CCM Benchmark réunissait le 18 novembre des experts et des grands groupes autour de la thématique du RSE et de la digitalisation des entreprises. Cet événement était l’occasion pour nous de faire un état des lieux des projets de RSE dans les grands Groupes et d’en analyser les grandes tendances.

Bouygues Telecom, Bouygues SA, Crédit Agricole, Rexel, la CCI Région Alsace, Humanis, Réseau Ferré de France, Suez Environnement, GrDF, RATP et BNP Paribas Personal Finance ont partagé leurs expériences, leurs écueils et leurs succès avec les experts tels qu’Arnaud Rayrole de Lecko, Michel Germain d’Arctus ou Vincent Berthelot de l’Observatoire des Réseaux Sociaux d’Entreprise.

Après quelques mois/années d’adoption, des résultats globalement décevants

Rares sont les projets qui donnent satisfaction, que ce soit sur l’adoption ou les fonctionnalités déployées.

L’adoption, elle, après l’euphorie du lancement largement promu par la Direction de Projet, suit l’évolution normale de la courbe d’adoption chère à Gartner, mais se stabilise à un niveau trop faible.

Et en termes de fonctionnalités, les belles annonces de remplacement du mail par une utilisation plus rationnelle de la communication dans les équipes s’estompent pour ne laisser place au mieux qu’au partage de fichier, donc aux fonctionnalités de l’intranet des années 90!

Ces RSE, vecteurs de performance et censés rendre la communication plus fluide, ne trouvent pas leur public

Les projets présentés par les différentes entreprises montrent des similitudes frappantes :

  • ils ont tous été lancés par la Direction de la Communication ou managés par un membre de cette obédience,
  • Les RH en sont le plus souvent absents,
  • l’IT « passe la tête » au moment de la mise en production du projet qui est, à quelques exceptions près, hébergé sur une plate-forme extérieure type cloud

En filigranes, on lit également qu’ils ont tous été lancés sur une idée un peu floue et/ou incantatoire qu’il fallait un RSE (pourquoi?) ou qu’il était important de fédérer des énergies ou de faire communiquer des filiales d’un Groupe.

Les freins à l’adoption des RSE

En premier lieu, même s’il me semble enfoncer une porte ouverte, un projet de RSE est un projet : il a donc un objectif, un sens, une valeur et on en attend des résultats. Et bien sûr plus pertinents que « nous avons un RSE »…
Il est frappant de constater que tous ses projets sont lancés sur le seul but de doter les collaborateurs d’outils de collaboration dont ils ne perçoivent absolument pas la valeur, ni pour eux ni pour l’entreprise.
C’est ainsi que, pour les RSE les plus matures et riches comme celui de Bouygues Telecom, 30% des communautés servent le management de projets.
Au-delà de la satisfaction de voir, pour une fois, un apport d’outil de la comm’ à la DSI, il me semble que le dessein était plus ambitieux…

Le second point qui bloque la progression des RSE est la réticence des collaborateurs à échanger dans un système déstructuré et même simplement renseigner leurs informations professionnelles dans ce système.
Un des témoignages mentionnait un refus des collaborateurs de publier leur photo, arguant de leur droit à l’image…
Cette attitude est paradoxale pour des gens – les mêmes bien sûr – qui postent sur Facebook la moitié de leur vie privée et sur LinkedIn un CV complet.
Ce blocage « social » aurait plusieurs explications:

  • la première se situe dans le changement de paradigme qui place aujourd’hui le collaborateur au coeur de la communication et de l’innovation dans l’entreprise alors que les bonnes vieilles règles de management des années post-choc pétrolier prônaient le « travaille et tais-toi! »,
  • la seconde est liée à la peur du chef : puis-je m’exprimer? puis-je tenir des propos différents de mon management? comment cela sera-t-il perçu? une bonne idée peut-elle me faire du tort? Dans une communication débarrassée de la structure hiérarchique, mon chef ne se sentira-t-il pas doublé?
  • enfin, certains grands groupes très filialisés ont l’idée de déployer un réseau social transfiliales pour bénéficier de l’ensemble des compétences du groupe et échanger les bonnes pratiques d’un métier dans tout le Groupe, ou s’inspirer d’autres métiers pratiqués ailleurs. Cette fois, c’est la compétition entre les filiales qui bloque l’échange d’informations en transverse.

Enfin, last but not least, ces projets naissent dans un souhait « d’en avoir un », ils ne sont sous-tendus par aucune stratégie, ils n’impactent pas le coeur de l’entreprise : le business, ils n’ont donc pas le support que la Direction Générale devrait leur apporter.
C’est la valeur intrinsèque du RSE qui est adressée par ce point, c’est celle qui donne le sens et les objectifs.
À ma question à l’un des intervenants : « Comment avez-vous mesuré l’impact du RSE sur le business de l’entreprise? », la réponse reflète tristement ce point : »Le projet de RSE est avant tout un changement d’habitude et ça ne se mesure pas »
Vincent Berthelot de l’Observatoire des Réseaux Sociaux d’Entreprise résume le sujet autrement « Où est le business dans ces projets? » et « Si on ne veut pas de ROI, on ne doit pas attendre de budget ».

Le constat est donc amer et les outils magiques destinés à aplatir les hiérarchies et libérer la créativité se heurtent aux mêmes résistances au changement que les dizaines de nouvelles organisations mises en place dans les vingt dernières années.

Pourtant, quelques actions peuvent créer les conditions du succès

En premier lieu, la valeur du projet doit être business, lisible, partagée, annoncée clairement et mesurée.
Comme pour les projets CRM, cette valeur doit être perçue par le collaborateur et par l’entreprise, assister le travail au quotidien et améliorer la productivité. Comme pour les projets CRM, si l’outil ne sert pas, il ne sera pas adopté.
Et, bien sûr, si le business n’est pas concerné, la Direction Générale n’y investira ni argent, ni énergie, ni conviction.

La modération est un sujet à ne pas prendre à la légère : le succès des projets, notamment au lancement est directement lié à la liberté d’expression et toute modération ou process de validation ralentirait le fonctionnement et tuerait dans l’oeuf le projet.
Il est à noter que le meilleur système de modération consiste à s’exprimer sans anonymat, ce qui, on le comprend vite, suggère l’auto-modération.

La communication est importante, à la fois sur la valeur au moment du lancement, mais aussi et surtout sur la progression de la performance (baisse du nombre de mails, baisse du délai de support, …).
Le middle management doit être la première cible de formation/communication pour relayer la valeur et les attentes et inciter à l’adoption, en créant des communautés locales par exemple

L’international est un levier toujours très fort : l’éloignement et le manque d’infrastructures sont des facteurs d’adoption rapide pour certains pays.

L’outil ne doit pas être un casus belli : il n’est que le support et sa valeur sera essentiellement dans son accessibilité permanente et son intégration aux outils de l’entreprise.
Microsoft était présent à cette conférence et a présenté Delve, d’ores et déjà proposé avec Office 365 et qui, s’appuie sur Office Graph pour présenter un environnement de travail en relation avec son activité, ses contacts, ses réseaux, ses documents, …

Enfin, la patience et la ténacité sont également des qualités fondamentales puisque, de l’avis général, la durée de gestation des communautés est de 9 mois.

L’esprit, pas l’outil

Les projets de RSE sont assez similaires aux grandes réorganisations des entreprises : ils touchent de nombreuses personnes et méritent d’être justifiés, étayés, objectivés, et accompagnés.

Ils introduisent cependant des notions qui ont un impact culturel incroyable dans nos organisations pyramidales : exprime-toi! partage! oublie de la hiérarchie!

Des résultats fabuleux peuvent découler de ces principes, à condition qu’ils soient impulsés au plus haut niveau, accompagnés par la Communication et les RH, et relayés par le middle management pour sécuriser la liberté (et la volonté) d’expression et d’échange qui sont les clefs d’une collaboration efficiente … au service du business.