Alors que les ventes de la Wii U, sa dernière console de salon, confinent à la mini-catastrophe, Nintendo semble plus que jamais prête à rebondir et à retrouver sa place sur le podium des constructeurs les mieux valorisés au monde. En attendant la sortie de la mystérieuse console NX en mars 2017, la firme japonaise a choisi de consacrer une partie de ses forces aux smartphones – une voie qu’elle s’était jusque là refusée à emprunter.

Quand Mario joue les plombiers sur smartphone

La stratégie commerciale adoptée par Nintendo est en train de changer – et ce n’est pas une question, mais un fait établi. Le développeur de jeux vidéo japonais, inventeur de deux des héros digitaux les plus célèbres de tous les temps (Mario le plombier moustachu et Link, sorte d’elfe à tunique verte toujours prompt à sauver la princesse Zelda), est en train d’explorer les innombrables possibilités offertes par l’expansion de ses licences phares sur des terminaux jusque là ignorés de lui : les smartphones.

L’entreprise a profité de la keynote d’Apple, le 7 septembre dernier, pour annoncer l’arrivée de l’infatigable Mario sur l’iPhone, via un jeu développé spécialement pour l’occasion : Super Mario Run. C’est une première pour deux raisons : d’abord parce que les licences de Nintendo étaient auparavant réservées aux consoles maison (sauf exceptions très rares, comme les – très mauvais – jeux issus de l’univers Zelda sur la CD-i de Philips). Ensuite, parce que Nintendo a toujours compté, jusque là, sur ses propres machines portables pour damner le pion aux envahissants téléphones portables.

Or, comme le reconnaît Shigeru Miyamoto, créateur desdits Mario et Link, et mascotte lui-même à certains égards : ça, c’était avant. Avant que les smartphones ne remplacement les avatars de la Game Boy dans les mains des joueurs nomades, et qu’ils finissent même par embarquer dans le monde du jeu vidéo tout un panel de nouveaux gamers devenus accrocs à Candy Crush. En d’autres termes, le smartphone a mené à son terme un projet de démocratisation du jeu vidéo initié par la firme à la moustache avec la Nintendo DS puis avec la Wii : faire en sorte que papa, maman, les enfants et les grands-parents prennent tous les manettes.

Une stratégie construite brique par brique

Tout cela n’a rien d’un hasard. L’atterrissage de Nintendo sur smartphones ne fait qu’entériner une stratégie commerciale développée par la firme depuis des années, et qui consiste à attirer le grand public vers le jeu vidéo en proposant des interactions innovantes – via le stylet, la Wiimote puis la tablette. Une nouvelle étape devrait vraisemblablement être franchie avec la NX, même si on ignore encore sa nature exacte.

Nintendo a semble-t-il tiré les leçons de l’échec retentissant de la Wii U (13 millions d’exemplaires écoulés dans le monde, contre dix fois plus pour la Wii ; en comparaison, Sony a déjà vendu 40 millions de sa PS4) et relatif de la portable 3DS (59 millions, contre 154 millions d’unités de la DS). Pendant ce temps, entre 2007 et aujourd’hui, l’entreprise fondée par les deux Steve écoulait tranquillement son milliard d’iPhone. Raison pour laquelle, dès 2012, l’ancien patron de Nintendo, feu Satoru Iwata, faisait très judicieusement du smartphone l’ennemi numéro un des consoles de la firme, plutôt que le concurrent Sony.

Nintendo et l’effet « Pokémonétisation »

Mais cette brusque accélération n’aurait sans doute pas eu lieu sans la vague – le tsunami – Pokémon GO. Le jeu événement développé par Niantic, inspiré d’une célèbre licence Nintendo, a tout raflé sur son passage, battant au mois de juillet, seulement 10 jours après son lancement, le record de 21 millions d’utilisateurs actifs détenu par Candy Crush.

Bien que le jeu en réalité augmentée n’appartienne pas en propre à Nintendo – Niantic est une émanation de Google/Alphabet dans laquelle la firme japonaise détient des parts –, la maison-mère de Mario en touchera néanmoins les bénéfices indirectement, puisque la franchise, elle, est sa propriété. On évoque une somme de 500 millions de dollars par an, de quoi refaire une trésorerie bien abîmée par la Wii U. Nintendo n’est pas la seule à compter tirer profit de ce succès : au cours de la même keynote, Apple a annoncé l’intégration future du jeu sur les Apple Watch (à lire dans ce billet).

La monétisation de Pokémon GO passe par la possibilité d’acheter des jetons internes au jeu (une centaine pour 1 dollar). Super Mario Run sera, elle, une application payante, Nintendo faisant le pari d’être suivie dans cette voie par ses joueurs les plus fidèles, qui n’ont pas l’intention de prendre les commandes de leur héros favori sans y mettre un peu de leur poche. En parallèle de ce modèle économique, la firme en développe un autre, basé sur celui de Pokémon GO : prévues pour mars 2017 comme la NX, les transpositions sur smartphones de deux autres licences phares de Nintendo, Animal Crossing et Fire Emblem, seront des free-to-play.

Super Mario Run devrait débarquer en décembre sur iPhone exclusivement. Nous verrons bien alors si les gamers seront prêts à délaisser quelques instants leur chasse aux Pokémon pour se remettre dans les chaussures du plus célèbre plombier de tous les temps.