La Chine est le premier marché de e-commerce au monde*. Ce qui frappe c’est la vitesse à laquelle les pratiques s’y déplacent vers le mobile, au point que la majorité des achats en ligne sont aujourd’hui réalisés depuis un support nomade. Une tendance qui change beaucoup de choses pour les marques.

Alibaba domine le e-commerce chinois avec 80% de part de marché et plus de 350 millions d’acheteurs actifs par mois. Avec ses deux principales plateformes Taobao (CtoC) et Tmall (BtoC) le groupe réalise un volume de transactions annuel supérieur à Amazon et eBay réunis : c’est un monstre ! Or en un an, entre le premier trimestre 2014 et le premier trimestre 2015, les achats sur mobile ont progressé de 157% chez Alibaba et leur proportion est passée de 27% à 51% des transactions : une explosion !

Cette croissance du m-commerce s’explique par de multiples facteurs dont l’immense appétence des consommateurs chinois pour le digital, la puissance des plateformes de e-commerce locales et des solutions de paiement associées, la faiblesse de la distribution physique en dehors des grandes villes, etc. (voir aussi Pourquoi le consommateur chinois est-il en avance sur le digital ?). Elle accélère le passage à une société dont l’économie est portée par la consommation et contribue à la croissance dans les zones rurales ou périurbaines, ce qui lui vaut d’être vivement encouragée par l’Etat et de bénéficier ainsi d’un effet amplificateur.

Tout porte à penser que cette montée en puissance des pratiques de m-commerce préfigure ce qui va se produire, à un rythme moins soutenu, dans la plupart des autres marchés du monde. Ce qui se passe aujourd’hui en Chine est donc à suivre de très près. Mais qu’est-ce que cela change au juste ?

Dans un premier temps le passage du commerce physique au e-commerce « traditionnel » (non mobile) a eu pour effet d’étendre les horaires d’achat à tous les moments où l’individu est connecté à un ordinateur, les lieux de shopping à tous les endroits où il a accès à un desktop. Cette évolution a aussi démultiplié l’information, les sources d’influence, les moyens de comparaison, les solutions collaboratives, permettant ainsi à chacun d’acheter plus « libre et malin ». A présent, le déplacement des pratiques d’achat vers le mobile, tel qu’on l’observe en Chine, pousse beaucoup plus loin la transformation.

Avec le smartphone connecté de façon permanente à portée de soi on passe véritablement au commerce 24/7.

Le consommateur chinois scotché aux réseaux sociaux WeChat (un quart de la population s’y connecte plus de 30 fois par jour) ou Weibo et aux sites de e-commerce comme Taobao ou JD.com est à présent en posture d’achat quasi-constante, à l’affut des bonnes occasions, en situation de revente aussi lorsqu’il le souhaite, ce qui démultiplie les transactions et oblige les marques à trouver une place sur le support mobile si elles veulent exister. La connexion permanente via le smartphone inscrit le commerce en ligne dans le quotidien des consommateurs et l’ouvre un peu plus à toutes les catégories de produits comme en témoigne la progression de YiHaoDian (“Magasin numléro 1”), site spécialisé dans la vente de produits alimentaires essentiellement frais (fruits, légumes, produits de la mer, etc.) qui s’active via une appli et se targue de livrer ses clients dans les trois heures suivant leur commande.

Le m-achat est par essence social.

La plupart des consommateurs chinois commentent ou diffusent via leur mobile des photos de leurs achats en ligne sur les plateformes de e-commerce ou les réseaux sociaux : ils sont beaucoup plus actifs dans ce domaine que les américains ou les européens. Ils partagent aussi leurs expériences via des applis dédiées comme XiaoHongShu (« petit livre rouge ») où les filles exposent et commentent leurs achats et constituent des communautés d’intérêt autour des dernières chaussures à clous ou du nouveau produit pour lisser les sourcils. Leurs commentaires influencent les autres internautes et sont pris en compte par les plateformes de e-commerce qui poussent les produits les mieux perçus. Le consommateur se retrouve ainsi au centre du processus de déploiement de l’offre, à la place de la marque et du distributeur.

Ajoutons qu’avec la possibilité de demander un avis à son réseau d’amis depuis son smartphone, le consommateur n’est plus jamais seul au moment d’acheter : le bouche à oreille ne joue plus uniquement un rôle avant mais aussi pendant l’achat.

Le m-commerce pousse aussi plus loin la personnalisation.

A son entrée sur un site de e-commerce le consommateur est reconnu et ses préférences observées au cours des précédentes visites immédiatement prises en compte. Taobao l’illustre en donnant à ses acheteurs accès à leur « footprint », l’historique de leurs actions sur le site, dont il tient évidemment compte pour proposer des produits ou mettre en avant des promotions de façon ultra-ciblée. La dimension mobile ajoute la géolocalisation, la continuité et l’instantanéité. Le digital réussit ici à renverser les positions : le consommateur souvent anonyme dans l’environnement réel est pris en compte de façon individuelle dans l’espace virtuel.

Mais le mobile favorise aussi la convergence avec le magasin réel : l’un et l’autre prennent des rôles complémentaires dans lesquels l’expérience d’achat, le service, la valorisation de la marque, la personnalisation sont augmentés via la complémentarité entre les points de contact. Cette convergence passe par exemple par le QR code, beaucoup plus utilisé par les consommateurs chinois que par les occidentaux, pour accéder en magasin à des informations, des promotions, des services, des témoignages… ou même au store online de la marque ! Elle se développe aussi dans le domaine du paiement avec l’arrivée dans les magasins physiques des solutions propres au e-commerce comme Alipay adopté par Walmart ou WeChat Wallet avec lequel on peut régler ses achats chez Carrefour. Plus simples, plus rapides, plus sécurisées que le cash ou la carte bleue et nourries des informations sur le consommateur instantanément accessibles, ces solutions de paiement mobile sont en train de pénétrer tous les secteurs du quotidien physique comme c’est le cas par exemple à Shanghai dans des milliers de superettes, de taxis ou de restaurants.

Notons enfin que le m-commerce chinois passe presque exclusivement par des plateformes multimarques et des applis. Personne n’est prêt à naviguer sur le web, encore trop lent, pour chercher un site de marque, puis un autre afin de comparer, entrer les 16 chiffres de sa carte bleue pour régler, etc. quand toutes les marques sont accessibles via une appli ouverte sur son smartphone et le règlement réalisable en un clic. Pour les annonceurs, cela crée la nécessité absolue d’être présent sur les plateformes de type Tmall, stores WeChat, etc. et suscite aussi de nouveaux enjeux de positionnement car il n’est pas évident pour une marque de luxe ou lifestyle de vendre ses produits dans le même espace qu’une multitude d’acteurs mass market.

Le challenge pour les annonceurs occidentaux est bien de comprendre et de s’approprier cette révolution au plus vite afin de gagner dès aujourd’hui des clients – beaucoup de clients ! – en Chine, et d’être prêt à en gagner demain partout ailleurs.

(*) D’après Bain & Company