Pierre Maertens, bonjour, tout d’abord, pouvez-vous nous présenter votre société et les missions qui sont les vôtres au sein d’Intermarché ?

Le Groupement des Mousquetaires est un groupement d’indépendants comportant 6 enseignes : Intermarché, Bricomarché et BricoCash, Netto, Roady et Poivre Rouge. En croissance, le chiffre d’affaires des Mousquetaires a franchi la barre des 40 Md€ au dernier exercice. 1800 points de vente en France, soit un tous les 17 kilomètres, font d’Intermarché le 3e distributeur alimentaire en France.
Concernant l’activité e-commerce, elle est essentiellement tournée vers le drive. Si nous avons démarré il y a quelques années avec de la livraison à domicile, 90% du chiffre est aujourd’hui réalisé en drive. Nous comptons désormais 1060 points de vente proposant ce service ecommerce. C’est une activité en forte croissance puisque nous enregistrons une progression de 41% du CA en 2014 et avons ouvert un peu plus de 200 nouveaux drives sur les douze derniers mois.. Intermarché est aujourd’hui la première enseigne de drive en termes de réseau, près d’un drive sur 3 en France est un sous l’enseigne Intermarché.
Depuis le siège, notre rôle est de fournir aux adhérents, patrons de points de vente, toutes les cartes pour qu’ils puissent saisir l’opportunité du drive. Charge à nous de construire les modèles les plus performants et les plus adaptés. Nous avons créé une dizaine de modèles, qui vont des casiers automatiques jusqu’aux drives solos en passant par un éventail de modèles que nous qualifions de « Store picking », accolés aux magasins. La conception et le déploiement de ces drives est bien sûr à associer à l’animation des espaces en ligne dont nous avons la charge : web, mobile, tablette. Notre rôle est d’animer commercialement ces espaces, de les faire évoluer, d’innover, de façon rentable et en toute complémentarité avec l’activité des points de vente.

 

Quels sont à votre avis, les grands changements auxquels la grande distribution devra faire face dans les années à venir ?

Durant six décennies, la distribution alimentaire a su entretenir une relation exclusive avec le consommateur. Aucun autre acteur de la filière n’a pu la lui disputer. Sous les coups des avancées technologiques des dernières années, la chaine de valeur, autrefois très linéaire, a été totalement déstructurée. Le consommateur longtemps captif du point de vente est désormais accessible à tous les porteurs d’offre qui se donnent la peine de penser ou de repenser leur modèle économique en intégrant la dimension digitale : pure players, industriels, producteurs et clients eux même. Ceci est très tangible, Amazon multiplie les initiatives sur notre secteur, “la ruche qui dit oui” et les drives fermiers se développent, Danone, Loréal ou Bonduelle proposent leur gamme en ligne. Le client lui même n’hésite plus à proposer sa production ou ses services à son voisin. Si l’on peut monnayer sa voiture sur Blablacar ou vendre ses créations sur Etsy, pourquoi ne pas valoriser son potager, sa cave, ou ses talents de cuisinier ?
Pour autant, la fragmentation du marché est encore limitée et l’érosion des ventes en magasin relativement faible. Pris unitairement, il ne s’agit pour le moment que de quelques dixièmes de pourcents du marché captés par les uns ou les autres. Mais le potentiel est énorme, la filière alimentaire n’en est qu’à ses débuts en terme de transformation numérique.
Dans les 5 ans qui viennent, nul doute que les choses vont évoluer. Le drive fait aujourd’hui 5% du CA des grandes enseignes, les analystes prédisent 8 à 10% d’ici 2020, je pense qu’il faut anticiper une part de marché de 8 peut être 10% prise par les nouveaux entrants, du à cette fragmentation de la chaîne de valeur. D’ici 2020, ce seront probablement autour de 15% de l’activité qui ne sortira plus des magasins. C’est très conséquent, cela va bouleverser le paysage concurrentiel de la grande distribution tel qu’on le connaît aujourd’hui.

 

La baisse de l’efficacité des campagnes de marketing direct, force les directions marketing à concentrer leurs efforts sur l’acquisition de clients par le multicanal et la personnalisation des offres. Quelles sont les stratégies les plus efficaces selon vous pour cibler, transformer et fidéliser le client multicanal ?

Concernant l’acquisition de clients, notre métier est encore très ancré dans le physique. Nous adossons un service ecommerce a un point de vente existant, qui a déjà sa clientèle et sa notoriété. A l’ouverture d’un drive, 80% de nos clients découvrent l’offre par le biais du point de vente, de par son emplacement, sa visibilité et sa communication sur la zone. Si nous avons des outils d’acquisition en ligne, l’essentiel du recrutement est finalement assez traditionnel. La couverture de notre parc de points de vente est donc particulièrement importante. Elle contribue à écraser les couts fixes en amont et à développer la notoriété du service au niveau national. De plus, n’oublions pas qu’un français sur deux n’a pas encore accès au drive. Nous maintenons donc la pression sur le déploiement, 58% de nos points de vente sont équipés d’un drive, l y a encore une marge de progression importante.

Concernant la transformation et la fidélisation, l’expérience digitale est indissociable de l’expérience physique. Nous adressons le parcours client dans sa globalité. Un site performant ne peut rien si l’entrée du drive est mal balisée et que vous attendez vos courses sans fin, et inversement.
Les taux de transformation du secteur sont généralement admis entre 25 et 30%. Le client ne vient pas sur un site alimentaire pour flâner. Les repères sont donc quelque peu différents, mais les impératifs de personnalisation sont tout autant sensibles que dans d’autres filières. L’enseigne a engagé en ce sens un vaste programme CRM en 2014. Ceci nous permettra d’adapter l’animation commerciale de façon très fine, qu’elle soit déclenchée depuis le siège au travers d’une campagne d’emailing par exemple, ou par un point de vente menant une opération locale. Dans le même temps, nous nous dotons en ce moment même d’une solution de personnalisation et d’emerchandising. Données produits, préférences du consommateur, et informations transactionnelles nous permettront avant la fin de l’année de proposer en ligne une offre adaptée à chaque client. Dans ce même souci de personnalisation et d’interaction, nous proposerons très prochainement à nos clients de laisser des avis et commentaires sur leurs achats. Une première nationale pour l’alimentaire. Enfin, sur des paniers de plus de 40 produits, la transformation passe aussi par une gestion facilitée des listes de courses. C’est pourquoi nous travaillons activement à de nouveaux leviers : objets connectés du quotidien, abonnements, recommandation…

 

Pouvez-vous nous parler des solutions de mobilité mises en oeuvre au sein de votre société ?

Nous mettons à la disposition de nos clients une application mobile et une application tablette, toutes deux disponible sur iOS et Android.
La part des ventes sur mobiles a doublé en 2014, c’est une tendance très forte qui nous conforte dans notre intention de faire de 2016 une année tournée vers l’optimisation de ces applications. Personnalisation et mobilité seront les 2 axes stratégiques pour la partie digitale de l’enseigne dans l’année qui vient.
L’enseigne a également depuis peu l’application “Mon Inter”. L’objet est de mettre en avant la vie du point de vente, les animations commerciales, les prospectus, et d’accompagner le client dans sa gestion de liste de courses. Cette application était attendue, elle se développe très fortement.
La mobilité est également un outil interne. Nous développons un ensemble de projets tournés vers nos collaborateurs et nos adhérents. Gestion des commandes et des stocks depuis le rayon, alerte et monitoring, pilotage des animations commerciales sont autant de solutions que nous élaborons pour gagner en productivité en point de vente.

 

Intermarché est le leader des drives en France, vous avez ouvert le 1000e au printemps dernier. Comment voyez vous évoluer ce modèle à moyen terme ?

Les clients attendent toujours plus de proximité et d’immédiateté quand, dans le même temps, les distributeurs sont confrontés à une équation économique compliquée sur le dernier kilomètre. Le drive est le modèle qui a répondu le mieux jusqu’ici à ces exigences et contraintes, à tel point que le territoire français en compte 3500 aujourd’hui. Nous continuons d’ailleurs d’équiper notre parc aussi rapidement que possible.
Nous croyons également beaucoup aux consignes. Une commande passée en ligne sera préparée dans le point de vente et mise à disposition dans des casiers réfrigérés en 3 températures (gel, frais, ambiant) et situés sur votre parking de bureau ou sur un axe passant. Ce modèle permet de combiner une proximité immédiate et une souplesse en termes d’horaire de retrait. Vu du client, il allie les avantages de la livraison à domicile et du drive. Le distributeur y trouve une gestion des tournées facilitée et la possibilité d’exploiter de petites surfaces foncières. Nous ouvrons dans les prochaines semaines notre 3eme pilote. La consigne alimentaire devrait se développer largement dans les années à venir, elle est selon moi le drive d’il y a 5 ans.
Cette capacité à se rapprocher du client se construit également au travers de nouveaux modèles. On parle beaucoup en ce moment de la livraison collaborative. Nous voyons tous les mois émerger de nouvelles start-ups travaillant sur ce type de services. C’est une des solutions qui permettrait de libérer les contraintes qui pèsent sur le dernier kilomètre.
Ces 2 mécanismes, la consigne et la livraison collaborative nous semblent être des voies d’avenir complémentaires au drive. Combinés, ces trois approches permettront de renforcer notre maillage en investissant de façon ciblée et contenue. La finalité est de répondre toujours mieux aux exigences de proximité et réactivité de nos clients tout en assurant la pérennité de nos points de vente.