Hang the DJ est le quatrième épisode de la quatrième saison de Black Mirror. L’histoire nous emmène dans un monde où les gens vivent dans un « système » délimité par un grand mur. Tous sont en quête de leur « partenaire ultime » qui doit leur être présenté par ce fameux système au bout d’un certain nombre de relations. Dans 99,8% des cas, le système trouvera le partenaire idéal. Chaque personne est guidée par un coach virtuel embarqué dans un objet ressemblant à un galet. Ce dernier les accompagne, leur donne des conseils, et présente une interface permettant de suivre sa mise en relation avec un partenaire.

Résumé … spoilers

D’un côté Frank, de l’autre Amy, se rencontrent pour la première fois via le système. Il s’agit également de leur toute première mise en relation depuis ce moyen, ils n’avaient jamais rencontré quelqu’un auparavant. Comme pour tous les autres couples, ils sont envoyés dans le même restaurant, puis s’en vont dans un petit cottage pour y passer la nuit. Au restaurant, ils apprendront combien de temps doit (et non va) durer leur relation. Pour eux, la date d’expiration est de douze heures seulement.
À la fois timides, et mignons, sans savoir ce qu’ils sont supposés faire « dans ces cas-là » ils passeront la nuit allongés sur le lit l’un à côté de l’autre, à discuter main dans la main.
C’est à ce moment que l’on saisit l’importance du système et de sa logique stérile, dans un échange entre Frank et Amy, lancé par cette dernière :
_ ça devait être galère avant que le système existe
_ comment ça ?
_ et bien … tout simplement parce que les gens étaient obligés de faire tout le boulot eux-mêmes. Ils devaient chercher avec qui ils voulaient être.
_ hm, c’est la paralysie du choix. Quand on a tellement d’options possibles qu’on ne sait pas laquelle choisir.
_ exact. Et le jour où ça ne collait plus entre les deux, ils devaient se débrouiller tout seuls pour rompre l’un avec l’autre.
_ ils devaient se débrouiller pour rompre ? La vache !
_ un vrai cauchemar !
_ c’est mieux quand tout est planifié.
_ c’est clair. Tout est tellement plus simple quand on sait dès le départ où on va … et en même temps c’est bizarre.
Le lendemain, ils se quittent en bon terme, légèrement déçu de ne pas avoir eu plus de temps à passer ensemble, mais le système, c’est le système.

S’en suit alors une série de rencontres banales, d’un an, 9 mois, plusieurs semaines, 36 heures, etc. Nos deux protagonistes sont confrontés à un enchaînement de partenaires sans lendemain et de relations sans intérêt, ou l’inverse. Un jour, le système fait se rencontrer à nouveau Frank et Amy. Blasés par leurs anciennes relations, confiants en leur première intuition d’avoir une belle histoire à vivre ensemble, ils décident de ne pas regarder leur date d’expiration.

Leur relation dure plusieurs semaines ou plusieurs mois, sans que l’on sache vraiment combien de temps s’est écoulé. Perturbé et trop curieux, Frank regardera un soir la date d’expiration de sa relation qui dégringolera de 5 ans, à 3 ans, 18 mois … « un seul partenaire à regardé ce qui a déréglé la date d’expiration » jusqu’à ce qu’il ne reste que 19 heures, 59 minutes, 59 secondes. Dans la journée Frank avouera tout à Amy qui ne voudra alors plus le revoir et … comme le système l’a dicté, leur relation prend fin.

S’en suit cette fois, pour tous les deux, un vrai enchaînement de rencontres, sans lendemain, sans amour, stériles, simplement dictées par le système. Certainement pendant plusieurs mois, jusqu’au jour où Amy et Frank se voient annoncer que l’application a trouvé leur partenaire ultime. Ils peuvent chacun choisir une dernière personne à voir avant de quitter le système. Logiquement ils se choisissent mutuellement et se retrouvent dans le même restaurant. Ils se retrouvent enfin et se déclarent leur flamme, décident de s’enfuir du système, et réalisent qu’ils sont véritablement dans une simulation. En escaladant le mur, ils se retrouvent dans un lieu vide et découvrent toutes les autres histoires des autres Amy et Frank.

La dernière scène nous montre les deux vrais Frank et Amy, dans la réalité, heureux, et se rencontrant dans un bar après s’être rencontré via une application qui leur annonce un score d’affinité de 99,8%. Le bar passe la musique de The Smiths – Panic, sur la fin : « hang the DJ »

Analyse.

Si le happy ending a du charme, pas besoin de vous faire un dessin. Cet épisode critique clairement l’omniprésence des applications de rencontre et la disparition du romantisme, du hasard naturel, au profit du hasard algorithmique.

Comme le souligne Fuzati dans le titre Préface : « Mieux vaut la mort que l’amour présenté par un algorithme. Les histoires se répètent et puis s’oublient comme une épidémie ».

Sentez-vous que nous sommes en plein dedans ? Tinder, Happn, Lovoo, AdopteUnMec, Meetic, EliteRencontre, Mektoube, Once, Grindr, eDarling. Là, nous sommes encore ce qui existe de moral, et correct. Mais il existe « Deserve Her : 3 rounds à gagner pour mériter la fille », « Bumble : les femmes au pouvoir », « Pure : 1 heure pour trouver un partenaire sexuel », « Wingman : laissez vos amis choisir vos rencontres » … La liste est très longue et j’omets, par décence, les services vous encourageant à tromper votre partenaire.

Comme à son habitude, Black Mirror nous pousse à réfléchir et avoir un oeil critique sur notre société, et cette fois-ci, ça fait du bien. L’amour sous algorithme, poussé par les matchs ou autres personnes à proximité, nous enferme dans une conception des rencontres finalement biaisée et artificielle. Comment de premiers sentiments pourraient s’opérer si les premiers échanges sont effectués dans une autre sphère ? Faut-il oublier « cette fille à la soirée d’hier », ou « ce mec qui à la table au fond du bar » ? Faut-il remplacer cela par cette fille aux photos trompeuses, et ce mec torse nu devant le miroir de sa salle de bain ? Ces rencontres doivent-elles gangrener tout le reste ? Comme le souligne Amy qui dit à Frank : « à force je me sens de plus en plus détachée, comme si j’étais pas vraiment là. (…) J’ai eu cette expérience extra corporelle, je suis littéralement sortie de mon corps. J’étais assise là, dans un coin, en train de me regarder b*iser avec ce mec. »

Il serait mal venu de ma part de critiquer moi aussi ces « systèmes » de rencontre, mais en tant que célibataire et utilisateur irrégulier, ces applications me donnent l’impression d’occulter tout ce qui pourrait subsister de naturel. Vous vous installez devant la TV, ou aux toilettes, vous swipez à gauche, swipez à droite, vous attendez. Vous discutez avec quelqu’un, puis vous vous rencontrez, puis le courant passe bien à l’instant T. Puis deux jours, une semaine, un mois, un an, plus tard, il ne s’agit pas de la bonne personne. Alors la rupture a lieu. Puis vous rentrez chez vous, vous vous installez devant la TV, ou aux toilettes, puis vous rencontrez quelqu’un d’autre. Les ruptures deviennent mécaniques, les systèmes d’approche par écran interposés aussi. On ne perçoit rien l’un de l’autre que le toucher du clavier sous nos doigts.

Si je dois prendre en compte mes dernières relations qui ont eu de l’importance, elles ont été à chaque fois le fruit d’un heureux hasard. En tout cas, elles n’ont pas été effectuées par écran interposé, assis dans mon canapé. Alors pourquoi continuer de s’enfermer dans ces systèmes ? La mécanique est addictive (comme pour les réseaux sociaux ou un jeu) de swiper vers la droite et de voir apparaître que l’on a un match. Super !
Mettant de l’eau dans mon vin, il faut tout de même avouer que ces systèmes aident certaines personnes à trouver la bonne personne. Certains se marient même … Alors pourquoi pas. Peut-être s’agit-il d’un mal nécessaire ?

Terminons par le choix du titre, et de la chanson à la fin. « Hang the DJ » ou « pendre le DJ » nous vient tout droit des Smiths qui ont composé cette chanson après qu’un DJ animant une émission sur BBC Radio 1 ait annoncé la catastrophe de Chernobyl, puis a passé un titre pop du groupe Wham!, l’air de rien. Choqués par le manque de sensibilité du DJ, ils ont écrit cette chanson qui répète 33 fois de pendre le DJ.
Et si le DJ était le « système » dont il est question dans l’épisode, ou les algorithmes qui nous poussent vers une disparition de notre sensibilité et de notre empathie naturelle ?