« Si c’est une drogue, alors quels en sont les effets secondaires ? C’est dans cette zone entre joie et embarras que Black Mirror se situe. Le ‘miroir noir’ du titre est celui que vous voyez sur chaque mur, sur chaque bureau et dans chaque main, un écran froid et brillant d’une télévision ou d’un smartphone ». C’est avec ces mots que le créateur de la série Charlie Brooker décrit notre (potentiel) addiction à la technologie. Si elle nous fait rire, nous gêne ou nous angoisse, la saga Black Mirror a surtout le mérite de faire réfléchir au rôle que nous attribuons aux technologies. Chaque semaine, nous résumerons et donnerons notre avis sur l’un des épisodes de la saison 4 de la série britannique. Attention, spoilers.

Nommé U.S.S. Callister, le premier épisode de la saison 4 n’hésite pas à nous attraper la main pour nous ramener une atmosphère angoissante que nous aurions presque pu oublier depuis le temps. En scène d’introduction, un passage qui tire ses influences directement chez Star Trek. Entre costumes flashy, phrases stéréotypées et vaisseau spatial, il y a ce capitaine qui mène son équipage à la baguette. La peau lisse et la mèche blonde, il finit par embrasser tour à tour toute son équipe féminine pour fêter le sauvetage de l’univers. Dur retour à la réalité quand l’on comprend que cela n’était qu’un jeu vidéo. Puis quand l’on s’aperçoit que ce capitaine si fier n’est autre que l’un des deux patrons d’une grosse société connue pour son jeu vidéo Infinity. Méprisé par son associé et ses collègues, il s’enferme régulièrement pour taper des lignes de codes sur son clavier et surtout, jouer à une version très personnelle du célèbre jeu vidéo.

Attention, spoilers.

Grâce à l’ADN récupérée sur les effets personnels de ses collègues, Robert Daily a réussi à en extraire leur conscience pour l’insérer à sa version virtuelle privée. Résultat, tous se retrouvent avec un double de leur conscience dans le jeu, sans qu’ils puissent se révolter contre leur créateur.

D’une durée de 76 minutes, U.S.S. Callister est le plus long des épisodes de la saison 4. Outre sa durée, il sait nous mettre mal à l’aise comme peu d’autres séries sont capables de le faire. C’est dans ce mélange de science-fiction et de réalité grise que le personnage de Nanette Cole fait son apparition. Si elle est l’une des rares à reconnaitre les compétences techniques de ce patron austère dans la vraie vie, lui a définitivement du mal à interagir. Pour ce faire, il finit par lui voler son ADN et l’intègre à bord de son vaisseau virtuel préféré, l’USS Callister. Quand elle tente de se révolter contre l’avis des autres membres du vaisseau, voilà que Daily la prive de son visage. Elle étouffe derrière cette peau tendue devant ses yeux, sa bouche et son nez.

Comme beaucoup d’épisodes de Black Mirror, celui-ci raconte comment condition humaine et dérive technologique s’entremêlent autour d’un personnage dont le destin se veut parfois cruel. Quand Cole débarque sur le vaisseau, les fils se déroulent peu à peu pour nous faire entrevoir la dure réalité de ces consciences coincées à bord de l’USS.

Là où nous voyons les personnages boire d’étranges alcools présents dans la salle principale du véhicule volant, nous comprenons rapidement que se cache là un autre problème. Sur l’USS, Robert Daily a supprimé tout ce qui peut physiquement caractériser un être humain. Privés de leurs organes génitaux respectifs, l’équipage se retrouve privé de tout désir primaire. Si les besoins physiologiques et sexuels du corps sont ce qui représente bassement notre humanité, il n’en est pas de même dans cette version très privée du jeu vidéo. Recréées et adaptées par Robert Daily, chacune des consciences copiées se retrouve figée dans le temps sans pouvoir vieillir ni même espérer un jour mourir. Cette vengeance virtuelle sur la vie en entreprise dépeint parfaitement la détresse relationnelle vécue par le patron d’Infinity. Qu’à cela ne tienne, si l’on ne reconnaît pas ses compétences IRL, il reprendra l’ascendant dans ce qu’il sait faire : le virtuel.

Là où l’épisode prend de l’ampleur, c’est autour de cet élément technologique qui permet d’extraire les consciences pour en faire des copies à la vie éternelle. Quand il vole le gobelet de café de Nanette, Daily en extrait son ADN pour la placer dans un petit cube transparent soigneusement posé aux côtés de son ordinateur. Une douzaine d’heures après, la conscience est copiée et le clone de Nanette Cole débarque sur l’USS tandis que la version originale continue sa vie réelle sans se douter de rien. L’épisode alterne entre ces moments dans l’entreprise, qui nous arracherait presque un peu d’empathie à l’égard de Daily, -clairement à l’origine du jeu vidéo et pourtant si absent pour ses collègues-, et dans le vaisseau. Sociable et grande gueule, l’associé Walton a quant à lui bâti sa gloire sur les capacités de développement de l’homme trop discret. Ce passif entre les deux hommes explique pourquoi Walton devient le souffre-douleur une fois dans l’espace. Quant à Nanette, elle est la représentation directe d’un protagoniste qui souhaite se révolter contre l’ordre (virtuel) établi. D’ailleurs, c’est elle réussit finalement à amener ces personnages vers une autre fin en mêlant les différents niveaux de réalité.

Comme beaucoup d’autres épisodes, celui-ci s’articule autour de l’éthique, question phare lorsque les technologies avancent aussi vite. Si un jour nous arrivons à traduire une conscience en des lignes de codes puis à la copier, qu’en sera-t-il de l’éthique ? À cette question se mêle aussi la problématique du consentement, que Daily ne fait qu’ignorer jusqu’à cela ne cause sa perte. En mélangeant les deux concepts comme le fait l’épisode, nous ne pouvons que nous questionner sur ces potentielles questions éthiques que la médecine et autres domaines devront affronter dans quelques années.

Finalement, USS Calister est un pur produit Black Mirror, puissant tant par son aboutissement visuel que par ses différentes réalités entremêlées. Si l’épisode n’a pas le poids du fatalisme de certains de ces prédécesseurs, il laisse tout de même une impression amère à ceux qui contemplent leur miroir noir bardé d’un générique.