Nous l’avons abordé dans la première partie de cet article, les levées de fonds au travers d’une ICO sont en train d’exploser un peu partout dans le monde et les arnaques ou projets douteux sont pléthoriques dans cette nouvelle économie que beaucoup jugent être une nouvelle bulle. Nous avons ainsi pu analyser la proximité qu’il peut exister entre une ICO et une IPO, les grandes étapes qui constituent une opération de levée sur la blockchain, ainsi que les « scams » ou fraudes en français qui peuvent se présenter aux investisseurs avides de bons plans pour gagner de l’argent rapidement. Nous avons aussi vu que sur ces ICO les risques de pertes en capital sont extrêmement élevés, c’est bien justement ce point qui alerte les régulateurs un peu partout dans le monde car il n’existe pour le moment aucun cadre concernant les Initial Coin Offering. Nous allons maintenant voir ce qu’il se passe du point de vue des régulateurs tout autour de la planète et nous verrons aussi comment il est possible de limiter les risques si vous souhaitez vous aventurer dans une ICO pour ne pas perdre tous vos fonds dans un projet exotique.

Le point de vue des régulateurs dans le monde

En parallèle de l’explosion du nombre de levées de fonds réalisées depuis le début de l’année au travers des ICO, les régulateurs de plusieurs pays se sont mis au travail pour définir les contours d’une règlementation locale, a minima, pour réduire les risques d’escroqueries et sécuriser les investisseurs. Tous ont des approches pour le moment très différentes, mais tous ont pris le sujet à bras le corps pour atterrir prochainement sur un cadre qui, on l’espère, sera standardisé à l’échelle internationale.

Commençons par le cas des Etats-Unis, la SEC (Securities and Exchange Commission) a été très prolixe depuis quelques années avec des publications de référence sur les investissements réalisés dans les crypto-monnaies et le Bitcoin en particulier aussi bien que dans la participation à une ICO en tant qu’investisseur privé ou professionnel. La SEC n’a pas créé pour le moment de nouvelle règlementation autour des crypto-monnaies et des ICO, elle a seulement posé les règles à retenir en termes de fiscalité concernant ces investissements. Elle a par ailleurs commencé à mettre son nez dans les ICO de certaines sociétés sur le sol américain et a ainsi mis en stand-by certaines de ces levées. On le voit, les Etats-Unis ont déjà pris les actions nécessaires pour alerter les investisseurs et tenter de contrôler les ICO de startups qui se réalisent sur son territoire, il y a fort à parier qu’ils soient assez prochainement en capacité de formuler un cadre réglementaire complet pour contrôler ces opérations.

La position de la banque centrale de Russie est assez proche de celle de la SEC, elle alerte le grand public sur les risques pris lors d’un investissement dans une ICO. Elle a par ailleurs confirmé que le Bitcoin ne serait pas légalisé, ni aucune autre crypto-monnaie, comme une alternative possible de paiement à la monnaie traditionnelle. De plus, le ministre adjoint aux finances russe a déclaré récemment que la Russie souhaitait ne rendre possible l’investissement dans une ICO qu’aux investisseurs autorisés, en particulier par le biais de la bourse de Moscou. Ce dernier point impliquerait donc de ne plus pouvoir réaliser une ICO n’importe comment en Russie et de ne plus pouvoir investir sans autorisation préalable.

Si on jette un œil du côté de la Chine, cela devient encore plus compliqué. On le sait depuis longtemps, le régime de Pékin dispose d’un contrôle important sur sa monnaie, y compris sur son cours vis-à-vis des autres monnaies dans le monde. Les transferts d’argent sont aussi extrêmement contrôlés, alors forcément l’émergence du Bitcoin et des autres crypto-monnaies comme une alternative au système monétaire local pose de sérieux problèmes au régime chinois. La People’s Bank of China vient ainsi de rendre illégal les ICO et est en train de fermer les plateformes d’échange chinoises sur lesquelles on peut acheter et vendre des crypto-monnaies. D’ailleurs, ces annonces ont fait chuter le cours du Bitcoin depuis quelques jours. Ainsi BTC China, une des plus importantes plateformes chinoises vient d’annoncer qu’elle allait suspendre ses activités pour les ressortissants chinois à partir du 30 septembre sur la base des instructions du gouvernement.

Le Canada quant à lui a publié fin août une notice à destination des investisseurs et des startups souhaitant monter une ICO pour leur préciser les règles du jeu. Comme dans de nombreux cas, par exemple aux États-Unis, la question n’est pas totalement traitée, le Canada considère un token ou un coin comme un titre, comme une action ou une obligation peuvent l’être. De ce fait, les transactions réalisées sur ces tokens / coins sont assujettis à la même règlementation que celle des titres. En ce qui concerne les ICO, les porteurs de projet doivent se déclarer auprès des autorités locales, ils doivent selon le cas fournir le même niveau de documentation que ce qui est demandé dans le cadre d’une introduction en bourse.

Singapour quant à elle adopte une approche enthousiaste et encourage aussi bien l’utilisation et l’investissement dans les crypto-monnaies autant qu’elle favorise la conception et la mise en œuvre d’ICO sur son territoire. Ainsi l’autorité monétaire de Singapour a par exemple créé un équivalent en token de sa monnaie sous le nom de « Project Ubin ». La volonté affichée de ce pays est clairement d’accueillir à bras ouverts les entreprises blockchain qui souhaiteraient se lancer dans une opération de levée de fonds sous forme d’ICO.

Pour finir, la France de son côté est encore bien en retard, au moins en termes de communication, sur le sujet des ICO et des crypto-monnaies. Rien n’est actuellement figé au niveau du régulateur ainsi que de l’administration fiscale sur ces deux sujets. La seule chose que l’on sait pour le moment c’est que l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) réfléchit au cadre à donner aux ICO mais sans avoir clairement donné de pistes. D’ailleurs les premières ICO françaises ont été réalisées hors de tout accompagnement de la part des autorités compétentes. La seule initiative connue actuellement est celle de la Direction Générale du Trésor qui a publié il y a quelques semaines une consultation publique pour solliciter de l’aide de la part de la communauté sur une vingtaine de grandes questions concernant l’opportunité d’utiliser la blockchain comme moyen de transmission de certains titres financiers.

On le voit, même si aucun état n’a totalement interdit les crypto-monnaies ou les ICO, même la Chine précise que sa position n’est que temporaire, quel que soit votre situation géographique, vous serez quoi qu’il arrive soumis à une règlementation aussi floue soit-elle en tant qu’investisseur ou porteur de projet. Donc soyez attentif lorsque vous voulez vous aventurer dans cet écosystème, vous serez toujours redevables d’une certaine législation et vous aurez toujours des comptes à rendre à un moment ou à un autre, autant tenter de vous mettre en conformité vis-à-vis des autorités de votre pays de résidence dès lors que vous investissez ou levez des fonds.

Comment se rassurer si vous voulez investir ?

Malgré tout ce que nous venons de voir, il se peut que vous ayez tout de même l’envie de vous aventurer à investir dans une ICO. Dans ce cas, il est important de respecter quelques bonnes pratiques pour ne pas vous faire arnaquer :

  1. Lisez le White Paper qui accompagne le projet, il y en a toujours un, il est le plus souvent en anglais et parfois traduit dans différentes langues (y compris le français).
    • Vous devez absolument comprendre l’ambition de l’entreprise et comprendre ce qu’est le projet qu’elle veut développer. Si tout ce qui est expliqué ressemble à du charabia pour vous, passez votre chemin. En revanche, si le projet vous parle, que vous en comprenez les tenants et aboutissants, c’est un premier signe pour passer à l’étape suivante.
    • Le White Paper doit aussi décrire la manière dont la startup va se servir des fonds levés, voire parfois proposer un business plan détaillé vous permettant de comprendre son besoin de lever les dizaines de millions de dollars qu’elle demande. Encore une fois, si cela vous semble farfelu ou totalement hors de propos, allez voir ailleurs, dans le cas contraire passez à l’étape suivante.
    • Vous devez pouvoir comprendre l’utilité des tokens qui vont être générés pendant l’opération. Plusieurs options,
      • soit il s’agit d’une nouvelle crypto-monnaie qui potentiellement amène de nouvelles fonctionnalités qui n’existeraient pas dans d’autres,
      • soit il s’agit d’une simple contrepartie au fait que vous ayez investi, parfois Il peut même y avoir une rémunération sous forme de dividendes de ces tokens en fonction des résultats de la startup,
      • soit il s’agit de tokens qui auront une utilité dans le fonctionnement du produit ou service de l’entreprise, un peu comme les tokens de Beyond the void ou DomRaider par exemple. Si tout cela est clair alors passez à l’étape suivante, si vous n’y comprenez rien, changez de projet.
    • Ensuite, les fonds levés ont une destination particulière, ce point doit être décrit, entre autres la manière dont ils vont être alloués aux investisseurs, aux porteurs du projet ainsi qu’aux advisors. De la même manière que doit être précisé le fait qu’il pourrait y avoir une émission de nouveaux tokens au-delà de l’ICO, car cela aura impact sur le cours du token à termes. Si par hasard ces points ne sont pas expliqués, c’est que ce n’est pas forcément le bon projet.
  2. Le Smart Contract est très important, c’est la concrétisation technique de ce qui est décrit dans le White Paper, mais il n’y en n’a pas toujours ! En effet, il existe plusieurs possibilités pour une startup de réceptionner les fonds demandés et de vous transférer la contrepartie en tokens.
    • Premier cas de figure, il existe bien un Smart Contract. Idéalement, il faut que le code de ce programme soit disponible pour que les investisseurs puissent en prendre connaissance et vérifier que son code de tokenisation correspond bien à ce qui est écrit dans le White Paper. Sauf que ce n’est pas toujours le cas. Il arrive dans ce cas que l’entreprise qui souhaite lever soit passée par un organisme tiers certificateur du code du Smart Contract, mais tout cela reste encore tout à fait discutable. Ainsi, certains organismes ne vont valider que le fait que le code ne contient pas de failles de sécurité, ce qui n’empêche en rien que ce code soit totalement différent de ce qui est décrit dans le White Paper. Si en revanche vous pouvez accéder au code, il est intéressant dans ce cas d’en prendre connaissance et de le challenger avec le contenu du White Paper, ou bien de trouver quelqu’un qui pourra le faire pour vous. Ensuite, techniquement lorsque vous enverrez vos fonds à destination de l’adresse du Smart Contract, soit celui-ci créera à la volée le nouveau token et vous l’enverra vers votre wallet préféré soit il les créera à la date de fin de l’ICO de manière totalement automatisée et vous les enverra vers le wallet que vous aurez spécifié.
    • Deuxième cas de figure, l’ICO se fait sur la base d’une adresse de deposit, dans ce cas la startup récolte les fonds pendant toute la durée de l’ICO, et vous n’avez pas d’autre moyen que de faire confiance à l’entreprise quant au fait qu’à la sortie de l’opération, celle-ci vous enverra bien les tokens qui vous sont dus en fonction du montant investit. Il n’y a pas forcément d’arnaque dans ce cas de figure, de nombreuses ICO se montent comme cela en respectant leur promesse, mais vous comprenez bien que pendant une durée parfois longue, de plusieurs jours à plusieurs semaines, vous ne verrez rien arriver, ce qui peut être assez anxiogène. Et parfois, il peut y avoir des loupés dans cette étape de distribution qui peuvent retarder encore plus la mise à disposition des tokens générés, c’est aussi très fréquent.
  3. Vérifiez si la startup a déjà des résultats intéressants à présenter avec son projet actuel avant même d’avoir levé de fonds. En effet, dans certains cas l’entreprise existe depuis un moment, elle a déjà des clients et réalise aussi un chiffre d’affaires permettant de démontrer la valeur du produit ou service vendu. Dans ce cas cela pourra, à juste titre, rassurer les investisseurs.
  4. Évaluez l’équipe qui porte le projet, elle est forcément critique, avant de vous lancer dans un investissement, car comme le dit l’adage « ce qui compte ce n’est pas d’avoir une bonne idée, c’est son exécution ». Pour rappel, les ICO portent régulièrement sur des projets qui n’en sont qu’à leurs tout débuts, voire qui n’existent pas encore. Donc, comprendre comment est composé l’équipe, qui est le CEO, qui sont les développeurs et quel est le track record de chacun des membres de l’entreprise est clé pour assurer la réussite et le sérieux d’un projet. De la même manière, une équipe de cinq personnes sera peut-être moins rassurante qu’une équipe de vingt personnes même si la quantité n’est pas forcément à mettre en regard avec la qualité de l’équipe.
  5. Intéressez-vous aux advisors qui sont généralement recrutés par la startup pour venir apporter du conseil au projet aussi  bien techniquement, juridiquement que fonctionnellement. L’enjeu est aussi de crédibiliser le projet vis-à-vis des investisseurs, d’autant plus lorsque l’équipe en charge du projet n’est pas connue ou ne dispose d’aucun track record.
  6. Rapprochez-vous des communautés d’investisseurs potentiels sur le projet. Le plus souvent un canal est créé par la startup sur Slack ou Telegram, ou tout autre forme de chat. Cela vous donne tout d’abord un accès aux membres de l’équipe projet, cela vous permet de leur poser des questions et de tester leur niveau de réactivité, vous verrez ainsi rapidement s’ils sont en clin à vous répondre de manière probante et rapide afin de vous accompagner dans votre investissement. Vous trouverez sur ces canaux de conversation d’autres personnes potentiellement intéressées par le projet et qui auront aussi un avis à partager sur celui-ci. Observez le niveau des conversations, soyez attentifs aux signaux faibles, certains seront très critiques quand d’autres seront enthousiastes, prenez le temps de comprendre les arguments des uns et des autres, cela pourra vous donner des informations utiles avant de vous lancer.
  7. Informez-vous globalement grâce à Google ou aux réseaux sociaux, menez votre enquête concernant les advisors, les membres de l’équipe projet, l’entreprise en tant que telle, bref allez vous rassurer sur toutes les parties prenantes du dispositif. L’information est disponible aujourd’hui en quantité, alors si par exemple vous ne trouvez rien à propos du CEO, ou à propos des advisors proposés, c’est qu’il y a anguille sous roche.

Vous le voyez, il est très facile de monter une ICO et tout aussi facile de falsifier les informations qui vous sont présentées, si en plus vous ajoutez une bonne communication et un excellent marketing, vous avez les clés d’une arnaque potentielle. Il s’agit donc de prendre les précautions nécessaires pour sécuriser votre investissement, aussi bien que vous le feriez en investissant en bourse ou sur n’importe quel autre marché financier.

Conclusion

On l’a vu, les ICO sont porteuses de nouvelles opportunités pour des entreprises sérieuses qui souhaitent lever des fonds pour se développer rapidement et qui ne pourraient peut-être sûrement pas le faire par les schémas traditionnels (banques, VC, business angels…). Ce qu’il faut noter, c’est que ce sont aussi des opérations dont le niveau de risque pour les investisseurs est extrêmement élevé et dont l’issue est totalement incertaine. Cela attire ainsi un nombre important de prédateurs prêts à tout pour arnaquer les investisseurs et récolter un maximum d’argent en un minimum de temps. Alors à la question « Faut-il réguler les ICO ? », la réponse est bien évidemment oui, et d’ailleurs nous l’avons vu de manière générale un nombre important de régulateurs dans le monde (Chine, Russie, Etats-Unis ou encore la France et le Royaume-Unis) cherchent à définir maintenant rapidement un cadre règlementaire et juridique pour limiter au maximum le risque, pour les investisseurs.