Pas de surprise.

Le doute n’était pas permis à la vue des annonces faites ces douze derniers mois. Déploiement d’Amazon Fresh, extension du Same Day Delivery, lancement de marques propres, ouverture d’un drive à Seattle : le marché de l’alimentaire, y compris européen, tente beaucoup le patron d’Amazon. L’ouverture ces derniers jours d’un univers épicerie et vins sur le site français n’est donc pas une surprise. Elle semble même logique compte tenu du potentiel de ce secteur qui amorce tout juste sa transition numérique. En France, seuls 3% de l’ensemble des ventes alimentaires se font en ligne, 5% si l’on se borne à celles de la Grande Distribution. Ces proportions pourraient plus que tripler d’ici 2020. La perspective de croissance a de quoi aiguiser les appétits.

Une première phase expérimentale.

La nature de l’offre proposée par amazon.fr, profonde de 34000 références, mais omettant les produits frais, et l’ergonomie du site négligeant les spécificités des courses alimentaires laissent comprendre qu’il s’agit ici pour le géant de Seattle d’une première phase expérimentale. En s’appuyant sur les outils existants et sur les principes de longue traine qui le caractérisent, Amazon teste le marché pour un investissement que l’on peut supposer limité. Les coûts pour le moment essentiellement variables et liés à la logistique ne pèseront que si les commandes sont au rendez-vous.
Si l’offre et l’ergonomie ne sont pas au niveau des meilleurs distributeurs français, ce serait une erreur de croire qu’Amazon n’en a pas conscience et qu’il ne saurait pas rectifier ces deux points. Après tout, qui est plus expert qu’Amazon en gestion de catalogue et en expérience en ligne. Ceci mis de coté, restent deux problématiques plus majeures pour le pure player s’il souhaite devenir le magasin principal de ses clients.

Des volumes et donc des prix.

En France, 4 grands ensembles (ITM-groupe Casino, Carrefour-Cora, Auchan-Système U et E. Leclerc) cumulent 90% des achats réalisés auprès des industriels. Naturellement, cette massification permet d’obtenir des remises importantes et de les répercuter auprès des consommateurs. Pour être au niveau des meilleurs, Amazon devra investir massivement dans ses prix jusqu’à ce que ses volumes de vente lui permettent de rééquilibrer le rapport de force avec les industriels et les 4 centrales de distributeurs. La puissance d’achat est la première barrière à l’entrée.

De la proximité.

La France compte aujourd’hui plus de 12000 supers et hypermarchés, 3550 drives et un réseau dense de magasins de proximité. Ce maillage hors norme a jusqu’ici marginalisé la livraison à domicile, trop couteuse sauf sur quelques zones à forte densité, et peu flexible en termes d’horaires pour les clients. Le e-commerce alimentaire français réalise donc 90% de son résultat en drive, ce qui fait de la France une exception mondiale. Cette présence physique constitue la seconde barrière à l’entrée. Amazon aura fort à faire en optimisation de tournée et en fidélisation de sa clientèle pour passer outre, d’autant que les distributeurs traditionnels continuent leurs efforts de saturation des zones et sont également inventifs pour ce qui est de gérer le dernier kilomètre.

Un changement en prépare un autre ?

Le renforcement récent des distributeurs sur l’amont de la chaine de valeur, par leur capacité d’achat, et leur proximité physique en aval constituent les deux principaux challenges pour ce nouvel entrant. Les investissements à consentir sont importants et les marges faibles. Jeff Bezos, à la tête d’une société désormais valorisée davantage que Walmart et dont on connait les capacités d’investissement, poussé par sa logique implacable de croissance, pourrait néanmoins décider de passer à la phase 2. Motivations, moyens, notoriété, expertises logistiques et technologiques, Amazon a visiblement des raisons d’y croire.