Cliquer pour vibrer. C’est ce que recherche 28 258 personnes chaque seconde dans le monde en se connectant à un site pornographique. Alors qu’avant le porno était un péché inavouable avec tout le rituel qui impliquait – à savoir pour les jeunes générations qui n’ont pas connu cette époque, payer pour voir un film, aller le chercher dans un sex shop crado, s’enfermer dans sa chambre, avoir le mouchoir qui colle aux doigts et tutti cuanti – on consomme maintenant le X comme sur Youtube. Quinze minutes de connexion mobile sur navigateur privé, matage de 3 ou 4 vidéos de différentes catégories sur un site de streaming gratuit et c’est plié.

Le porno s’est intégré dans le paysage internet (12% des sites dans le monde étant des sites pornos) et son visionnage est devenu acceptable, voir discutable. Même pour les femmes, qui représentent 1/3 des consommateurs.

Mais grâce au digital, alors que l’industrie du X devient low cost, de nouvelles formes de discours sexuels émergent, plus réalistes, plus éducatifs, plus féministes : tutoriels, sextoys connectés, sensibilisation au viol, fan fictions, communautés… Nous étions invité à la conférence Digisex qui est revenu sur ce développement d’outils et de moyens de communication sur cette tendance plus que chaude. A travers plusieurs articles thématiques, nous verrons comment le digital peut être un outil d’émancipation de la sexualité.

La banalisation du X avec les outils digitaux

Les sites de stream explosent, la production X devient low cost

Environ 35% du contenu téléchargés en ligne serait de nature pornographique. 100 milliards de films pornos sont visionnés chaque année. En France, le marché du film X représenterait 200 millions d’euros par an. Les utilisateurs sont surtout des hommes, mais 83% des femmes ont également déjà vu un film porno (mais ⅔ accèdent à un film X par l’aide d’un tiers). Autre chiffre plutôt drôle de Golden Moustache : 1 homme sur 5 avoue regarder du porno au bureau, exactement la même proportion des hommes qui travaillent seuls dans leur bureau et pas en open-space. Bande de coquins.

Mais même si le porno est de plus en plus vu, le marché du X a été bouleversé par l’arrivée des sites de streaming pornos appelés “tubes” qui cumulent plus de trafic que Netflix, Amazon et Twitter réunis. Comme l’explique lors de la conférence, Ovidie, ancienne star du X et réalisatrice du documentaire Pornocratie (que je vous recommande vivement !), le marché du X s’est lui aussi fait uberisé, dégradant au passage les conditions de travail des productions et le salaire des acteurs.

Etant donné que les sites de streaming mettent en ligne des milliers de vidéos accessibles gratuitement, les cachets ont diminué de moitié en dix ans et le nombre de contrats a été divisé par deux car 70% de la production a disparu.

Mais cette surconsommation gratuite touche les femmes particulièrement : “Une majorité des actrices doivent compléter leurs revenus en faisant de l’escorting. Mais également, elles font face à des demandes de pratiques de plus en plus hard. Enfin, si comme moi elles décident de prendre leurs retraites, elles n’ont pas de droit à l’oubli. J’ai retrouvé sur des sites de stream des films que j’avais tourné il y a plus de 15 ans. Le contrôle de l’image est impossible.”

“La plupart de ces sites appartiennent à des multinationales qui contrôlent 95% de la consommation mondiale de vidéos X. Celles-ci sont difficilement traçables car abritées par des paradis fiscaux” explique Ovidie. “Ces sites se foutent de savoir si vous avez plus de 18 ans, ils sont seulement attirés par la montée du trafic en postant des vidéos toujours plus trash et par l’appât du gain via les ads.”

Autre sujet de conversation, la série Hot Girls Wanted produite par Netflix. Apparemment, une perte de temps qui véhicule bien des clichés pour les intervenantes de la conférence . Et encore un non respect des droits d’auteurs jusque dans la créa de l’affiche, piquée directement de Pornocratie et dénoncée par la réalisatrice.

Les objets connectés arrivent dans votre culotte

Vous vivez une histoire d’amour longue distance ? Vous aimez contrôler votre partenaire avec un sextoy qui se trouve dans sa culotte ou son caleçon via une application ?

Pas de problème, il y a des objets connectés pour tout ça ! Véritable aubaine pour tous les acteurs du X, des marques comme Marc Dorcel se sont emparés de ces sextoys connectés. Le géant du X a créé entre autre Yasmine, un sextoy qui prend la forme de vagin de l’une de ses plus grandes stars. Parmis des centaines d’inventions, on peut citer également Sexfit, une sorte de bracelet phalique Withings qui permet de mesurer les performances sexuelles. Vous pouvez écouter de la musique ou lire un livre avec plaisir avec des petits compagnons discrets reliés à votre playlist. Et bien sûr vous pouvez profiter d’un moment à deux avec votre partenaire à distance à l’aide de la  visioconférence. Un marché du sextoy connecté ou non connecté qui s’élève à 22 milliards de dollars dans le monde et qui est directement relié à l’industrie du X. Ces sextoys sont utilisés occasionnellement par 1 française sur 2 qui ont déjà testé un sextoy selon l’Ifop. Et bien souvent relié à tort à la masturbation, ces objets sont plus souvent utilisés à deux (45%) qu’en solo (29%).

Tout le monde peut être acteur de ses désirs

Merci qui ? Ce n’est pas pour rien que l’une des catégories les plus populaires sur les tubes soit “amateur”. Comme le montre la croissance du site de production Jacquie et Michel, les amateurs (joli) de vidéos pornos préfèrent maintenant des films avec des femmes que l’on pourrait croiser dans la vraie vie, et non une poupée plastique. Côté production, c’est tout le monde qui peut devenir acteur de ses vidéos amateurs et les poster en ligne. Pire, certains hommes filment à leur insu des aventures d’un soir qui peuvent après se retrouver sur YouPorn. Glaçant. Autre tendance, l’utilisation de la sexcam à la mode auprès des femmes, mais pas seulement pour boucler les fins de mois. Pour Carmina, rédactrice de Tag Parfait, magazine dédié à la culture porn, le fait de s’exhiber via sexcam lui a permis de prendre confiance en elle et en son pouvoir de séduction. “C’est une manière d’érotiser son propre corps. Mais les camgirls sont aussi maîtresses de leur désir : elles peuvent couper la connexion à tout moment, nouent des relations avec leur communauté et ne font que ce dont elles ont envie”.

De nouvelles formes de pornos, plus féministes et artistiques, voient également le jour. On passe d’un porno XY produit par des hommes à du porno XX, pensé par les femmes. Sarah De Vicomte, invitée à la table ronde Digisex, est réalisatrice de films érotiques lesbiens, qui ont pour vocation de casser les stéréotypes du sexe lesbien (non, nous n’utilisons pas forcément des godes ceintures) et de montrer les sentiments avant le reste et tutti frotti.

Anoushka, réalisatrice de films pornographiques qui ne trouvait pas son compte dans le porno actuel, trop machiste, vient de lancer son site, un condensé de sexe qui se veut féministe. Elle rejoint Ovidie dans sa réalisation de porno dits éthiques.

L’éthique dans le porno, c’est vouloir redonner du sens à l’industrie du X. Ne plus chosifier les femmes, privilégier des scénarios plus réalistes, faire du porno qui ne prend pas les femmes pour des bouts de viande ou les hommes pour des gros beaufs. – Anoushka.

Mais ce réalisme et cette recherche d’éthique a un prix. La plupart de ces sites indépendants qui créent des pornos d’un genre nouveaux sont payants, soit à l’abonnement soit au visionnage. Mais comme quand on choisit de manger du bio plutôt que de l’industriel, c’est pour la bonne cause. Autant jouir sainement dans le respect de chacun ! C’est ce que prône à l’unisson les intervenantes de la conférence, qui ont invité toute l’assistance à choisir dans leur consommation porno des contenus alternatifs payants plutôt que des tubes !

La culture porn n’est donc pas morte, et malgré son uberisation, elle évolue vers plus de créativité, moins de sexisme et plus de mixité et d’éthique. Une très bonne nouvelle car le porno a aussi un devoir d’éducation, quand on sait que l’âge moyen de la première visite sur un site porno est de 14 ans et 5 mois. Mais bien heureusement, le porno n’est plus le seul discours sexuel sur la toile. La semaine prochaine, on vous dit tout sur le développement des tutos et autres formes d’éducation sexuelle, mais aussi sur la croissance des communautés grâce au digital.