haine Virtuelle), une tablette à l’écran explosé (Arkange), un scanner ADN (USS Callister), un masque noir au symbole étrange (La Chasse) et encore d’autres dispositifs du même type.

 Black Mirror S4E06 Black Museum

Dès lors que Rolo Haynes commence sa visite personnelle, il mentionne un artefact qui ressemble à un filet connecté qui se pose sur la tête comme un léger casque. Et si l’on se réfère au nom du musée, nul doute que cela n’annonce rien de bon. Haynes explique alors qu’il participait à la réalisation d’expériences portant sur la santé. Plus spécifiquement, sur le transfert de sensation. De fait, Haynes enjoint un médecin du nom de Peter Dawson à tester l’équipement. Jusque là seulement tester sur des rats, l’objet passe directement chez les humains. Une puce est insérée dans le cerveau de Dawson et le casque est déposé sur la tête des patients. En ressentant leur douleur, il est capable de les diagnostiquer presque instantanément : une avancée médicale majeure. Mais la série étant ce qu’elle est, le récit ne s’arrête pas là. Après avoir testé le casque au travers de plusieurs expériences, Dawson n’appréhende plus la douleur de la même façon et finit par en devenir accro. La souffrance des patients ne lui fait plus ressentir des sensations assez fortes, le sexe avec sa femme non plus. Il passe un temps à s’adonner à la mutilation de son propre corps avant de passer encore à l’étape supérieure. Ainsi, il sort de chez lui pour enfin mettre le casque sur la tête d’un sans-abri avant de le tuer. Proche de l’orgasme, il se fait finalement arrêter par la police et passe le reste de sa vie dans un état plus que végétatif. Dans ce premier récit, la folie et l’addiction dans lesquelles sombre Dawson évoquent aussi celle du personnage principal de American Psycho, Patrick Bateman. Si celui-ci ne se serait jamais mutilé, il éprouvait le même besoin de tuer pour se sentir vivant. Un besoin froid et irrépressible de faire du mal aux personnes aux conditions sociales faibles.

Dans ce même musée atrocement chaud, Haynes entame la deuxième histoire. Cette fois-ci, elle fait suite à la découverte d’un singe en peluche déposé sous verre. Quand Jack rencontre Sally, tous deux tombent rapidement amoureux et décident d’avoir un enfant. Seulement, Carrie meurt peu après. Pris dans la douleur, Jack accepte la proposition de Haynes. De cette façon, la conscience de Carrie est sauvegardée afin d’être insérée dans celle de Jack. Ainsi, il peut retrouver la femme qu’il aimait et elle peut vivre tout ce que lui ressent : un câlin avec son fils autant que le goût d’un aliment. Seulement, il finit par se rendre compte que la situation n’a pas que des avantages et loin de là. Comme Haynes l’explique il n’y a « pas d’intimité pour lui, pas de moyen d’agir pour elle ». Jack finit par retourner voir Haynes et lui demander une solution. Suite à quoi, il lui est possible de mettre sa femme en pause aussi longtemps qu’elle le veut, pour qu’elle n’est plus accès à ce qu’il voit, ce qu’il fait. Il finit par faire son deuil et rencontrer une femme qu’il apprécie. Si cela ne plait pas à Carrie, Jack n’est pas en reste non plus. Il va voir Haynes une dernière fois et fait le choix de transférer la conscience de sa femme dans un singe en peluche. Une fois dans la peluche, la conscience de Carrie n’a que deux possibilités d’interagir avec l’extérieur. « Monkey loves you » pour dire oui et « Monkey needs a hug ». S’en suit une situation grotesque durant laquelle la nouvelle compagne de Jack porte l’ours en peluche contre un mur pour le menacer dans les yeux jusqu’à entendre une de ces deux phrases qui signifiera que Carrie se comportera bien. Si le jouet était initialement destiné à l’enfant du couple, celui-ci finit par se lasser et ne plus l’emmener jouer avec lui. Suite à cette aventure, Haynes a récupéré l’objet -dans lequel la conscience de Carrie était toujours- pour l’exposer.

De plus en plus, l’épisode dessine les contours d’un homme machiavélique qui s’est essayé à des expériences sur les hommes afin de voir jusqu’à quel niveau il pouvait pousser les technologies. Sans douter d’une potentielle morale, il raconte jusqu’à posséder toutes les caractéristiques d’un docteur fou. Sans foi, ni loi, Haynes raconte comment il a définitivement brisé des vies au travers de technologies consacrées à la santé.

 Black Mirror S4E06 Black Museum

Quant au troisième récit, il n’est pas un flash-back mais se passe directement dans le musée. Enfin le clou du spectacle. Derrière un lourd rideau se cache une petite pièce vitrée qui héberge l’hologramme d’un homme au regard vide. Pour la dernière fois de l’épisode, Haynes se met à raconter. Condamné à mort, Clayton Leigh a accepté de faire numériser sa conscience afin que des fonds soient donnés à sa famille. Ce qu’il ne savait pas, c’est que Haynes et son musée lui feraient revivre éternellement l’expérience de sa mort. Situés du bon côté de la vitre, tous les clients du musée peuvent abaisser une manette semblable à celle qui active une chaise électrique. Durant 15 secondes, Leigh revit l’expérience de sa propre peine de mort. Si ce n’était pas suivant, l’expérience dérive vers un autre niveau. Si Haynes précise à tous ses clients qu’il ne faut pas abaisser la manette trop longtemps au risque de « griller » la conscience numérisée du prisonnier, il fait aussi parfois exceptions. Pour des hommes en mal d’ennui ou de sensations, et quelques billets, il accepte que ceux-ci dépassent le temps autorisé. Ainsi, la conscience de Leigh se détériore jusqu’à ce qu’il ressemble à un légume déposé derrière une vitre.

Allégorie d’une justice punitive, Black Museum touche là à des sujets tels que le racisme et les conditions carcérales, largement critiquées aux États-Unis. Largement méta, l’épisode nous laisse le plaisir d’un twist final qui pourtant ne résout rien. Nish est la fille de « l’attraction principale », soit l’homme prisonnier derrière la vitre. Si Haynes lui avait récemment dit que des gens s’étaient opposés à ce qu’il torture la conscience d’un homme, ils sont vite passés à une autre cause. Après avoir empoisonné l’homme avec de l’eau, elle transfère sa conscience à la place de celle de son père et abaisse définitivement la manette. Nish sort enfin du musée après nous avoir fait comprendre qu’elle avait coupé la climatisation et donner à Haynes aussi chaud.

Dernier twist qui surprend tout autant qu’il nous glace légèrement : la conscience de la mère de Nish est présente dans celle de sa fille. Tandis que le musée brûle, elle reprend la route sur une musique aux sonorités rétro.

Si la mère a pu être témoin de la vengeance dont sa fille est l’auteur, il n’en reste pas moins que toutes deux exploitent une technologie dont l’on a pu voir plus largement les conséquences.