Au départ, Netflix, c’est un « simple » service de vidéo à la demande, qui se différencie des autres par un algorithme de recommandation ultra-perfectionné. Mais au fil du temps, la plateforme américaine s’est imposée comme un acteur majeur et indispensable de la production de fictions télévisées, notamment avec le lancement de ses propres séries à succès. Jusqu’à devenir un objet insaisissable qui n’est plus vraiment une entreprise technologique, ni tout à fait encore une société de production à part entière. Alors, Netflix, c’est quoi ?

Netflix, pourvoyeur en bonnes soirées TV

En 1997, Reed Hastings vient de revendre sa société Pure Software ; il a 75 millions de dollars en poche et une ambition dévorante. Avec l’aide du développeur Marc Randolph, il lance Netflix, prolongement, sur un Internet encore balbutiant, du système de location de films cher aux vidéoclubs. 3 ans plus tard, le site propose à ses abonnés de recevoir un DVD à renvoyer une fois qu’il a été visionné, et le succès est au rendez-vous. Jusque là, c’est encore très simple.

Les choses changent lorsque Hastings, avec le flair qui le caractérise, transforme son service de location postal en plateforme de VOD (video on demand), se coltinant au passage les refus successifs de la plupart des gros studios de cinéma américains qui souffrent du piratage numérique naissant, et se méfient de tout ce qui commence ou termine par le mot « web ». Après avoir déployé quelques talents de conviction, Hastings permet à Netflix de proposer, dès 2009, un catalogue de 100 000 films pour 12 millions d’abonnés. À peine 4 ans ont passé qu’ils sont devenus 40 millions, disséminés dans une quarantaine de pays.

Mais succès ou non, Netflix n’est jamais qu’un SVOD (service de vidéo à la demande) parmi d’autres. Certes, son petit « plus » réside dans un algorithme de recommandation aussi pointu qu’une tête d’épingle, qui propose automatiquement des séries et des films en fonction des goûts exprimés par les abonnés. Un tout petit « plus » qui occupe aujourd’hui la bagatelle de 900 ingénieurs maison, et qui reste au cœur de la proposition de valeur du service Netflix (lisez cet article pour aller dans le détail). À ce stade, l’entreprise technologique prouve sa valeur dans la maîtrise de la technologie, du produit et du marketing. Mais c’est tout.

Une production « originale »

Quand Hastings se lance dans le jeu de la production originale de contenus, il le fait en pensant « data » et « marketing ». Le calcul est simple : David Fincher + Kevin Spacey + série télévisée politique = bingo ! L’équation s’écrit en 2011. 5 ans et 4 saisons plus tard, House of Cards, la première série maison entièrement produite par Netflix, attire tous les regards et les compliments. Il y a plus, dans cette réussite, qu’une intelligence de la donnée : il y a cette capacité de l’entrepreneur de génie à lire dans l’esprit des gens pour y dégoter leurs envies et leurs attentes.

Mieux encore : non content de révolutionner le mode de production télévisuel, Hastings change la façon de regarder des séries. Netflix propose ses créations maison d’un bloc, avec tous les épisodes disponibles immédiatement, à regarder à son rythme, sans avoir besoin d’attendre la semaine suivante. Il invente, au passage, le principe du « binge watching » : ce comportement qui consiste à s’abreuver d’une série TV jusqu’à plus soif.

La suite, tout le monde la connaît : Orange is the New Black après House of Cards, puis des dizaines de productions suivent, d’abord dans le domaine de la série TV, puis dans celui du documentaire (Virunga, Mission Blue, Print the Legend) et même du film de fiction (Beasts of No Nation). Netflix ne propose pas seulement des produits de bonne facture : le site enquille les récompenses, à commencer par des Emmy Awards pour la série de David Fincher et des nominations à n’en plus savoir que faire aux Golden Globes.

On peut discuter longuement de la notion d’originalité dans la démarche de Netflix, au sens où la plateforme englobe, sous cette appellation, aussi bien des productions véritablement innovantes que des remakes (House of Cards s’inspire largement d’une série anglaise lancée en 1990) et des séries diffusées sous licence (ainsi de Orange is the New Black, produite par Lionsgate Television). Il n’empêche que le pari est réussi, et que ces succès permettent à Netflix de prendre de plus en plus de risques dans ses choix de production et de diffusion.

De la FinTech à la production : la bataille d’Hastings

Pour autant, peut-on considérer que Netflix a changé de catégorie pour passer définitivement dans celle de « société de production », digne de concurrencer les plus grosses chaînes de télévision (au hasard : HBO et la déferlante Game of Thrones) et jusqu’aux pontes de l’industrie du cinéma ? On serait tenté de répondre par l’affirmative. Et de s’appuyer, pour ce faire, sur deux exemples concrets.

  1. La guerre des super-héros.

Pour se convaincre du nouveau statut acquis par l’ancienne plateforme de location de DVD, il suffit de comparer un instant deux séries produites en associations avec Marvel, Daredevil et Jessica Jones, et les aventures les plus récentes des super-héros (capés ou non) de la même firme sur grand écran : Netflix se paie le luxe d’accorder les avis du public et de la critique sur deux productions brillantes, qui assument complètement leur noirceur et leur marginalité, tandis que les blockbusters à base d’Avengers perdent du terrain au fur et à mesure (qualitativement, du moins).

  1. Un vivier de talents novateurs.

En sus, Netflix pourrait bien, demain, devenir la United Artists du XXI siècle : un studio de production qui offre une liberté d’action inédite à ses créateurs, accueillant en son sein des projets qui ne pourraient pas voir le jour ailleurs. Prenez le dernier succès (critique et public, une fois encore) de la firme, Stranger Things, diffusé cet été : ses créateurs, les frères Duffer, ont raconté à plusieurs reprises qu’ils ont essuyé des refus de toutes les chaînes de télévision et des studios majeurs de production pour leur projet de série TV, avant d’être financés par Netflix. Dans une industrie où les blockbusters hollywoodiens sans cervelles tendent à devenir la norme, en opposition à des productions minuscules qui peinent à accéder aux salles, le système de production Netflix pourrait bien devenir l’Eldorado des cinéastes novices ou depuis longtemps placés sur liste noire.

La prochaine étape pourrait bien nous donner raison : Netflix aurait attribué un budget de 5 milliards de dollars à son segment « production » pour l’année 2016 (à lire ici). Pour comparaison, le budget d’un gros film comme Star Trek Beyond tourne autour de 200 millions de dollars… Oui, on parle donc d’une somme énorme. Et il n’est pas impossible que, dans un avenir proche, la plateforme décide d’augmenter la dose de fictions originales dans son catalogue en rachetant des sociétés de production… On le voit, la bataille d’Hastings ne fait que commencer.