L’entreprise Facebook est le leader incontestable du web social avec quatre réseaux à plus d’un demi-milliard d’utilisateurs, Facebook, WhatsApp, Messenger et Instagram, une superbe réussite en bourse et d’ambitieux chantiers d’innovation… mais en matière de modèle de développement c’est aussi un sacré « follower ». Quoi de commun en effet entre la récente migration forcée de tous les utilisateurs Facebook vers Messenger, l’intégration des appels vidéo sur cette plateforme de messagerie, le développement du paiement via les chatbots, l’ouverture d’une version Messenger business, etc. ? Tout cela est du « me too » de WeChat, la super-app aux 800 millions d’utilisateurs du géant Tencent qui domine aujourd’hui les usages dans un Empire du milieu ayant pris le lead mondial en matière de mobile. Le big boss de Facebook Mark Zuckerberg suit de près ce qui se fait en Chine, sa femme Priscilla est Chinoise et lui-même parle mandarin, il a vu avant les autres quel intérêt il y avait à emboiter le pas de WeChat pour transformer son offre en plateforme de services et démultiplier la puissance commerciale de son groupe en bouleversant au passage nos pratiques connectées.

Tout internet dans une app.

Au départ WeChat est une application mobile de messagerie aux fonctionnalités proches de celles de WhatsApp ou Messenger permettant de communiquer avec son cercle d’amis par le texte, la voix ou l’image. Mais elle présente surtout comme particularités :
– d’intégrer un système de paiement, WeChat Pay, qui permet d’effectuer des règlements directement, sans passer par une application ou des fonctionnalités tierces ;
– et d’agréger tout un éco-système de services qui permettent de réaliser une multitude d’actions de la vie courante sans jamais quitter l’application mère.
WeChat donne ainsi à chacun la possibilité de :
– socialiser : suivre ses amis, des célébrités, des marques, partager des moments de vie ou des contenus sur ses « moments » ;
– acheter n’importe quel produit en mode e-commerce ;
– se servir efficacement de son argent : régler des factures, transférer des devises (par exemple des enveloppes rouges virtuelles à l’occasion du nouvel an chinois), réaliser des achats groupés, effectuer des règlements à plusieurs (partager la note au restaurant), faire des paris, gérer son budget ;
– accéder à des services du quotidien : commander un taxi, réserver des billets d’avion ou tickets de cinéma, prendre rendez-vous chez le médecin, faire des rencontres, accéder à des contenus supplémentaires quand on visite une expo ou un musée, jouer seul ou à plusieurs ;
– et dans une version « entreprise » réaliser tout ce que vous faites aujourd’hui sur votre intranet.. ou pas : poser ses vacances, remplir ses notes de frais, suivre l’avancement d’un projet, échanger des cartes de visites virtuelles, etc.
… en quelque sorte tout à la fois les fonctions de Facebook, Uber, Tinder, ApplePay, Amazon, Skype, Slack, etc. en un seul package. De quoi passer des journées complètes en effectuant toutes les actions du quotidien sans quitter l’application ni sortir son porte-monnaie.

Tout le social devient commerce.

En réunissant (presque) toute l’expérience utilisateur en une seule application, WeChat dépasse les modèles existants et ouvre la voie d’un internet dans lequel on navigue, on communique, on achète, on travaille via une sorte de méga portail fluide et surpuissant. Les usages de l’utilisateur gagnent en simplicité, en efficacité, en multiplication des possibilités. Les annonceurs perdent en visibilité directe (impressions) par rapport à des plateformes publiques comme Facebook ou Twitter, mais gagnent en intimité avec le consommateur et surtout en levier d’activation commerciale (transformation).
Pour la première fois le social et le commerce s’imbriquent complètement. En offrant la possibilité de déclencher un achat directement à partir d’un contenu de conversation – par exemple en réservant une table d’un clic sur la mention ou la géolocalisation d’un restaurant évoqué par un ami dans ses « moments » – WeChat pousse le concept de viralité dans un nouveau champ qui ne se limite plus seulement aux contenus (le commentaire sur le restaurant) mais s’étend au commerce associé (la réservation). Le site de e-commerce TaoBao nous montre la prochaine étape : il y est possible de réaliser des achats par reconnaissance visuelle, il suffit de prendre en photo l’objet de son désir – le t-shirt porté par un ami, une voiture dans la rue – pour que Taobao liste instantanément tous les vendeurs proposant le produit en question. Appliqué demain aux contenus partagés dans WeChat – les photos d’amis ou de célébrités par exemple – cela transforme chaque conversation en opportunité commerciale, le tout boosté par le fait que n’importe quel individu peut désormais ouvrir son propre WeChat Shop. Tout contenu devient cliquable et achetable, le commerce s’insère dans le social et devient véritablement viral. Les annonceurs ont tout intérêt à être présents sur l’appli, à développer des communautés autour de leurs contenus… et le business suivra.

Une absence de limites.

Adopté par 700 millions de Chinois et par toute la population urbaine, éduquée, à fort pouvoir d’achat du pays, WeChat accélère la transformation de la Chine en société de services et articule celle-ci autour du mobile en développant de nouveaux modes de consommation basés sur le nomadisme, le partage et l’instantanéité. On peut parier que ce type de plateforme possède les armes pour contribuer à faire franchir le pas de la consommation aux quelques 2 à 4 milliards d’humains qui vivent dans les grands marchés émergents “mobile first, mobile only” comme l’Inde, l’Indonésie ou le Nigéria et sautent directement de l’absence d’équipement téléphonique et de carte bancaire à l’usage du smartphone connecté et du paiement en ligne. On comprend que Facebook souhaite s’aligner au plus vite sur cette capacité à embarquer le plus grand nombre.
Mais en concentrant tous les usages WeChat concentre aussi toutes les données : pratiques sociales, habitudes d’informations, comportements d’achats… tout est enregistré et stocké quelque part dans les serveurs de Tencent. Il y a là un outil de rêve pour les marketeurs qui pose un problème de protection des consommateurs citoyens, en particulier dans un pays dont les autorités privilégient clairement le contrôle sur le respect de la vie privée. Si les acteurs occidentaux emboitent le pas, il y a de sérieuses questions à se poser aussi et nous risquons d’aller vers une emprise encore plus forte des grands acteurs de la web economy sur notre vie.

Beaucoup de choses se jouent donc autour du développement du modèle porté par WeChat et son déploiement de par le monde. Elles font de WeChat un passage obligé pour accéder au marché chinois et en même temps un terrain d’entrainement et une source d’inspiration pour les marques occidentales présentes en Chine qui se préparent à voir le modèle du social content driven commerce déferler sur leurs marchés d’origine.